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2 mars 2009

Evasion, Salamandre 34 (Anne-Marie)

Depuis combien de temps n’avait elle pas revu la Provence, depuis combien de temps ne s’était elle pas évadée ? Une opportunité se présentait ; modeste, trois jours comprenant une incursion en Cévennes, mais elle en faisait une expédition. Dans la petite valise prêtée par son amie, elle jetait quelques rechanges, pouvant pour une fois donner cours à son coté fantaisie, pour ne pas employer une autre expression
La gare de Montpellier avait pris un air Aéroport International ; à tout instant un grésillement annonçait un retard. L’angoisse la prit, si le train n’était pas à l’heure, si elle n’avait pas la correspondance en Avignon ? Derrière elle, une voix grave s’éleva : « Mon enfant, vous qui êtes déjà allée seule au bout du monde, vous voilà paniquée. Regardez mieux le panneau des horaires… » Son train était annoncé, sagement, à l’heure dite. « Merci Monsieur », balbutia-t-elle. « Ne me remerciez pas, je suis Saint Christophe, le patron des voyageurs en détresse ! ». Elle se retourna : des voyageurs tirant des valises, des regards anxieux sur les annonces « départ arrivée », des jeunes ployant sous des sacs à dos, des uniformes d’employés à la gare ? Que nenni. Où était passé son inconnu, avait elle rêvé ?
Elle monta dans un bocal à poissons, aux vitres ruisselantes d’eau. Affalés, la plupart des passagers dormaient. D’où venait le train, d’ailleurs ? Elle ne s’en était pas inquiétée. Le but était Avignon et la Provence. Conséquence de l’émotion du départ, elle se sentit fatiguée mais rassurée, et, le train n’allant pas plus loin qu’Avignon, elle s’assoupit.

La voix S.N.C.F. la réveilla ; la première partie de l’expédition se terminait. Sur le quai, un vent glacial fouettait la pluie dans tous les sens ; c’était ce bon vieux Mistral ; dix minutes de ce régime, qu’est ce au pays du soleil. ?
Au milieu d’une foule plutôt jeune, elle aperçut un monsieur sorti d’un autre monde. Déjà âgé, coiffé d’un grand feutre noir, col de chemise de gardian sortant de la parqua : il ressemblait au portrait de son arrière grand père. Pourquoi ne serait-il pas un héritier de Frédéric Mistral, dont les chants hantent toujours la belle campagne autour d’Avignon ? Bousculée par des touristes impatients de monter, elle agrippa sa valise, essaya de se frayer un chemin. « Il ne sera pas dit que je laisserai une dame porter son bagage ! » Phrase qui eut pu être banale si elle n’avait pas été prononcée d’une voix chantante aux accents de pleins et de déliés.
« Je vous en prie, Madame, prenez place… ». Il installa la valise, s’assit face à elle.
« Notre Provence vous accueille bien mal ; je ne pourrai vous en parler bien longtemps car je descends à Tarascon. Je n’aime pas conduire sous la pluie et ai décidé de prendre le train pour aller visiter mes cousins. Je ne le regrette pas aujourd’hui. »
« Vous êtes trop aimable Monsieur. Je connais bien la région ; originaire des Cévennes, j’ai vécu longtemps en Vaucluse ; je fais aujourd’hui un pèlerinage, hélas sous la pluie »
« Dans ce cas, prenez le parti de fermer les yeux ; de faire revivre vos souvenirs, tous ceux qui sont demeurés en vous. Oubliez ce qui vous entoure et faites un voyage intérieur »
Tarascon était annoncé. Avant de descendre, il lui donna une carte de visite, espérant lui faire connaître sa manade aux beaux jours. Elle acquiesça avec enthousiasme. Otant son chapeau, il lui souhaita bon voyage. Elle tenta de l’apercevoir sur le quai ; peine perdue, à travers le brouillard sur les vitres. Soigneusement, elle plaça la petite carte dans une poche, bien décidée à s’évader un jour vers la Camargue
En préparant son voyage, elle n’aurait jamais imaginé passer un tel moment de charme ; il lui semblait avoir vécu dans une autre époque ; il fallait qu’elle prolonge un tel état. Suivant les conseils du Provençal, elle ferma les yeux. Elle pouvait suivre le parcours à l’annonce des gares où s’arrêtait le train ; loin des TGV, il stoppait dans chaque pays dont elle connaissait bien le nom. A l’annonce de la petite ville où elle avait passé tant d’années, elle ouvrit les yeux. Au loin, sous le déluge, s’élevait une colline. Sa maison était à flanc de coteau. Elle y avait été heureuse et connu aussi des périodes de désespoir. L’odeur du figuier sous lequel elle faisait la sieste l’été traversa la vitre du compartiment ; le parfum sucré des genêts bordant la petite route aux beaux jours s’insinua dans ses narines ; le visage d’une amie aimée mais endormie maintenant se dessina dans la brume. Comme le vieux monsieur avait été sage ; son âge lui avait tant appris, appris à vivre les mille bonheurs de l’existence et à s’en souvenir comme d’une thérapie aux mauvais moments de la vie.
Elle n’allait pas tarder à arriver. Ses yeux ne devaient pas être bordés de rouge ; garder en soi ses émotions, ne rien montrer.

Sur le quai, ses petits enfants l’attendaient sous un immense parapluie. Petit coin de parapluie contre un coin de paradis. Leurs bras l’enserraient très fort, leurs lèvres tièdes étaient autant de caresses. Vite vers la maison. Ce soir, l’on dînerait chinois, on ferait de la musique, on se grouperait sur les deux canapés ; la petite minette était devenue une grosse dame prête à s’installer sur ses genoux. Dehors, la pluie faisait rage. La ballade en Cévennes ne serait pas pour demain.

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