"Joi" Cobla II: "Terre occitane", par Jean-Claude BOYRIE
«JOÌ »
(Cansò)
Cobla .ii. (segonda) :
erra occitana.
Per lou cers soun toteurada /
Je suis par le cers torturée,
Negro de sang, rouge de vi /
noire de sang, rouge du vin.
D'embrums per lo vent de la mar remoullino / D'embruns par vent de mer fouettée,
Flairi bou lo romarin /
Je fleure bon le romarin.
Sur iéou, terra d'Occitania /
Sur moi, terre d'Occitanie,
amadeuront amellos, rasins /
mûrissent amandes, raisins
Soun anaigado et aounido /
Je suis convoitée et honnie.
Pats a las cendros de los Patarins /
Paix aux cendres des Patarins (1).
Adaptation occitane de Catherine Busquet
Lorsqu'elle m'a dit son nom : « Péreille », cela a fait comme un déclic dans mon cerveau. J'ai tout de suite vu la francisation de notre vieux mot : « Perilhos ». Que voulez-vous, il en est des « roses périlleuses » comme des « sirènes dangereuses ». Je crois bien que cette rose n'est pas sans épines, il faut la prendre avec des gants. Enfin, pour une belle plante, ç'en est une.
Allegro ma non troppo, l'air de deux airs, j'attaque sous l'angle le plus approprié :
« Comme
ça, vous êtes journaliste ? »
- Oui, Monsieur, au Réveil
du Midi.
- Dommage. Vous savez, les gens
d'ici lisent « l'Irréductible »,
édition cathare s'entend. vous n'avez qu'à vous servir
au bar, le journal est disponible au bar en libre-service.
[
Là, j'ai juste voulu la taquiner. Une façon comme une
autre d'entrer en matière. Elle me répond du tac au tac
: ]
- « L'Irréductible »
ou « Le Réveil », pour moi, c'est du pareil au même, depuis que notre groupe à racheté le titre dont
vous parlez (2).
[
Et pan sur le bec ! Match nul, un partout. Mieux vaut siffler la
mi-temps ]
- Accepteriez-vous une anisette ?
[
Sans attendre son approbation, je verse dans son verre deux mesures
d'eau fraîche pour une de liqueur visqueuse. Elle se trouble
aussitôt - l'anisette, pas elle : ]
- Non
merci, par cette chaleur, je préfère l'aqua
simplex.
[ Elle sait ce qu'elle veut, la
drolesse ! Je lui trouve un charme
indéfinissable: ]
- Madame Péreille,
reprends-je (essayant de l'amadouer), votre nom me dit quelque
chose. L'autre jour, je suis tombé par hasard sur un article
signé de vous....
- Ah ? Qu'en avez-vous pensé
?
- Que du bien ! En tous cas, je
n'ai pas relevé de faute d'orthographe.
- Encore heureux ! Ce mis à
part ?
[ Je
me mords la langue, bafouille lamentablement. Ce n'est pourtant pas
mon habitude. Voyez-vous, je ne sais pas comment m'y prendre avec
cette femme de la ville. Une journaliste, qui plus est. Autant vous
dire, j'entretiens une méfiance viscérale envers ces
gens-là. En ai-je assez vu, qui foulent nos plate-bandes avec
leurs gros souliers, prennent deux ou trois photos, posent des
questions de Béotiens, se sauvent illico sans attendre la
réponse ! Le tout pour sortir un bas-de-page débile
dans l'édition locale du lendemain. ]
- Oh, je ne voulais pas vous vexer
! Ce n'est qu'un réflexe de vieil enseignant.... Ne vous
formalisez pas, mais dites-moi plutôt ce qui vous conduit en
nos murs.
- Eh bien, je viens me ressourcer en Pays cathare.
[ Le mot est lâché !
Ici, la Presse rivalise avec le Comité du Tourisme pour servir
du catharisme à toutes les sauces. J'ironise : ]
- Bienvenue
à Laroque des Corbières, haut-lieu de l'hérésie
! D'ailleurs, vous n'avez qu'à voir, tout chez nous est
cathare. Le saucisson. Le vin. Les plages. A ceci près que
les
« Bons hommes »
et les « Bonnes
dames »
(3) s'abstenaient de toute nourriture animale, ne buvaient pas de
vin – plutôt le coupaient largement d'eau – crime de lèse
- A.O.C. Fitou. Ils ne s'étalaient pas nus en bord de mer
comme des cranquettes
molles
(4)
[
Loin de se fâcher, l'étrange femme me sourit : ]
- Je vous rassure, mon projet
d'article n'a rien à voir avec les Cathares. Enfin, ne les
concerne pas directement : en fait, je travaille sur la frontière.
- Que
ne vous installez-vous au Perthus ? [
Là, je joue au paysan du Danube, enfin du fleuve Sordus. Le
cours d'eau supposé se jeter jadis à Fount Estramar
dans l'étang, aujourd'hui disparu. ]
- Parce qu'il s'agit de l'ancienne
(5). La vôtre !
[
Elle a visé dans le mille, la petite. Pour moi, la frontera,
la vraie, l'unique est un sujet mythique.]
- Vous savez, notre frontière
est une vieille dame. Six cent cinquante ans, cela mérite le
respect.
- Je
me suis laissé dire que vous la fréquentez assidûment.
Vous seriez même intarissable sur le sujet. [
Pas folle, la guêpe ! Elle connaît mon péché
mignon. ]
- C'est
vrai, fais-je d'un ton modeste, je connais bien les lieux. Cette
frontière, je l'ai parcourue, arpentée, plutôt
cent fois qu'une. Avec quelques
recherches personnelles à la clef. Parmi les vieux papiers
archivés ça et là : cartulaires, livres
terriers et compoix (6)
- Tout cela doit prendre du temps ?
- Bien sûr, mais je n'en
manque pas. En quoi puis-je vous être utile ?
- Je n'attends pas de vous de longs
discours, mais seulement les ingrédients de mon reportage.
Des faits, mais aussi des impressions. Du précis et du flou.
Du su et du vécu.
- Tant de choses à la fois ?
C'est beaucoup me demander ! En admettant que je vous procure tout
cela, qu'en faites -vous ? A quelle sauce allez-vous l'accommoder?
- Confer le second cahier du
« Réveil », page trois, rubrique
« recette du jour »: mélanger les
composants, lier avec un blanc d'oeuf, lever un entrefilet d'inédit
(à réserver pour la bonne bouche). Battre
vigoureusement. Cuire à feu doux. Saler, poivrer. Servir
tiède.
[ Si
comme j'en ai la vague impression, la « rose sans
pareille » est en train de me mettre en boîte, elle
n'y va pas avec le dos de la cuiller ! Tout comme moi lorsque je
brasse l'anisette... ]
- Buvons à la santé
de la Presse et de ses représentants ! m'écriai-je en
levant mon verre.
[ Rose ne réagit pas à
mon toast. Examine la bouteille avec suspicion. L'étiquette
atteste l'origine ibérique du contenu... ]
- Tiens ! je croyais cette liqueur
interdite à l'importation, ça titre combien, ce
truc-là ?
- 37 ° 2 le matin, Gruissan
n'est pas très loin d'ici (7).
- Oups ! Vous voulez vraiment que
je m'enfile ça ?
- Libre à vous de préférer
l'eau pure. Je bois à la santé du roi de France!
- Et zut au roi d'Aragon, qui nous
inonde d'alcool frelaté !
[ Un ange passe. Je redoute la
panne (de conversation). Rose possède une dialectique
redoutable, elle me fait perdre mes moyens. Plus jeune, j'aurais
cherché le point G. Je me serais même emballé
cette fille, vite fait, bien fait. Mais, le temps passant... bon...
je consulte ma montre et lâche : ]
- Déjà midi trois
quarts, l'heure folle! là, il faut vraiment que j'y aille !
[ Une façon de parler
pour s'éclipser, je ne vois pas l'intérêt de
préciser où. D'ailleurs, elle s'en fiche, de ce que je
vais faire. La sieste, tout simplement.. Serviteur ! ]
(à suivre....)
Notes et commentaires :
Terme péjoratif désignant les Cathares (au XIIème. siècle).
Allusion au rachat de l'Indépendant par les Presses du Midi.
C'est-à-dire les Parfait(e)s.
Allusion à la mue des crabes, qui se retrouvent sans carapace en bord de mer.
Celle du Traité de Corbeil, conclu en 1258 entre Louis IX et Jacques 1er d'Aragon.
Formes anciennes du Cadastre.
Le film tiré du roman de Dijan a été tourné aux « chalets » de Gruissan.