Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
17 septembre 2009

"Joi" Cobla III : "Clair d'Oc", par Jean-Claude BOYRIE

«JOÌ »

(Cansò)


Cobla .iii. (tèrsa) :

  Clair d'oc.

 

    Parfum de garrigue au matin,

    ronde de fleurs, rire de fille....

    La rosée en pleur cristallin..

    Coeur qui rit jaune : camomille.

    Le ciste, une rose explosion.

    Facétieux, le soleil dessèche

                                                         la coiffe indigo du chardon : 

                                                        cheveux en brosse, tige rèche.   

 Pierre Raimond (par respect des convenances, il vaudrait mieux que je continue à dire « Monsieur Delcayrou ») se révèle un personnage déconcertant. Voire énigmatique.

 J'aime prendre les gens à rebrousse-poil, c'est un jeu décoiffant. Tout de même, si ce Monsieur cherche  à me plaire [ sait-on jamais...? ] qu'il commence par se départir de ce ton pédant. Qu'il perde cette habitude exaspérante qu'il a de terminer ses phrases.

 Et pendant qu'on y est, qu'il maîtrise aussi ses sautes d'humeur ! Pas plus tard qu'hier, il a cru devoir interrompre notre entretien, qui s'annonçait pourtant prometteur. Il s'est esbigné, sans motif apparent, comme un malpropre. Puis, il est vrai, m'a téléphoné courtoisement pour s'excuser. Et fixer un nouveau rendez-vous. Bon. Je retiens cela comme circonstance atténuante.

 Là, nous sommes au coeur du sujet : faut-il définir le sexagénaire comme un « homme entré dans l'âge du sexe » (1) ou soutenir qu'un tel spécimen vit « une adolescence à l'envers » (2) ?

 Par rapport au sujet qui m'occupe, Pierre Raymond Delcayrou représente un personnage incontournable. Autant m''en accommoder, si je veux venir à bout de mon reportagee.

 Où en étais-je ? Me voici installée avec lui derechef à la terrasse du « Cap  tramontane ». Avec ce vent (3) qui souffle à décorner les boeufs, le lieu mérite bien son nom. Heureusement, les parasols, tels de grands coquelicots multicolores, sont bien arrimés à leur socle en fonte. Sans quoi tout s'envolerait ! De drôles de fanions, que je qualifierais de  « transfrontaliers » claquent joyeusement au vent. Sang et or à l'avers (3), frappés de la croix du Languedoc au revers.

 En été (phénomène bien connu), le cers fait grimper le thermomètre. A la place que j'occupe, la chaleur devient carrément étouffante. Malgré mon vis-à-vis, à moins que ce ne soit à cause de lui, je dégrafe un peu mon corsage. Essayant de me donner bonne contenance, je suis du coin de l'oeil les rayons du soleil qui se faufilent par les claire-voies. Coulent à flots sur notre table. Y dessinent de mouvants croisillons.

 Nos petits verres de muscat gagnent à cette lumière une belle couleur d'ambre. N'est-ce pas justement ce qu'on nomme le « clair d'oc » ? Avant que d'y tremper mes lèvres, j'essuie fin voile de buée qui s'est formé, se résorbe en fines gouttelettes.

 « Ploc... ploc... » Que signifie encore ce bruit ? Les roucouleurs auraient-ils repris du service ? Eh bien non, c'est juste de l'eau, « escoute se plau ! » (4) me dis-je.

 Il ne pleut pas. Impossible par un temps pareil. Je lève la tête. Détail sordide : le condensateur de la clim' goutte au dessus de nous. Cela fait désordre. Je ne pardonne pas au cafetier cette insupportable faute de goût, on vient pourtant de leur faire cadeau de la T.V.A. à ces gens-là, ils pourraient avoir plus d'égards pour leurs clients. Vous savez quoi ? Mon rêve, mon fantasme, c'est une tonnelle comme autrefois. Avec son châssis en fer forgé supportant une vraie vigne avec de vrais raisins, aux grains bien formés, comme ils pourront l'être dans un mois. Pas des trucmuches en polyuréthane, accrochés à des canisses « made in Taïwan », ou quoi que ce soit d'approchant.

 Mon instit' a réponse à tout. M'explique que les touristes sont un peuple à part. Ces gens-là sont affligés (prétend-il) de « myopie fantasmatique » (5). Tiens, qu'es aco ? Cela veut dire tout simplement qu'ils réclament de la couleur locale, prennent des vessies pour des lanternes, considèrent comme authentique ce qui n'est qu'artifice.

 [ Là, il commence à me gaver. Carrément. Je décide à mon tour d'être désagréable, c'est mon droit. ]

 « Mais n'est-ce pas vous, les gens du cru, qui entretenez cette myopie en leur offrant du strass et des paillettes  ? [ j'ai failli dire bling-bling, ce terme fait plus branché ]
  - Question clinquant, rétorque-t-il, convenez que les journalistes ne sont pas en reste ! Quand vos lecteurs attendent de l'information, à la place vous les inondez de sensationnel et produisez du vocabulaire. Ils ont faim d'authentique et vous leur servez des
« regardelles » (6).
[ Cette fois, je commence à comprendre où se trouve la frontière entre nous. J'observe prudemment : ]
  - Vérité en deçà des Corbières, erreur au-delà !
  - Ici, l'on dit « la Corbière » et non « les ». Je n'en connais qu'une !

[ Décidément, cet homme est insupportable ! Je n'aurai pas le dessus. Je préfère mettre un terme aux hostilités, et tente de faire diversion  en entrant dans son univers quotidien ].
  - Cela fait-il longtemps que vous vivez ici, Monsieur Delcayrou ?
  - Près de quarante ans. La durée de ma carrière. Le passé de ce village est mon présent.
  - Laroque a dû beaucoup changer... l'urbanisme nouveau, les façades rénovées, j'en passe....
  - Oui, je revois ce lieu tel qu'il était dans ma jeunesse.
Fa tems. Sous les crépis multicolores, on devine par endroits les murs en pierre de taille. Derrière de ces larges artères, des circulades (7) s'enroulent autour de l'église. Sous les pavés : la plage, au-dessus les naïades du lavoir. Entre les maisons, des androunes (8). Des platanes procurent ombre et fraîcheur en été.
  - On a dû en couper pas mal, à ce je vois, il y a surtout des palmiers.
  - Comme vous disiez très justement, les palmiers font plus exotique, nos visiteurs en raffolent. Dommage qu'ils gèlent un an sur deux dans ce pays.
  - Restent les lauriers-roses et les tamaris. Cela pousse vite et fait joli toute la saison.
  - Personnellement, je préfère nos bons vieux liserons aux grappes de bougainvillées qu'on accumule sur les façades. Je crie à l'acculturation : on n'est pas sous les Tropiques, ici !
  - Waouh, je m'en suis aperçue ! Tout de même, ce soleil... le beau ciel bleu... voilà des valeurs sûres, non ?
  - Ici, le soleil est un vernis, le ciel bleu n'est qu'un leurre.
  - C'est vrai. Les dermatos parlent de faux amis, car :
« le soleil brille, l'imprudence brûle » !
[ Ce disant, je considère la couleur écarlate de deux jeunes anglaises installées près de nous, réduites
à rester à l'ombre, pour le reste du séjour. Pour l'heure, elles font des  cartes postales ].
  - Les Godons (9) ont brûlé Jeanne d'Arc, normal que nous rôtissions leurs descendantes ! observe-t-il, sarcastique. C'est un prêté pour un rendu !
  - Vous-même n'allez jamais à la plage?
  - Non. Je ne bronze pas. Je lis (10).
  - Et moi, j'écris.
[ Sur ce point, au moins, nous sommes d'accord. Il poursuit : ]
  - Il m'arrive à l'occasion de jouer aux dames à cette terrasse.
  - C'est un passe-temps comme un autre !
  - Le jeu de dames n'est pas un simple passe-temps, c'est une lutte sans merci. Je veux parler du combat des Noirs contre les Blancs, des Ténèbres contre la Lumière, des Forces du mal contre celles du Bien, les Barons du nord contre les « Bons chrétiens » (11).  A votre avis, le monde selon qui ?
[ La réponse est évidente. Il me fait observer qu'aux dames, le chevalier distrait  qui néglige de prendre le pion de l'adversaire se fait souffler le sien sans pitié.]

 Comme on dit, souffler n'est pas jouer. Autant en emporte la tramontane ! Je sirote silencieusement mon muscat, avec une pensée émue pour ceux qui se sont affrontés ici même, sur le damier de l'Histoire. ]

(à suivre....)

SCEAU

Sceau de Raymond VII, Comte de Toulouse


Notes et commentaires :

  1. Cette expression est de Benoîte Groult.

  2.  Graines de lupin qui se consomment à l'apéritif.

  3. Le drapeau sang et or est celui de la Catalogne.

  4. « Ecoute s'il pleut ».

  5. Selon M. Henri Grolleau, spécialiste du tourisme rural.

  6. Diminutif occitan de  « regard ». Manger des «regardelles », c'est avoir dans son assiette un plat décoratif et rien de solide.

  7. La « circulade » est l'opposé de la « bastide », où les rues se croisent en équerre.

  8.  Le mot occitan « androna » est transcrit selon les lieux par « androune » ou « entroune ». Il s'agit d'un passage resserré entre deux maisons.

  9. Anglais, en argot médiéval (déformation de God damned, Dieu me damne).

  10.  Slogan publicitaire 2009 du Livre de Poche.

  11.  C'est-à-dire les Cathares.

Bibliographie : Voir "L'invention du Pays Cathare", Essai sur la constitution d'un pays imaginé, Marie-Carmen GARCIA, William GENIEYS, L'Harmattan, avril 2005

retour au sommaire

épisode 4

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité