Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
17 septembre 2009

"Joi", CoblaVII : "Aliso", par Jean-Claude BOYRIE

«JOÌ »

(Cansò)

Cobla .vii.(stena) :

Aliso.

 

J'inonde ou bien je fais défaut.

Je cours, je saute et je gambade.

En Celte, on me nomme « aliso ».

Je me brise et tombe en cascade,

m'infiltre et resurgis bientôt.

Je ravine le paysage.

Rien n'est fantasque autant que l'eau :

« trop ou trop peu », c'est mon adage.

 

 Que du bonheur ! Le soleil brille, brille, brille. La nature exulte. La vie est belle.

 Ce matin, je suis quasiment tombée du lit. Est-ce l'excitation qui m'a fait lever si tôt ? Tant de choses sont à découvrir !

 Deux ou trois biscottes beurrées, une tasse de café brûlant vite avalée. Un flash d'information sur Radio Bleue Pays cathare. J'apprends que l'incendie d'hier n'est déjà plus qu'un mauvais souvenir. Des circonstances favorables ont permis aux pompiers de le maîtriser : Tout d'abord, le cers s'est posé pendant la nuit. Ensuite, le vignoble alentour a barré la route au feu. Ce mis à part, tout va bien, rien à signaler. C'est bon : j'éteins mon poste.

 Qu'est-ce qui me fait m'éterniser devant ma glace ? Me pousse à vérifier que j'ai bonne mine, à tester dix tenues différentes, plus improbables les unes que les autres ?

 Pour aller sur le terrain, la robe de soirée n'est pas ce qu'il y a de mieux. Pas question non plus d'enfiler le tailleurs que je porte à la Rédaction, même s'il fait « classe ». Je reluque un short, tout ce qu'il y a de plus mini. L'équivalent d'une grosse ceinture, juste une parenthèse entre  le bas du dos et le haut des jambes. La frontière. Ma ligne de hanches. Ma ligne de chance (1). Puis je réfléchis que dans cette contrée austère, de tels raccourcis sont à proscrire. Mieux vaut éviter d'en montrer trop. Au final, j'opte pour un corsaire turquoise. Il irait bien avec mon top gris perle, lui-même assorti à mes yeux. Eux, je ne peux pas les changer. Par contre, il faut les protéger du soleil. Rien de mieux que ces lunettes (dégriffées) arborant le G de Gucci  J'assume mon allure starlette.

 Ce chapeau de paille à larges bords, d'allure banale, aurait une touche glamour en accrochant une garniture de cerises. Des vraies, de la variété Bigarro, les dernières de la saison. Sûr qu'elles ne tiendront pas la journée, mais Pierre aura le temps de les cueillir avant. « Sur site » comme il dit si bien.

 Aimera-t-il ? Il aime. Un peu. Beaucoup. Passionnément. Pourtant, je suis déçue, car il trouve encore de bonnes raisons pour rouscailler (2)

 « Vos espadrilles, observe-t-il, ne conviennent pas à la marche en terrain caillouteux. Que n'êtes vous munie de chaussures de randonnée ? »

 [ Des godillots, juste ciel ! Pourquoi pas des « rangers » ? Il doit fréquenter les surplus américains ! Les Catalans, si nous en rencontrons, apprécient les espadrilles : avec, on peut danser la sardane. Il hausse ses épaules et critique les miennes : ]
  - Vous ne pouvez pas rester ainsi les bras nus. Les moustiques, y avez vous pensé ?

  Non. Bien sûr, je n'y ai point songé. Telle une écolière prise en faute, j'adopte une mine contrite. Il n'y a rien de tel - je le sais par expérience – pour susciter la compassion masculine.
Prévoyant (ou prévenant, allez savoir), Pierre se met en devoir d'appliquer de l'huile de citronnelle sur les parties visibles de mon anatomie : soit en comptant tout, pas mal de centimètres carrés d'épiderme.  Problème : il en profite un peu. Je fais semblant de ne pas remarquer que sa main s'attarde en furtives caresses.
Au franchissement de l'autoroute, j'ai déjà plus ou moins l'impression de quitter le XXIème siècle. Il y a là un petit col nommé le « Malpas » (3). Un passage dangereux, entre montagne et étang, où les voyageurs autrefois se faisaient régulièrement détrousser. Ensuite, la route étroite et sinueuse fait des montagnes russes. Elle se lance dans « la » Corbière, à l'assaut des barres rocheuses qui s'étirent à l'horizon. Elle remonte le cours des  eaux vives. Et suit à rebours l'itinéraire du Tour de France (4).

 Nous sommes en présence d'un incroyable enchaînement de combes et de cluses, façonnées par le ruissellement des eaux, d'une succession de crêtes érodées par l'action du vent. Les « correcs » ne corrigent rien du tout, malgré ce que suggère ce curieux mot. Ce sont des ravines qui débordent deux ou trois mois de l'année et sont à sec le reste du temps. Après les pluies de printemps, surgit une explosion de fleurs multicolores. L'air est embaumé des mille parfums de la garrigue. C'est trop beau pour durer. A l'époque où nous arrivons,les fleurs déjà fanées cessent d'exhaler leur odeur agréable. 

 Le trajet que nous suivons, orienté « à la tramontane », c'est-à-dire nez au vent, est supposé correspondre à celui de l'ancienne frontière. Il est jalonné  de moult petits forts, guettes et mirailles (5). Je ne prête guère attention à ces détails du paysage, non plus qu'aux murets et capitelles (6), tant les cahots de la route me donnent mal au coeur. A écouter mon compagnon de voyage, il n'y existe rien de tel que la « deuche » pour affronter les difficultés du terrain. Je veux bien le croire, il doit y avoir un Bon Dieu pour ces vieilles guimbardes. Celle-ci ne remonte pas au Traité de Corbeil, mais c'est tout comme ! J'évite cependant d'en rire, on dira bientôt ça de moi.

Des village s'échelonnent, aux noms évocateurs : Fitou... Caves ..  Treilles... Feuilla...
« En toponymie, gare aux faux amis ! me prévient Pierre. Fitou, c'est la pierre façonnée (7). « Cavas » ne désigne pas des caveaux de dégustation, mais des bergeries. Inutile de compter les moutons pour s'endormir, on n'en trouve plus ici. On a trop vite fait d'assimiler « Trelhas » à « treilles », la transcription « toureilles » (4) serait plus juste. Quant à l'origine de « Fuelha », le doute n'est pas permis, c'est bien de verts feuillages qu'il s'agit.

 Toutes ces explications me passent au dessus de la tête. Ce qui m'interpelle, c'est la vue en plongée qu'on a du village au dernier méandre de la route. Feuilla. Je découvre une oasis de verdure blottie au bord du ruisseau du même nom. Il y a là une adorable placette où nous garons la voiture. Je remarque le panneau mentionnant l'existence d'une une source à température constante : « Fontcaude » (8). Son eau paraît chaude en hiver, mais reste agréable en été. Allons à la source nous rafraîchir ! Délectons nos yeux et nos oreilles à ce perpétuel jaillissement d'écume et de sons !

 Retrouvant le geste charmant de la Samaritaine (pas celle du magasin, mais de l'Evangile) je puise entre mes doigts croisés le fluide bienfaisant. « Aliso ». « Aïgo ». L'aigue vive qui sourd à partir d'on ne sait où dans la montagne. La « gavatch » que je suis désaltère « l'estranger ».

(à suivre...)

LYS


Notes et commentaires :

  1. Anna Karina dans Godard, « Pierrot le Fou »

  2. Ronchonner (de l'occitan « rouscas », les ronces).

  3. « Ad malum passum », le mauvais pas.

  4. Etape du 9 juillet 2009.

  5. Tours de guet. En cas de péril, on y faisait des signaux de jour et du feu la nuit.

  6. Abri de berger.

  7. « Petra ficta », sans doute une des bornes miliaires qui jalonnaient la voie romaine.

  8. Il existe une fontaine de "Fontfrede" à l'écart du village de Feuilla.

 Concernant les autres interprétations données ici , voir Jacques Larrasco : « Dictionnaire des noms de lieux de l'Aude", éd. Lacour, 2007  et Bénédicte BOYRIE-FENIE : « Toponymie des pays occitans ». Autres ouvrages consultés : « L'ancienne frontière, entre mythe et histoire » par Marc PALA, Cahiers du Parc n° 8, 2009 et « Fortifier une frontière » par Lucien BAYROU, les Presses littéraires, 2004.

Illustration : Frise de croix du Languedoc et fleurs de lys entourant le griffoul de Lisle sur Tarn (XIIIème s.)

épisode 8
retour au sommaire

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité