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29 janvier 2010

Comme un jardin, par Michelle Jolly

Théo :

J’avais tout juste 20 ans en 51 pour la première expédition, c’était près de Nudglit, dans le grand Nord, ils cherchaient un dessinateur pour prendre des croquis, des documents pour la Société anthropologiste de Paris.

La proposition était tentante, ma peinture ne me rapportait pas grand-chose, et là j’étais bien payé.

C’est là bas que j’ai rencontré James, il était déjà venu chez ces chasseurs esquimaux qui avaient tant à nous apprendre.

Nous avons chassé  l’ours ensemble, partagé les peurs,

les nuits avec les chiens, la promiscuité, les chants et les odeurs . Mon travail avait plu, et, en 1961, quand ils montèrent une autre expédition, j’eus envie de les suivre, un sas de liberté dans les grands espaces blancs !   Qu’était devenu le monde du grand nord ?

Ce que je vis en arrivant là bas me prend encore à la gorge, plus d’igloos ni de chasseurs, des cabanes  alignées le long de la banquise, des hommes bouffis, gras, ivres souvent d’alcool ou d’ennui ;  l’argent, la paresse  les pourrissaient dans l’inactivité, la corruption et les rêves impossibles.

James m’avait raconté que lors de son premier voyage il avait souvent partagé ses nuits avec une certaine Nanaout, en esquimau petite flamme, cela se faisait là haut, et cette petite flamme en valait bien d’autres : Nanaout, vivait seule, maintenant, cinq enfants, dont, Immera, la blanche.

Celle-ci avait I6 ans, fragile, têtue, elle suivait l’expédition partout, nous renseignait, nous apportait les boissons, se plaignait des occupants venus de l’ouest. Le soir, dans la cabane, je racontais chez moi : le sud, la mer, l’été, les couleurs, les fleurs… Immera écoutait les yeux clos, la tête sur les genoux de sa mère.

Mon travail n’avait plus le même intérêt, aussi, quand on plia bagages, je fus heureux de partir, et c’est là que Nanaout vint me voir et me dit : « Théo, c’est mieux, emmène Immera » 

Lina :

C’était une impasse, dans le quatorzième, des ateliers d’artistes, uniquement. J’y allais deux fois par semaine, pour nettoyer un peu, enfin, pas trop, car le peintre m’avait dit : pas ici, pas là, touchez pas à ça, je savais plus pourquoi j’étais là !

Il m’avait fait venir pour le ménage, l’année d’avant, en 78, sa compagne était souvent malade, moi, ça m’arrangeais, j’avais déjà deux clients dans l’impasse.

Il l’appelait Immera , drôle de nom !

Elle vivait là avec lui, je l’aie toujours vue dans une sorte de robe de chambre en soie fleurie, très jolie avec de longues manches ; presque nue. Elle était son seul modèle, il n’a jamais peint que cette femme, enfin, je crois… 

Elle était petite, brune, des pommettes hautes, des yeux un peu bridés, belle, fragile, la peau transparente et pâle, je me disais avec mon air bronzé : « comment fait-elle pour garder cette blancheur ? » Elle ne bougeait pas de l’atelier, c’était peut être ça.

Lui, la faisait poser à tous moments, j’arrivais parfois, vers dix heures, c’était tôt pour eux, elle était assise, frileusement sur un tabouret, il drapait un châle autour d’elle, ajustait un bras , une jambe, et il travaillait ; j’aimais bien regarder..

Je ne comprenais pas ce qu’il faisait : ils vivaient dans un décor strict, un lit, une table, un ou deux tapis, quelques sièges, juste le nécessaire, un désert blanc… Et pourtant lorsque je revenais , deux ou trois jours après le début du tableau, il l’avait peinte nageant dans une multitude de fleurs, une profusion de couleurs, elle faisait partie d’un jardin, je respirais presque leur odeur…. où allait-il imaginer tout ça ?

Sur le mur de l’atelier, elle était partout : assise, dans une robe  chamarrée,  des pivoines, des œillets d’inde entourant ses cheveux noirs ; ou debout : son peignoir ouvert, des anémones à ses pieds, derrière elle, un massif de roses,  et serrant contre elle un bouquet d’iris jaunes ; sa poitrine était nue, seule blancheur dans cet océan de couleurs

Ils étaient peu bavards tous les deux, mais gentils avec moi.  J’avais toujours le café en arrivant, et parfois une part du gâteau qu’elle avait fait la veille, elle aimait bien faire la cuisine, et je me souviens qu’elle chantait doucement à ce moment là. Ils venaient d’un pays du nord, lequel ? je sais plus.

Mais ils parlaient souvent dans un drôle de langage, des larmes dans la voix.

Elle est morte la semaine dernière, c’est la concierge qui m’a prévenue, j’arrivais pour le ménage.

Lui, était là, hébété, on s’est rien dit, je lui ai seulement serré longtemps la main ; et puis je suis partie, j’avais plus rien à faire chez eux

La voisine à coté m’a dit que le matin de sa mort, il avait dévalisé tous les fleuristes du coin, il l’avait couchée   sur un lit de pétales et recouverte de tant de bouquets qu’on ne distinguait plus son petit visage, ni son peignoir brillant..

Je ne sais plus où il est maintenant, l’atelier est désert, j’ai vu ses toiles chez un marchand, il parait que c’est un grand peintre ! Moi, je n’y connais rien !....   

Nanaout :

Elle avait toujours su, dans la longue nuit de l’hiver arctique, distinguer, entre tou,, le bruit régulier et sourd du brise-glace ;  le trajet fréquent maintenant entre Melville et le port rompait les plages de silence.

Ah ! le silence ! Nanaout se souvenait de l’importance de ces moments là !

Mais les cris de la petite ville, les jeunes désœuvrés qui trouvaient dans le bruit une raison d’être, les touristes  qui arrivaient d’on ne sait où et ne savaient pas se taire, lui faisaient regretter le temps d’avant…

Elle se leva, plus lourdement qu’hier, de tenaces douleurs aux genoux et dans le dos la torturaient, elle s’approcha de la fenêtre et guetta les lumières.

Il n’était pas en retard, il avait écrit six heures ; pourquoi ce retour ? pensa-t-elle.

Elle n’avait pas eu souvent de nouvelles, si loin ! si différentes leurs vies ! à quoi bon ! les années étaient passées, ses fils l’aidaient un peu, de petits boulots pour les Américains, mal payés, c’était toujours ça !

Elle le reconnut tout de suite, chargé de lourds bagages, sa haute taille, ses cheveux frisés et déjà gris, il se voûtait un peu, il était seul….elle questionna...

Alors il la prit contre lui, un long moment, avec toute la tendresse qu’il lui devait ;il raconta les années, la patience, l’amour partagé, le bonheur de chaque instant, l’enfant désiré, jamais venu, la maladie qui lentement creuse sa place, la lutte, l’espoir, et puis  le renoncement, les forces qui manquent, la fin, le désespoir.

Il raconta le vide, la place qu’on ne trouve plus, le goût des choses que l’on perd, il raconta sa beauté, son corps comme une fleur, son rire, et puis il s’assit.

Un long temps ils restèrent ainsi, sentant sa présence, puis il ouvrit un paquet, en sortit une toile qui apporta la lumière dans la pièce, l’accrocha au mur de bois noirci … Ce fut comme un jardin, un rêve,  aux yeux étonnés et souffrants de cette petite vieille, découvrant,blottie en son milieu, Immera, serrant contre elle, des iris jaunes.   

      

 

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