Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
21 juin 2011

Les tribulations d'Eric, par Danièle Geroda

 

Ce texte est né de l'invention et de l'approfondissement de deux personnages, Eric et Reine. Une fois que l'auteure savait presque tout d'eux, elle s'est mise en tête d'orchestrer leur rencontre...


Les tribulations d’Eric . . . sur musique de Luna Parker.

 

 

De vague à l’âme

En terrain vague

Tu divagues . . .

Si vous aviez l’opportunité de rencontrer ce Vendéen d’adoption (pourquoi pas, c’est toujours possible), sûr, il commencerait par vous peindre un triste tableau de son existence passée. N’en croyez rien et relevez l’exagération de ses propos

Vivre ! Vivre avec un grand V, déclare t-il,

Ne pas se contenter de vivoter : refuser de survivre.

Ne pas aller et venir comme le vent vous pousse, mais vouloir toujours voler, voler plus haut, en vainqueur et plus en victime. . .

Tes états d’âme sont pour moi Eric,

Comme les états  d’Amérique.

Tu les visites un par un, Eric

Dans leur ordre alphabétique.

Ces symptômes d’un dysfonctionnement mental d’Eric, aux dires de ses proches, avaient fait leur apparition subrepticement, dès ses 22 ans 2 mois, et avaient redoublé de vigueur, les 26 ans 4 mois atteints. Aujourd’hui qu’il a presque franchi la barrière des 40 ans, le syndrome du mégalo insatisfait semble occuper tout le terrain. A moins que !!!!!

Bon ! Vous allez me dire que moult individus sont confrontés à ce genre de transformations maladives … Je vous le concède. Ce changement, toutefois, radical, en ce qui concerne Eric, devrait vous poser questions.

. C’était simplement un petit garçon fluet. Malade ! Non ou malade d’ennui peut-être, car perdu dans la grisaille et l’humidité de la banlieue parisienne. D’avoir baigné dans ce brouillard indescriptible lui avait fait entrevoir, sans doute, des horizons plus lumineux dans l’ailleurs. L’ici, le là, n’arrivaient plus à le captiver. Il vous parlerait, aussi, de cette enfance tiraillée entre deux parents, ne fonctionnant plus sur la même longueur d’onde, des disputes alimentant leur quotidien et occupant toute la place des 4 murs de la maison. Sans doute que ses désirs d’élargir l’espace avaient éclos dans ce nid devenu subitement trop exigu. Sa liberté, en fait, c’est l’école qui la lui avait apportée, car c’est bien là qu’il pouvait enfin s’aérer avec quelques copains élus et agrandir son champ d’investigations.

Tes états d’âme sont pour moi Eric

Comme les états  d’Amérique.

Tu les visites un par un Eric

Dans leur ordre alphabétique.

 Il vous avouerait qu’il n’en pouvait plus de se contenter  d’un petit jardin, univers réduit de 10 mètres sur 4, beau, certes, mais figé dans un immobilisme crispant où tout perdure, rien ne se transforme. En plus de l’école, l’évasion salutaire trouvait satisfaction dans l’attente du passage des trains, là bas à une cinquantaine de mètres du jardin. Toutes les demi-heures, Eric jouait au garde barrière, saluant tous ces voyageurs inconnus. Grâce à eux, l’espace de quelques minutes, il refaisait son monde, les accompagnant de rêves fous. Eric avait, c’est évident, appris l’heure grâce à sa fervente application à guetter le passage des trains tout en essayant de percer leur mystère. Où allaient-ils ? Qui transportaient-ils ? A quelle vitesse roulaient-ils ? A défaut de train, il n’avait droit qu’à la 2CV retapée du grand-père pour des balades virtuelles, ou aux trois vélos solex camouflés dans le garage qu’il pouvait seulement regarder avec envie. Cela lui avait d’ailleurs donné le désir de partir à la chasse de tout vélo qu’il pourrait récupérer chez les voisins ou dans la famille pour les retaper et les remettre en état de marche. Le refus largement énoncé de la mère de voir stocker devant la porte d’entrée tous ces engins disloqués l’avait fait réfléchir sur un avenir tout tracé. On comprendra ainsi aisément les raisons pour lesquelles il lui tardait d’échapper aux liens pesants de la famille pour en tisser de plus vastes. Après une adolescence étriquée, la préparation d’un BTS commercial vente le confortait déjà dans ses envies de vendre du tout et n’importe quoi à n’importe qui et n’importe où. Blablatérer, baver sa salive, parler enfin avec toute la verve dont il se sentait capable lui fit mettre le doigt sur un devenir prometteur. Du coup, le personnage prit de la hauteur . . . pour ne plus redescendre sur terre.

Tes états d’âme

Sont un leurre

Et mes larmes sont les armes dont tu te sers.

Une méticuleuse sélection de tout individu gravitant autour de lui devint son mode opératoire favori. Hors de question de le prendre à la légère, sans réflexion préalable : devint ami celui qui pouvait rendre compte d’un intérêt certain, pour sa personne, l’ennemi s’étendant au reste des relations.  Les conquêtes féminines firent partie de son nouveau travail d’approche. Il jeta son dévolu sur toutes les belles connaissances, alors propriétés d’anciens copains. Il était déterminé à faire valoir tous ses atouts, d’autant qu’on le trouvait séduisant, ce beau viking toujours tiré à 4 épingles. A 28 ans, on lui proposa un job en Martinique : « vente de lingerie féminine ». Son ego se super dimentionna : il allait pouvoir joindre l’utile à l’agréable : s’expatrier en triant panty de dentelle, soutien gorges affriolants, petites culottes acoquinantes. Il s’envola avec sa dulcinée de l’époque, fermement convaincu qu’il allait recorseter toute l’île. Mais, je crois pouvoir vous dire que couper le cordon familial demeurait sa réussite première. S’éloigner pour 2, ou 3 ans lui procurait une jubilation extrême. Enfin, il se libérait du joug d’une mère trop aimante sans doute, mère qui ne comprit pas tout de suite que cette séparation allait laisser la place à une rupture avérée. Eric devint Monsieur Je.

De vague à l’âme

En lame de fond

Tu surfes entre ces récifs

Mais le courant

Te ramène

Vers le macadam Eric.

 Dévoré par une ambition incommensurable, Eric mit peu de temps à s’apercevoir de l’étroitesse de son île. Les clientes se faisaient rares et ne donnaient en aucune façon dans la dentelle. Le loup aux dents longues piaffait d’ennui et la routine, même au soleil, devenait indigeste. C’est pourquoi il prit rapidement congé et de la copine, et de l’île, toutes deux trouvées décidemment trop fades. Il répondit à une nouvelle annonce alléchante, car prometteuse de lendemains qui chantent.

« Urgent : Société FUTURA : Tout pour la marine ; en pleine expansion, recherche commercial entreprenant pour démarrer une nouvelle entreprise aux Sables d’Olonne. Salaire gratifiant, ascension assurée si compétences confirmées. »

Peu lui importait ce qui était à vanter ou à ventiler, seuls les deux mots ascension et assurée appartenaient au vocabulaire d’Eric.

C’est ainsi qu’en 2 temps, 3 mouvements il se retrouva loin de Fort de France et loin de l’ île de France pour se familiariser avec , cette fois ci, tout le matériel d’accastillage. Il ne lui restait qu’à bien louvoyer au milieu des drisses, des écoutes, des manilles sans trop virer de bord. La divine lingerie céda la place à de nouvelles voiles. Il ne tarda pas à jeter ses filets au sein de la société et bientôt nombre de proies s’approchèrent sans vergogne du tombeur.

Tes états d’âme sont pour moi, Eric

Comme les états d’Amérique.

Je les visite un à un Eric

Dans leur ordre alphabétique.

Aline, Brigitte, Claire, Delphine. Un arrêt un peu plus long sur le cas Eva, et la liste continua ainsi le temps de quelques saisons.

Tes états d’âme sont des lassos

Qui tournoient et s’entrelacent

Autour de moi. .

Abondance de biens ne nuit pas, certes, mais Eric se sentit bientôt trop seul pour continuer sa traversée. Aussi, le prénom Marine attira toute son attention. Habitué à jauger d’un seul coup d’œil les contours physiques de ses dulcinées, il trouva un charme indéniable à cette blondinette frisée aux rondeurs étudiées. La demoiselle fut vite séduite et une histoire se fit jour dès les 34 ans et 5 mois de notre héros. Pas de temps à perdre puisqu’une envie de paternité se mit à le tenailler avec force. Marine avait un petit charme désuet de notre vieille France mais était imbattable sur la tenue de la maison. Il savait qu’elle saurait le mettre toujours à l’honneur et c’est bien ce qu’il lui demandait. Le sois belle et tais toi convenait également à cette secrétaire de la société Futura. Le couple apprit à nager dans les mêmes eaux  et l’arrivée de deux adorables fillettes, blondes à souhait combla Monsieur le cadre supérieur, l’espace de cinq bonnes années.

Mais ce piège

Ne tromperait qu’un amateur

Ton âme sœur

Est une meilleure adversaire.

Habitude, habitude quand tu nous tiens ! Les exigences de Marine plus marquées au sein de la maison, mais non suivies d’effet commencèrent à lasser les deux protagonistes. En dehors des filles qui monopolisaient beaucoup Eric le jour, celui-ci se laissa happer par l’écran de l’ordinateur, la nuit. Surfer dans sa boîte ne lui suffisait plus. Il se mit à surfer avec avidité sur tous les sites de rencontre. Cyber relations ; peut-être qu’au hasard des forums ou des chatt, il apprendrait à découvrir ce qu’il pouvait bien chercher. Il se posa des règles impératives  pour stimuler ses envies et se décida d’évincer toute liaison banale, conformiste ou portant un prénom déjà visité. Il ferait d’ailleurs la pêche des dix dernières lettres de l’alphabet.

Vague à l’âme ou lame de fond

Chaque fois je fonds

Quand tout s’enflamme.

Marine, dépitée, chaque soir, s’enfermait dans une bulle de silence et de désapprobation. Eric appréciait cette liberté accordée du bout des lèvres et rentra dans ce nouvel univers qu’il était libre de parcourir de long en large à chaque lancement de l’ordinateur. Il eut tôt fait de noter les écrits d’une gente demoiselle, pleine d’avenant et de hardiesse qui fondit sur lui, comme neige au soleil. Elle avait déjà suscité la curiosité d’Eric, grâce à un prénom digne du rêve : Reine. « Reine : Ma Reine : ma petite Reine ». Il n’en fallait pas plus à Eric pour cristalliser ses envies de souveraineté, quitte à ne partager qu’un vaste royaume d’idées fantaisistes ou de fantasmes avérés et décoiffant. Chaque jour apportait une petite dose vitaminique à Eric qui ne put, bientôt, plus se passer de cette âme du Net. C’était net, il s’était déjà fait une image de celle qu’il ne pouvait plus considérer seulement comme une confidente.

Reine, ne voulant pas perdre ses prérogatives, menait les effusions, les créait. Eric se laissait aller volontiers dans son manège, chevauchant derrière elle, fasciné par l’allure altière de cette amazone impérieuse. Ce ne pouvait qu’être comme ça, dans ses rêves les plus fous. Avec elle, il se mit à traverser tous ses horizons bouchés. Escaladant les sommets, il allait encore plus au-delà de lui-même, pressentant qu’il lui faudrait encore plus. Toutes les conquêtes passées n’arrivaient pas à la cheville de Reine.

Tes états d’âme sont pour moi Eric

Comme les états d’Amérique

Je les visite un par un Eric

Dans un état d’amnésie.

Bon, ne parlons pas de Marine, qui resterait l’attitrée. Elle serait toujours là, fidèle. Elle, on ne devait pas y toucher. Elle faisait partie intégrante de son paysage. Elle était la mère de ses filles. La réalité écorchait Eric. Comment continuer à partager ces doux moments d’intimité avec sa création du virtuel ? Comment poursuivre cette vie aventureuse ? Il avait tellement le désir, maintenant, de prendre le large et de naviguer au long court. Eric sentait Reine de plus en plus prête à le rejoindre pour parcourir un nouveau monde à deux. L’idéal, pensa-t-il, serait de lui proposer un poste d’hôtesse dans la société FUTURA. Il lui fallait justement recruter une jeune personne, dynamique gaie, ambitieuse, intrépide : toutes les qualités qu’il avait repérées chez sa protégée.

La grande rencontre pour finaliser un entretien bidon fut décidée avec enthousiasme.

 

Quand Reine pénétra dans le bureau d’Eric, celui-ci pensa perdre pied, tout à coup. Une émotion à peine retenue le fit foncer vers la nouvelle venue. Marine se tenait là, devant lui  avec tout l’amour qu’elle lui proposait de ranimer.

Tu surfes entre ces récifs

Mais le courant

Te ramène

Vers le macadam, Eric.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité