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21 décembre 2011

Le gout des choses, par Nathalie Astruc

Toujours dans la série "écrire en décrivant les sensations du goût et de l'odorat", on pouvait s'inspirer de la phrase surréaliste: "Une nuit, saisi d'une petite faim, j'ai grignoté un morceau de chambre". Nathalie a mis cette proposition en abyme, avec beaucoup de... gout!

voie-lactee-550165Une nuit, saisi d’une petite faim, il a grignoté un morceau de chambre, si, si, c’est arrivé. Il était seul, dans sa chambre, assis à son bureau, pour rédiger son nouveau sujet d’examen de philosophie.  Voilà des heures qu’il planchait sur la chose, et tout à coups, il commença à écrire

- Quel gout pourrait avoir votre nom ? Prénom ? Lieu de naissance ? Activité préférée ? ville ? Demeure ?

 

Quelle drôle d’idée que ce sujet de philo pensais-je, mais bon, cette petite chose, là, dans mon histoire, a bien le droit de dire et faire ce qu’il veut, du moment qu’il ne me dérange pas dans le déroulement de mon histoire !

Interloquée, j’entendis qu’il m’interrogeait :

- Que répondrais-tu toi ? Oui, toi le narrateur ?

Est-ce qu’un personnage, même philosophe, a le droit d’apostropher le narrateur ?

Il reprit d’un air moqueur :

- Je répète la question pour ceux qui ne l’auraient pas entendue.

Il semblait clairement s’adresser à moi.

- Quel gout pourrait avoir ton nom ? Prénom ? Lieu de naissance ? Activité préférée ? ville ? Demeure ?

Alors après une très courte hésitation, je me pris à son jeu:

- Astruc, eh bien une douceur croquante style bonbon, qui croustille sous la dent c’est au moins ce qu’il faut pour porter un nom comme çà, à moins que je ne parle de la traduction : « né sous une bonne étoile », et là je vois une soupe d’étoiles, comme celles de ma grand-mère, ou carrément la voie lactée…

Nathalie, ce serait un morceau d’agneau cuit au méchoui croustillant à la peau craquante et plus tendre dessous, mais tu n’as pas le temps de l’apprécier que tu l’as déjà mangé.

 

Puis il se mit à rétorquer à voix haute, comme si je pouvais l’entendre :

- Enchanté Nathalie Astruc, et pour ta ville natale tu vas me dire…Hyères les Palmiers, me fait penser à un palmito.

Et moi de répondre : Et comment t’as deviné ?

- Pour ton activité préférée tu vas me dire quoi, sport de combat ?

- Non, Sabre, et là je te dirais que j’en attends au moins autant que j’en donne, et que mon instinct permanent de survie se réveille…..alors ça m’évoque le gout du sang de cette époque où les sabres servaient à survivre, vivre et mourir. Si tu ne fais pas ce que tu dois pour te protéger et bien un léger gout d’amertume te reste en bouche en plus des bleus, évidement.

Ma ville ? Montpellier, eh bien ce serait une disserte de bruits de travaux ; de fumées de pierres coupées, de crottes de chiens sur lesquelles tu glisses, de rixes d’ivrognes à des heures de retour d’école, m’enfin  un léger gout de sauve qui peut.

Et quant à mon chez moi, c’est un appartement, grand très grand, avec une circulade comme dans tous les espaces qui se respectent, les gens ne sont pas obligés de se croiser tout le temps après tout, quelques moments, sans tomber sur la seconde ou le quatrième, de la tranquillité, une saveur de paix, avant minuit bien sûr, après, une saveur de rage et l’envie de jeter des seaux d’eau par la fenêtre pour les faire taire ces soulards qui hurlent en sortant de boite;

 

Et lui de reprendre,

- C’est bien joli tout ça, tu sembles avoir réponse à tout, et si je te disais de grignoter un bout de ta chambre. Quel gout çà peut avoir une chambre ?

Quelle idée, ce n’est pas un prof de philo que je dépeins, mais un idiot ! Une chambre, quel gout ça peut avoir ? Attendant ma réponse et de peur d’interrompre notre conversation, il reprit :

- Bon OK, la chambre c’est un peu dur, alors, le gout des regrets ?

Je dirais, un truc rance que t’as oublié dans le frigo mais que t’as pas le cœur de jeter…

- Ta chambre ?

Sans réponse de ma part, pour cause de réflexion, il reprit :

- Le gout de l’amour ?

- Une douce soirée sur la plage de Maguelone avec en fond le coassement des crapauds, mais çà c’est pour moi, toi t’as certainement autre chose en tête…

- La tristesse ?

- Celui des larmes voyons …

- Ta chambre ?

- Mais vas-tu cesser de m’importuner avec cette question stupide ?

- De la joie ?

C’est amusant, la joie, je ne l’associe pas à un gout, mais à un éclat de rire, à des éclats de rire, quoi que le rire çà doit  bien « goutter » quelque chose quand même.

- De la jalousie ?

- Au dentiste, aux dents qui se serrent, pour ne pas laisser passer la roulette, au produit de l’anesthésie, oui, la jalousie çà anesthésie la vie.

- Ta chambre ?

- Si tu me poses encore une fois cette question, je referme mon livre !

 

Surpris de ma réaction et conscient de son incidence, il reprit :

- Des remords ? 

- Eh bien un gout d’amertume dans le fond de la gorge.

- Du mépris ? 

- C’est comme la jalousie, le dentiste,  mis à part le fait que tu penses en sortir soulagé, rien ne t’oblige à aller dans cette voie là et pourtant… tu y vas bêtement.

- Du plaisir ?

Je toussote, il reprend :

- De l’enthousiasme ?

- Euh, comment dire, laisses moi réfléchir, se bruler les ailes sans avoir conscience que tu vas te les bruler, et recommencer la fois suivante, et bien le gout du poulet brulé, tu sais quand tu finis de plumer un poulet au chalumeau, cette odeur de plumes grillées et ce léger gout de salive qui t’emplit la bouche.

 - Et la mélancolie alors?

- Les savates qui trainent sur le parquet… en faisant scruitch, scruitch…la bouche emplie de poussière comme quand tu rentres dans un vieux grenier ou tu secoues de vieux albums photo.

- L’angoisse ?

- Une difficulté certaine à avaler… et un arrière-gout électrique sur la langue….*


Et il reprit de plus belle…

- Si je te dis :

- Ta chambre ?

Cette fois ci c’en est trop, tiens, pour ton entêtement, je vais te donner le gout de la patience.

Et ce pauvre prof de philo entêté, se mit à avoir un hoquet de bébé.

Mais il ne se découragea pas pour autant :

- Un courant d’air ?

- Eh bien un humm ou un pfeuuuuu… tu vois le genre de truc qui laisse à penser que tu as beaucoup plus en tête que ce que tu donnes…

- Un rêve ?

- L’envie de fermer les yeux, le grincement de dents des monstres cachés dans le noir, la moiteur de mon corps sous une étreinte, les bonbons de mon enfance quand j’y retourne, et quelquefois même la terre qui m’ensevelira.

- Un clin d’œil ?

- Celui d’un baiser volé

- Un bâillement ?

- Une sucette de bébé

barbe-a-papa- Un nuage ?

- Une barbe à papa j’ai toujours imaginé que les nuages avaient un gout de barbe à papa qui n’a pas imaginé décrocher un nuage et le croquer à pleines dents.

- Un orage ?

- Un serrage de dents à chaque coup de tonnerre, un oh à chaque éclair, en fait à la fois l’enfance et ses peurs et la joie de ces illuminations quelles qu’elles soient qui ont toujours porté leurs fruits … feux d’artifices, décorations de noël.

- Un billet de 500 ?

- Bah !!!! T’imagines, le gout des mains sales quand tu sors du Tram, quoi qu’il ne passe pas entre tant de mains que çà, alors, le gout des rêves, si tant est que manger un billet pouvait me faire rêver !

- Un quart d’heure de retard ?

- Le gout des cigarettes, c’est un quart d’heure montpelliérain, alors faut s’y faire.

- Un vertige ?

- Si c’est celui du vide, la fatale attirance, la mort, si c’est celui des pommes, et bien la pomme, pour les autres, je ne sais pas.

 

Il se tut, semblant gamberger.

Il allait reprendre avec ses questions stupides alors, avant toute chose, je pris un morceau de sa chambre et lui fourrai dans la bouche, il se rendrait bien compte finalement du gout des choses, si il était capable de les gouter.  Et il finit par admettre,

- Oui, tu avais raison, c’est stupide comme question.

Nathalie Astruc

 

 

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