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28 février 2012

La sonate à Philibert, par Jacqueline Chauvet-Poggi

(Un amour déçu entre un piano et un débutant, évoqué par la Sonate en Cmaj de Mozart)

LA SONATE À PHILIBERT

jacquelineclavierQuand j’ai dit à Philibert, il y a longtemps, que j’allais apprendre à jouer du piano, il s’est tout de suite moqué de moi. « Pourquoi pas l’harmonica, c’est plus facile à transporter ! ». Quelle andouille ! C’était pas à lui que j’allais révéler le fantasme qui me motivait. C’était pourtant une image simple et récurrente. Il y avait des gens, un piano que personne ne remarquait, et il y avait moi qui m’avançais, posais les mains sur le clavier, le faisais chanter, offrant aux gens l’ambiance que justement ils souhaitaient. Ils étaient heureux. Ils m’aimaient.

Mais les fantasmes c’est comme les horizons. On s’approche, on s’approche et ils sont toujours aussi loin. Pourtant qu’est-ce que je galérais ! Des gammes tout le long du clavier, de droite à gauche et de gauche à droite ; des arpèges qui montent et descendent les gammes quatre à quatre ; des exercices du ‘Déliateur’ où les deux mains vont ensemble, ou à l’opposé, s’éloignent ou se rapprochent et même se croisent. Le dos de la main bien horizontal, on y place une pièce pour contrôler, et les doigts comme des petits marteaux qui piquent piquent à toute allure.

Bien sûr je ne parlais pas de tout ça à Philibert. Quand il me demandait, ironique « Ça va le piano ? » je haussais les épaules ou lui conseillais d’aller se faire voir ailleurs. J’attendais, pour l’épater, de maitriser quelque chose de bluffant. Le moment est venu avec la sonate en do majeur de Mozart. Moi j’étais fier de ce premier rendez-vous avec Mozart, la vraie sonate, pas des extraits édulcorés pour les enfants. D’accord, on disait que c’était une sonate pour débutants, mais c’était assez hard de la jouer en gardant le tempo avec une main gauche régulière, d’enchainer le relais de la gauche qui monte avec la droite qui embraye, de faire des trilles si légers que ça faisait un son continu.

Un jour que Philibert venait me chercher pour aller au stade, je lui dis d’attendre un moment, que j’avais quelque chose à mettre au point. Et, du haut de mon tabouret, je me lançais, « do- mi- sol- si-dorédo… ». Je m’appliquais, je me trouvais bon. Quand je me suis retourné, Philibert jouait avec le chat, l’air de ne pas faire attention à moi.

Alors ? J’ai dit. « Très joli, il a répondu. Pas très rock’n roll, mais joli! C’est toi qui l’as inventé ? C’est de l’impro ? ». Quel plouc ! Il a fallu que je lui explique comment tout était écrit avec des petits ronds noirs accrochés à la portée comme des perles sur un collier à cinq fils, comment on savait qu’il fallait aller plus vite, plus fort ou ralentir, comment chaque main avait son rôle, pas pareil pour chacune…..

« Alors, il me dit, tu as besoin de tous tes doigts ? On peut pas faire avec seulement deux doigts comme pour la machine à écrire ? »

Là, j’ai failli péter les plombs, puis j’ai eu pitié de lui.

« A ton âge, celui qui a imaginé cette musique en avait écrit plein d’autres où il avait besoin de tous ses doigts mais aussi d’un orchestre et de chanteurs. Il s’appelle Mozart. Tu en as entendu parler ? Non, bien sûr, espèce d’illettré ! »

 Philibert avait recommencé à jouer avec le chat…… "Et puis zut, viens on va au stade, là c’est toi qui m’expliqueras."

Je fus pris d’une bouffée de reconnaissance pour mon professeur grâce à qui je savais tout ça. Elle s’appelait Mademoiselle Fouillon et elle était aussi délicieusement ridicule que son nom. Elle n’était pas une excellente pianiste mais elle avait assez de patience pour nous inculquer un peu de technique. Ce qui m’impressionnait c’est qu’elle tenait l’orgue de la paroisse et que nous étions tout un groupe à déclamer à pleins poumons les messes en grégorien. C’était du sport !

Figurez vous qu’un jour Mademoiselle Fouillon se maria. Nous pensions qu’elle aurait pu se décider quinze ou vingt ans avant mais nous étions contents pour elle. Seulement voilà. Le jour de la communion solennelle, des obligations pré-matrimoniales l’empêchaient de tenir son rôle à l’orgue. Et elle m’a demandé de la remplacer

Quelle émotion ! Avec un seul doigt déclencher une colonne sonore qui remplissait l’église ! La puissance dans les mains ! Et la trouille au ventre ! Je m’empressais de réviser dans mon maigre répertoire quelques adagios qui me semblaient assez solennels. J’aime bien les mouvements lents, j’ai le temps de voir venir ! La virtuosité c’est pas pour moi. J’ai donc joué à l’organiste pendant quelques séquences, jusqu’à ce que Monsieur l’abbé abandonne précipitamment la distribution des hosties, grimpe quatre à quatre l’escalier du chœur, soutane retroussée, et vienne m’arracher à mon trône pour me remplacer. J’ai compris. Adieu orgues et délices !

 Cette déconfiture après l’échec de mon fantasme avec Philibert pour public, ça m’a un peu découragé. J’ai essayé plusieurs fois de recommencer mon ascension vers les grands interprètes mais je suis inexorablement resté sur la première marche.

Le piano est là, fermé. Il est fait d’un joli bois très décoratif. J’ai posé dessus les enceintes de ma chaine Hi-fi et j’écoute, Mozart par exemple. Je ferme les yeux, je me passe en boucle un film intérieur où il y a des gens, un piano, où je m’avance et pose mes mains sur le clavier……

 Pour écouter le morceau qui a inspiré le texte: http://www.youtube.com/watch?v=JcUh-ggBfzI)

 

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