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29 février 2012

Sonata semplice, par Jean-Claude Boyrie.

Sonata semplice.

Sonate 

« Il est bien plus facile de jouer une chose rapidement que lentement. Dans les passages difficiles, on peut laisser de côté quelques notes sans que personne ne le remarque.

Mais est-ce de la belle musique ? » (W.-A. Mozart).

Allegro : Stéphane Largentique était un drôle de loustic : chasseur d'images fanatique, mélomane mystique. Un songe pianistique hantait son univers fantasmatique. Il croyait voir , assis devant le clavier, un personnage à la perruque violette, Mozart psychédélique jouant avec un brio diabolique. Les notes jaillissaient comme autant de perles fantastiques. La main droite du virtuose courait sur les touches, déroulant une alerte ligne mélodique  : do mi sol si do-ré-do. Motif répété l'accompagnant à la basse, accords brisés avec arpèges. Volée de croches, baisers volés. Mais où était passée son autre main ? Enfouie dans un coquin corsage bucolique, elle émettait d'érotiques harmoniques. Trop de notes  ? - Non point, juste les notes qu'il faut ! 

 Andante : reprise du premier sujet sur la sous-dominante, exit l'accorte servante. Un jour, ce musico-photographe lunatique voulut s'ouvrir à l'informatique. On n'en n'était plus à l'argentique ! Un entourage éclectique lui faisait la nique pour sa pratique dépassée. Il dut mettre au panier son appareil hors d'âge et périmé. Mélancolique, Steph' changea de matériel... et de nom : il serait désormais « Stephane numérique ». Las d'impressionner la pellicule, il impressionna ses amis en usant d'un langage amphigourique. À la boutique, il chercha ce qui se faisait de mieux. Pour en comprendre les caractéristiques, il dut décrypter des mots cabalistiques : autofocus, détecteur de nuances et de contrastes, et autres précisions diaboliques. Steph' choisit un modèle « auto-émotif », inscrit au catalogue avec la mention « pour débutants ». C'était un gadget intelligent capable de vivre en symbiose avec son acquéreur. Pratique et discret, cet appareil se portait au poignet comme une montre, il réagissait au moindre battement de pouls et s'activait de lui-même en sélectionnant les prises de vue.

Rondo : tierces staccato. Fier de son acquisition, Steph' arpenta d'un pas guilleret les rues de la ville, en quête de modèles de rencontre et/ ou de scènes insolites. Les capturant en caméra cachée, il n'interagissait pas avec le sujet.

Le couple appareil/ photographe évoluait d'un(e) passant(e) à l'autre avec audace et vélocité. Modulations mineures. Point de cadrage ni de mise au point ; l'opérateur n'en avait nul souci, son complice étant censé tout faire pour lui. La molette de sélection tournait tout seule à l'approche d'un minois frais et joli, avant qu'il se fût enfui. Souvent, une icône bleue apparaissait à l'écran en clignotant. L'obturateur s'ouvrait et tirait des coups en rafale, marquant sa jubilation de cette façon. Quand le sujet peu l'inspirait, les clichés s'espaçaient, car il fallait carte mémoire ménager. Quand (signe d'hésitation ) le voyant rouge apparaissait à l'écran, Steph' (il fallait bien qu'il lui restât quelque chose à faire), décidait en dernier ressort s'il fallait s'arrêter sur tel ou tel sujet. Si oui, l'appareil s'efforçait d'en repérer le meilleur angle. Il faisait ressortir la beauté cachée d'un visage où d'autres n'eussent vu que laideur ou banalité. Affichant les photos, il gommait les défauts du sujet pour recomposer un portrait virtuel à la hauteur des fantasmes de son propriétaire.

 Allegreto gracioso : Sa moisson d'impressions terminée, Steph' revint chez lui, l'appareil rentra dans son étui, les photos s'écoulèrent en pluie dans la mémoire de l'ordinateur. Retour sur images : celles prises aujourd'hui défilèrent en cascade à ses yeux éblouis. À peine les avait-il ouvertes, qu'il fallait trier, éliminer, retailler, retoucher, éclaircir, augmenter les contrastes, estomper les ombres, corriger le flou. Ce travail fastidieux lui procura l'extase en ses multiples opérations : addiction, substitution, multiple action, diversion. Steph' rejouait infatigalement la partition. Vision subliminale ? Hallucination ? Celle qu'il cherchait apparut à ses yeux pour s'évanouir aussitôt. Nouvelle tentative, nouvelle apparition : la femme de sa vie avait les cheveux bleus. Et pas de visage. Lorsqu'il tentait d'en fixer les traits, de sauvegarder l'image fugitive, celle-ci s'échappait à nouveau sans qu'il parvînt à la capturer. Au bord de la crise de nerfs, l'opérateur frappa l'écran dans un geste de dépit. Le verre s'étoila, mille éclats se formèrent. Steph' contempla le résultat. Finalement, c'était beau, cette gueule explosée. Il n'y avait rien à ajouter ni à retrancher. Seulement d'autres photos à prendre.

Visage

 

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