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4 avril 2012

Sans témoin, par Sonia

Ce texte a été écrit à partir du jeu Nonsense (Editions du Hibou, Belgique): Sonia, comme les autres participants, a tiré une carte mots, en a choisi un, puis une carte situation... Cette double contrainte a excité notre imagination et a été à la source de textes inattendus, dont certains seront publiés sur le blog. Vous trouverez situation et mot à la fin de la nouvelle. Carole. 

 

soniaviolonParis, 6 rue de Nantes, dans le 19 ème arrondissement.

7 heures. Le réveil sonne. Ma tête résonne.

7 heures. Ça cogne dans les tempes. Ça cogne au même rythme que le réveil. Tic tac boum boum

Ma tête reste collée à l’oreiller. Tic tac boum boum

Je n’émerge pas. Je ne pense pas. Boum, celui-là est plus violent que les autres. Le boum suivant arrive plus vite, plus fort que le précédent.

J’essaie une respiration lente pour contrer les coups. A l’inspir le ventre se gonfle, les côtes s’écartent, à l’expir, on relâche tout. Sauf que ça ne fonctionne pas,  mais pas du tout ; rien ne fonctionne ce matin. Les coups  rythment mon corps et prennent le pas sur la respiration. Tout se passe dans la tête, devant, derrière. Boum boum.  

Je suis abrutie, je reste en position allongée dans mon lit, j’ai stoppé la sonnerie du réveil, éteint la lumière, l’obscurité semble rendre les choses plus supportables.

Je ne pense pas. Les coups dans la tête m’annihilent, ils remplacent les idées, les mots qui devraient se présenter à moi. Boum, c’est tout.

C’est tout, sauf que ça s’accélère, sauf que ça grossit, que ça va vite devenir insupportable. Tiens, voilà une pensée qui se présente  : ça va devenir insupportable. Il me semble que j’avais d’autres choses à penser ce matin, mais je ne saurais plus dire quoi.

Le malaise descend maintenant vers les boyaux ; une vague envie de dégueuler.

Allez, on se calme, même sans la respiration profonde, on essaie de s’étirer, d’ouvrir les yeux,  gloups, je vais gerber, je fais comment, je ne peux pas me lever.

Bon, je commence à imaginer  que c’est de nouveau une sale migraine comme j’en ai à chaque rentrée des classes, sauf que là, ce n’est pas la rentrée des classes. Voilà encore une pensée qui vient, tout n’est pas perdu.

Alors je ne vais pas paniquer, et comme pendant le travail de mes accouchements, j’essaie de penser aux résistants de tous les pays qui affrontent la torture, il y a pire que ma migraine, donc je vais cesser de psychoter, courage, camarade, allons, un peu de cran. Il faut juste attendre que ça se passe.

Je suis incapable de me projeter plus loin que vers la minute où je devrai vite me lever pour aller gerber aux toilettes. Moment crucial. Ne pas tomber, ne pas en mettre partout, j’ai fait le ménage hier. Finalement, je pense quand même, même si ça reste très limité.

Le mauvais moment arrive, je me hisse, je me traîne, tout va bien, c’est parti où ça devait. Un sans-faute. Je vais vite me recoucher, j’ai vécu ma première réjouissance de la journée, c’est toujours ça de pris.

Un semblant de mieux-être  m’envahit. Mais de courte durée. La nausée reprend, je cours, je vide, je me recouche, je me sens mieux, la nausée revient, je cours, je vide, je me recouche, la nausée, la course, la vidange...

Il est 9 heures. J’en suis toujours au même point.

Pas de panique, je reprends mes esprits, j’attends que ça passe, comme à chaque rentrée des classes. En général, j’en ai pour la journée. Une journée perdue pas de quoi  en faire un flan, berk, rien qu’à la pensée du flan, je me lève, je cours, je vidange, je me recouche.

 

CLAMART, le parvis de l’Hôtel de ville.

Il est 11 heures.

Ils sont tous là, les futurs mariés roucoulent, les enfants sautillent, les parents se congratulent, les amis s’embrassent. Du beau monde, des couleurs. Certains sont venus avec leur instrument de musique, sûrement qu’il y aura une aubade.

Il est 11 heures 20.

Monsieur le Maire arrive, fier de son écharpe bleu-blanc-rouge, salue les personnes présentes, prie doctement l’Assemblée de prendre place.

On prend place. Il y a juste un espace vide, un trou, à côté du fiancé,  côté droit.

On se regarde. On se cherche.

Elle n’est pas arrivée, lance la fiancée.

Le fiancé lui lance un regard chargé.

Elle : tu vois, je te l’avais dit, on ne peut pas compter sur ta violoniste,  tu l’as quand même choisie comme témoin.

Lui : chérie, ce n’est pas le moment de dire des mots blessants

Elle : j’en étais sûre

Lui :  chérie, elle a dû être retardée par des embouteillages

Elle : tu es toujours à la soutenir, même dans l’orchestre, quand elle joue faux et que ça grince, tu ne la reprends pas, on pourrait bien se demander pourquoi

Lui : chérie, ce n’est pas le moment des reproches, on aura toute la vie pour ça

Elle : ça choque même le premier violon

Lui : chérie, on arrête cette polémique de mauvais goût

Elle : et on fait quoi, avec un témoin sur deux ?

Lui : elle va arriver, elle ne me, pardon, elle ne nous ferait pas un coup pareil

Elle : il est mignon, ton lapsus

Lui : chérie, ne commence pas dans la psychologie de café du commerce

Elle : là, ça commence à me chauffer

Lui : chérie, calme-toi je te prie, car même en son absence, la cérémonie se tiendra.

 

Dans la salle, l’inquiétude se fait sentir.

 

11 heures 30, Monsieur le Maire  se met en place.

Il regarde vers la place vide à droite du fiancé, interroge les futurs mariés du regard, comprend à leur mine qu’il ne doit pas s’en outrager, prend la parole. Le sourire gibbs aux lèvres, Il raconte plein de jolies choses, l’amour toujours, les enfants qui viendront, et tout le reste. Echanges d’alliances. Baiser appuyé. Applaudissements. Larmes des mères, larmes de belles-mères. Mouchoirs délicats. Sortie dans l’ordre rituel. Sur le parvis, quelques musiciens prennent leur instrument et jouent des airs traditionnels de mariage, il manque juste le violon, c’est tout. Dans ces airs, ça fait tâche. Personne ne semble oser évoquer l’absence de la violoniste. Mais les regards en disent long.

 

PARIS, 6 Rue de Nantes, 19 ème

 

17 heures 30

 

Je me réveille.  Il me semble que je vais mieux. Je respire, les nausées ont disparu, les coups dans la tête aussi. Il me reste un crâne endolori, mais là, c’est supportable.

J’ai dû dormir longtemps. Je suis abrutie, je tente de reprendre mes idées. Je regarde l’heure, 17 heures 30.

Mais au fait, le réveil tout près de moi, le violon sur la table de la chambre, les chaussures italiennes à talons très très hauts en bas du lit, la robe Sonia Rykel et le chapeau  sur la chaise…

Voilà, le principal, c’est que la migraine soit passée.

Sonia, mars 2012

 

 mot: Violon      situation: une migraine m’empêche de me lever et aller au mariage dont je suis témoin

 

 

 

 

 

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