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16 mai 2012

Le diable au corps, par Karima Hadjaz

Piste d'écriture: Ce texte est né du jeu NONSENSE, qui impose une double contrainte: d'abord on choisit, sur une carte "mots", un terme parmi ceux proposés. Puis notre voisin tire une carte "situation" et nous lit l'une de celles proposées.

Mot: diable. Situation : sur la piste de danse, vous reconnaissez votre ex-femme en compagnie de…

 Le diable au corps

C’est pas vrai, c’est pas elle, pas avec ce con ? Je crois rêver. Elle est là à sa dandiner sur la piste, les projecteurs sur elle, le corps se balançant de gauche à droite dans un mouvement nonchalant. Et lui qu’est-ce qu’il fait avec elle ? Je croyais qu’elle le détestait. J’ai du mal à le croire… puis quel accoutrement ! Je m’avance pour essayer de distinguer son visage et m’assurer que mes yeux voient bien dans cette obscurité à moitié artificielle. Je me faufile éperdu, obnubilé par ses mouvements lancinants, saisissant chacune de ses courbures. Mon cœur bat très fort. Mon meilleur ami, c’est pas possible. Puis elle, qu’est-ce qu’elle est belle ! Il lui prend la taille, la soulève, elle parait heureuse, déchainée aussi. Je ne l’avais jamais vue comme ça.

Qu’est-ce qu’il me prend, elle me jette comme une vieille chaussette, elle me pousse à la haïr et moi je suis là à la lorgner dans cette salle avec ce con. Bon ressaisis-toi mon grand, un peu de fierté. Je suis sorti pour rencontrer des gens, boire un coup, danser… Allez détourne ton regard, fais ta vie.

J’essaie de me concentrer sur la musique, sur la joie et la folie qui règne dans cette salle souterraine, propice aux possibilités nouvelles. Allez un cul sec… La musique se déchaine, je sens mon corps transporter des hormones vers chacune des cellules de mon être. Je commence à éprouver une sensation de légèreté, comme si mon corps se vidait… l’alcool commence à faire son effet. J’adore les années 80, indémodable cette musique. Que de souvenirs ! D’ailleurs je me souviens bien, c’est sur une chanson de Whitney Houston que s’est conclue notre union à Jessica et moi. Elle a duré quinze ans quand même. C’est une belle histoire… enfin c’était.

— Salut Jeannot, t’étais où ? ça fait une paye que je te cherche.

— J’étais là. T’as vu là-bas ? dis-je montrant du doigt Jessica avec JO. T’as vu cette garce, elle se tape Jo. Et lui ce bouffon, il me dégoute. C’est ça les potes…

—Bon c’est bon tu vas pas bloquer sur eux là, ajoute Sam, regarde autour de toi, y a que ça, des belles nanas… en plus t’es libre comme l’air. On est venus faire la fête, s’éclater, oublier la semaine, les soucis, le quotidien et toi à peine elle apparait, tu délires. Elle ne va pas revenir. T’es beau, sérieux, un mec bien, tu vas en trouver une autre. Une de perdue, dix de retrouvées comme on dit ! Viens on change de salle, y a de la musique qui déchire dans la salle Afro.

 — T’as raiso.

En me dirigeant avec Sam dans l’autre salle, mon regard reste accroché à elle. Je me rends compte malgré obscurité, à quel point elle est belle et désirante. Je n’avais pas vu cette beauté chez elle. Ses mouvements saccadés sous ces néons la rendent parfaite. (C’est surement lui qui la rend aussi belle, aussi rayonnante ?). Je n’ai pas réussi à la rendre heureuse et elle a décidé de se barrer. Elle a eu raison. Suis qu’un pov’ con qui n’avait rien compris.

— Allez, décroche mec, on est quand même venus ce soir pour changer de peau, boire, laisser libre ses pulsions et vibrer au rythme de la musique. Elle ne va tout de même pas te pourrir ta soirée, non ?

— OK, OK, tu ne trouves pas qu’ils ne vont pas ensemble ? Je lance en hurlant.

— T’es incorrigible. Viens.

Sam prend mon bras et me traine dans l’autre salle en me tendant un verre de vodka plein.

En effet dans l’autre salle, la piste est pleine, bondée, les corps se déchainent, s’enlacent, sautent, remuent, se bousculent, les bras gesticulent. Tous serraient comme des sardines, en harmonie. Une immense chaleur se diffuse par mes pieds et envahit en quelques secondes mes sens. Je me laisse saisir pas cette vague. C’est elle qui va me sauver et m’emmener vers des contrées inconnues. Je veux boire, m’enivrer, oublier ce mirage dans l’autre salle, l’oublier elle. Et lui surtout. Rien que de penser que son corps caresse le sien au rythme de la musique cela me rend malade. Je me faufile en dansant sur cette piste glissante. Je veux être au centre, capter la lumière du néon, me transformer sous son halo. Découvrir mon corps qui se fragmente et se reconstitue sous cette lumière phosphorescence. Je sens en moi monter cette fièvre qui me rend autre, qui me donne confiance. Je souris aux filles, aux garçons. Je me regarde danser dans le miroir en face. Je bouscule, laisse balader mon corps au rythme tribal de la musique. Je suis un autre. J’enserre la taille d’une femme, qui me jette un sourire affectueux et gentil. Elle se détache de moi, sans m’injurier. Je lui offre un sourire. La chaleur, la sensation de plaisir m’envahissent. Mes membres se commandent tous seuls. Je suis de ma voix les paroles de la chanson, je me prends pour une star. Je me sens détaché de la foule. Le DJ annonce une chanson que j’adore. Je sautille de joie, je me sens exalté, euphorique….

 

… Puis je revois cette femme aux lèvres pulpeuses s’approcher de moi, souriante comme si elle voulait quelque chose. Je me dirige vers elle, je vole. Je suis en gravitation sur cette scène… je bouscule mes voisins que j’aperçois dans le prisme de mes yeux, se mouvoir dans un mouvement lent, la musique ralentit doucement, mon corps s’alourdit. Mais ce n’est pas grave, la musique m’entraine toujours, j’aime trop ça. Je suis en face d’elle, je danse, maitre de mon corps qui obéit au rythme répétitif de la musique qui me soustrait à la réalité. Je suis trop bien. Je veux rester ainsi, j’oublie Jessica, ce con et puis…

 

— Alors ça va, Jeannot ? calme-toi. J’entends au loin ses paroles. C’est Sam qui me secoue la tête. Je suis dans ses bras. Il me tenait la tête, sous des lumières puissantes.

— Qu’y a-t-il, je suis où.

— Ben tu ne te rappelles pas ? m’interroge Sam

— non, ah j’ai mal au crâne, il est quelle heure ?

— il est 6 heures du mat, tu te rends compte de ce qu’il s’est pass… ? J’aurais dû rester avec toi, mais là franchement tu m’as bluffé.

— qu’est-ce que j’ai fait, c’est quoi ce délire ?

— T’étais déchainé, t’étais un autre quoi… j’en revenais pas de te voir comme ça. T’étais comme possédé. Ton corps n’a pas arrêté de danser, un mec dans la salle nous a dit que t’étais en transe. C’est incroyable. On a été obligé de te saisir à deux et de te secouer. Ton corps balançait en avant, en arrière, en avant, en arrière. Ça m’a fait drôle, c’est pas ton genre. J’ai rien compris.

— Tu rigoles ou quoi, en transe… c’est impossible.

— Si je te jure, j’ai vu tes yeux transparents, ton regard vitreux, je te parlais, tu ne me calculais même pas. C’est fou. T’étais sur une autre planète. C’est la première fois que je vois ça de ma vie.

— N'importe quoi en transe manquait plus que ça. On est où là ?

— Sur Mars, tu te souviens !

 

 

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