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29 mai 2012

Simple reflet d'un miroir... par Rolande Bernard

Piste d'écriture: l'univers de René Magritte. Cette toile, La reproduction interdite, a inspiré à Rolande un héros se questionnant sur sa propre identité. Quand la transmission devient injonction à la seule reproduction, rien ne va plus...

 Simple reflet d'un miroir...

magrittereproduction interdite« Quel est le reflet de ce miroir ? Je suis tantôt de ce côté, tantôt de l’autre, que veux-je fuir ?

Je veux me fuir moi-même, je n’ai jamais compris qui j’étais. Depuis mon enfance je me cherche, j’ai mal vécu mon arrivée dans ce monde.

Déjà le prénom que l’on m’a attribué ne peut déterminer, quand on le prononce, de quel côté du miroir je suis : féminin, masculin ? Aimé, ou Aimée ?

Jusqu’à l’âge de six j’étais fluet. De belles boucles blondes encadraient ma figure poupine. Comme ma mère avait désespérément voulu une fille, j’étais souvent habillé avec des  vêtements de coupe féminisée.  Tout ce qui a trait à cette période ne m’a toujours pas permis de savoir de quel côté du miroir je me trouvais.

J’ai oublié de te dire que j’ai passé mon enfance et mon adolescence dans un milieu de femmes. Ma grand-mère s’est retrouvée veuve après la naissance de son deuxième enfant, ma mère, et ne s’est jamais remariée. Vingt ans plus tard ma mère, délaissée par mon père dès ma venue, est redevenue célibataire. Ma tante, sa sœur, n’a elle jamais trouvé un mâle pour la satisfaire. Comment évoluer en tant que garçon, dans un univers aussi hostile à l’homme ?

A quinze ans, révolté, je quittai le lycée et errai pendant un an sans occupation, sortant et revenant dans la maison sans que ni ma grand-mère, ni ma mère ni ma tante se préoccupent vraiment de moi. Désormais je ressemblais trop à un homme pour qu’elles puissent m’aimer.

Un jour, complètement perdu, j’entrai dans une église. J’aperçus un prêtre en prière. Moi je m’agenouillai et je pleurai. Un peu plus tard cet homme, me voyant si démuni,  vint me parler. De conversation en conversation, il parvint à me convaincre que je pouvais me retrouver du bon côté du miroir, grâce à l’aide qu’il pouvait m’apporter, et à Dieu. Bientôt j’entrai au séminaire. Effectivement je me retrouvai de l’autre côté du miroir, dans un milieu exclusif d’hommes qui me guidaient mais me contraignaient aussi, en projetant sur moi leur reflet, comme l’avaient fait les femmes de ma famille.

Finalement je renonçai à la prêtrise, mais devint professeur dans un collège catholique. J’avais vingt-deux ans.

Dès lors je voulus faire mes propres expériences, devins Aimée pour un homme qui tomba amoureux de moi, puis plus tard Aimé, pour une femme.

Désirée m’a annoncé tout à l’heure qu’elle attend un enfant de moi.

J’ai trente ans, mais je me sens aussi affolé que si j’en avais cinq. Je ne sais pas si je suis capable de devenir père, moi que mon père a abandonné avant ma naissance.

Désirée avait-elle été comme moi à la recherche de savoir de quel côté du miroir elle se trouvait ? Non, sa famille l’avait aimée, entourée, aidée à devenir adulte. Elle est épanouie. De plus, elle est l’opposée de ces trois femmes qui m’ont rejeté. Blondes, alors qu’elles sont brunes. De doux yeux bleus, alors qu’elles avaient des yeux noirs perçants. Une voix suave et chaleureuse, alors que leurs voix étaient aigues, criardes, stridentes. C’est pourquoi je me suis attaché à cette femme, qui m’apporte tout ce dont j’ai besoin pour être du bon côté du miroir, qui n’ignore rien de moi et qui m’aime comme je suis.

Mais l’annonce qu’elle vient de me faire me bouleverse.

Dans ma détresse je me suis réfugié dans ce café… Tu étais là… Nous avons engagé la conversation… Tu m’as invité à venir dans ta galerie. Dès mon entrée, je me suis retrouvé devant cette toile qui montre un homme et son reflet dans un miroir, mais homme comme reflet sont de dos. »

Aimé cesse soudain de parler. Son interlocuteur, un quinquagénaire vêtu d’un costume classique, regarde avec étonnement ce jeune homme qu’il vient de rencontrer et qu’il a l’impression de connaitre comme s’il l’avait fait. Pour masquer son trouble, il retourne à son rôle de galeriste et commente le tableau.

- Tu vois, dans cette toile, on peut voir l’impossibilité de l’autoportrait, grand sujet pictural pourtant. Cet artiste a montré l’acte de peindre, l’ironie du sujet absent qui se reflète dans un miroir lui-même illusion picturale. Le sujet dans ce cas ne peut que se répéter à l’identique, et non se refléter. Il a appelé ce tableau « Reproduction interdite » pour dire que la toile est une toile, et seulement cela…

Le jeune homme l’interrompt dans son exposé :

- J’ai l’impression que c’est mon propre dilemme qui a été représenté. Cet homme sans visage me ressemble, même couleur de cheveux, même port de tête… Moi aussi je me sens un sujet absent, se reflétant dans un miroir constamment faussé. Moi aussi j’ai le sentiment que me reproduire m’est interdit, que ce serait transmettre une malédiction…

Le galeriste regarde le jeune homme avec de plus en plus d’attention. Il finit par lui dire :

- Moi aussi, j’ai envie de te raconter mon histoire. J’étais fiancé quand la guerre est arrivée. Je suis entré dans la résistance, j’ai été arrêté, j’ai pu m’évader mais je n’ai pas pu contacter sa fiancée pour la prévenir, afin de ne pas la mettre en danger. J’ai traversé la Manche et servi comme pilote. Après la guerre j’ai cherché à retrouver cette jeune fille, mais toutes mes lettres me sont revenues non ouvertes. J’ai pensé qu’elle avait déménagé, ou pire, qu’elle était morte, et j’ai été triste longtemps. Puis j’ai fait ma vie en Belgique. Je ne suis rentré qu’il y a peu. Passionné de peinture, j’ai ouvert cette galerie, pour faire connaitre les peintres anglais et belges aux Français. En te regardant, si semblable à moi quand j’avais ton âge, je me demande…

La mère de ma fiancée m’avait toujours été hostile. N’est-ce pas elle qui a renvoyé mes lettres ?

Le jeune homme dit, d’une voix tremblante :

- Ma mère s’appelle Alice Martin… j’ai une tante, Anne… et ma grand-mère…

- Ta grand-mère se prénommait Aline, et avait juré que tous ses enfants porteraient un prénom en A.

- Voilà pourquoi je me prénomme Aimé.

- Je n’avais jamais imaginé qu’Alice était enceinte, nous prenions nos précautions… Me croiras-tu si je te dis que vraiment, je ne savais pas ?

- Moi je sais…

Enfin, Aimé pouvait mettre un nom, un visage, sur l’homme qui l’avait engendré. Cela le rassura, l’apaisa. Il prit conscience qu’il pouvait désormais être du bon côté du miroir.

Jean Cocteau écrivait : « Les miroirs devraient réfléchir un peu plus avant de renvoyer leur image. »

Il avait réfléchi.

- Désirée je l’aime, se dit-il, et ensemble nous saurons élever notre enfant pour qu’il devienne lui-même, et pas une simple réplique.

 

 

 

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