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19 mai 2014

Trois jours avec la noyée souriante, par Rolande Bernard

Piste d'écriture: le fantastique.

Je me souviendrai toujours de mon séjour dans ce petit village de Norvège. Je voulais enquêter sur mes ancêtres du côté maternel. J’avais loué un petit chalet isolé près d’un grand lac. Avant mes recherches, je voulais me réserver huit jours pour faire de la méditation.

J’étais partie sans mon compagnon. Je venais de passer une année harassante du fait de mon travail, et douloureuse par la mort tragique de mes parents. Quand je pris possession de ma location, je trouvai l’endroit sinistre, avec des berges envahies de broussailles, et un pont qui avait dû être très beau, mais aujourd’hui en ruines. Cependant la surface du lac était pleine de reflets enchanteurs, et j’avais tellement besoin de calme… de retrouver une paix de l’âme et de l’esprit, que me persuadai que ce trou perdu serait propice à un ressourcement, et que rien ne viendrait troubler ma tranquillité.

Je passai l’après-midi à m’installer dans l’habitat sommaire. Après avoir soupé, je résolus d’aller près du lac. Le ciel scintillait de mille étoiles, l’air était froid mais j’avais pris la précaution d’emmener une couverture. Je m’assis par terre en tailleur, et entrai en méditation. Depuis combien de temps étais-je là, dans le calme le plus complet, quand j’entendis un bruissement sur l’eau ? J’ouvris les yeux et quelle ne fut pas stupeur de voir apparaitre une femme qui me sembla d’abord nue ; puis je distinguai une robe blanche, transparente, qui lui collait à la peau. Sa chevelure blonde lui ruisselait jusqu’au milieu du dos. Ses hanches et ses jambes demeuraient cachées par les flots, mais elle ne semblait pas faire d’efforts pour se tenir là, debout, immobile. Elle me regarda en souriant.

Devant ce spectre ou cette sirène, d’un bond, je fus debout.

Elle me dit : « Ne sois pas effrayée. Je profite que le Maelstrom soit endormi pour venir à la surface. Et pour te dire : fais attention à toi. Bien que dans l’œil du Maelstrom veille le gardien du phare, si tu lui plais, il peut t’engloutir à tout moment, comme il l’a fait pour moi.

Il y a bien des années, quand je fis sa rencontre sur le Pont des inondés, celle-ci me fut fatale. Il m’a prise dans ses entrailles, et depuis mon corps erre dans les profondeurs de ce lac…

Tu me diras : que faisais-je sur ce pont ? Fascinée par les mouvements du courant, j’étais venue y observer sa puissance. Le premier jour, j’étais avec mon petit garçon, et il ne se passa rien : nous avons regagné la rive sains et saufs. Le deuxième jour, j’étais avec ma petite fille, et j’eus l’impression que les flots se soulevaient pour l’attraper. C’était comme la queue d’un orque géant qui aurait voulu nous envelopper. Alors, je dis à mon enfant, Fuyons, et j’ai couru avec elle vers la sécurité de la maison. Mais j’étais peintre, et je ne m’étais pas assez emplie les yeux de la beauté de ces tourbillons. Aussi le troisième jour, je revins seule. Dès que je fus sur le pont, je sentis sa colère. Tyrannique, il ne m’avait pas pardonné de lui avoir échappé deux fois. Pourtant, j’avançai jusqu’au milieu des arches, et là, je fus happée par une vague immense, j’eus beau reculer, je tombai dans la gueule de ce monstre.

Depuis, j’ai eu du temps, trop de temps, pour contempler la beauté des fonds aquatiques. Peut-être que si ce lac est si réputé pour la palette nuancée de sa surface, j’y suis pour quelque chose… Mais cela ne valait pas de ne pas voir grandir mes enfants. »

J’étais restée sans voix. Elle me jeta un regard triste. Tout en disparaissant dans l’eau, elle me dit : « Peut-être à demain. »

Je demeurai là, étourdie. Etais-je victime d’une hallucination ou d’un mirage ? N’étais-je pas en train de devenir folle ? Je rentrai au chalet dans le plus profond abattement. Pourquoi restai-je ? Peut-être pour vérifier la lucidité de mon esprit. Mais aussi, j’avais été bouleversée par l’histoire de cette jeune femme. Ma mère m’avait souvent raconté que sa propre grand-mère, disparue prématurément, avait été peintre. Etait-ce une coïncidence ? Pourtant les femmes peintres étaient rares à l’époque, surtout à la campagne. On en parlait très peu, car on n’avait jamais retrouvé son corps, et on avait pensé que peut-être elle avait fui le milieu familial, en abandonnant ses enfants.

Le lendemain soir, toute fébrile, je me postai au même endroit, et tant bien que mal, entrai en méditation. Elle m’apparut comme la veille, un peu anxieuse me sembla-t-il, comme quelqu’un qui a peur de voir surgir quelque chose. Mais je ne lui en fis pas la remarque, de peur de la gêner. Elle resta un long moment, silencieuse, à me dévisager, puis elle me posa quelques questions sur moi et ma famille, auxquelles je répondis tant bien que mal. Mais quand à mon tour je la questionnai et lui demandai son nom, elle s’enfonça dans l’eau, en criant : « Fais attention à toi ! il est féroce. Fuis maintenant. »

Je rentrai encore plus troublée que la veille. Tout cela correspondait tant à l’histoire de ma famille, mais n’étais-je pas en train de sombrer dans la démence en m’obstinant à vouloir questionner une noyée ?

Le troisième soir, elle paraissait encore plus tourmentée que la veille. J’osai lui demander pourquoi : « Il va se réveiller, me répondit-elle, et je serai prisonnière de ses caprices, bien qu’il m’appelle sa Noyée souriante… » Elle hésita un instant puis, un ton de supplication, ajouta : « Pour la tranquillité de mon âme, je t’en prie, explique à mes descendants que je n’ai pas abandonné mes enfants, mais que c’est le Maelstrom qui m’a engloutie. » Je lui promis. « Tu me ressembles tant, conclut-elle. Prends garde à ce qu’il ne te prenne pas, toi aussi. » 

Sur ces mots, elle disparut. Subitement je vis le ciel s’assombrir, le vent souffler par fortes rafales, et le lac se déchaîner dans un puissant tourbillon, qui menaçait de m’avaler sur son passage. J’eus si peur qu’il me happe que je courus m’enfermer au chalet, et décidai de partir. Avais-je rêvé tout cela ? En tout cas, cette histoire paraissait plausible. Je décidai de me procurer un portrait de mon arrière-grand-mère.

Le surlendemain, j’appris qu’on avait retrouvé le corps d’une femme noyée, que nul ne put identifier. Elle avait de très longs cheveux blonds, et était vêtue d’une robe de coupe ancienne, blanche. Elle serrait dans sa main droite un pinceau.

 

 

 

 

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Commentaires
M
Un beau conte, qui par le fantastique ramène à un thème actuel, l'interrogation sur la mémoire familiale et ses répercussions.
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