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27 juin 2012

Sultan, par Michelle Jolly

Piste d'écriture: le dialogue avec plus de deux interlocuteurs.


SULTAN

 

En poussant la porte elle s’aperçut que Sultan n’avait pas quitté la cheminée, semblant dormir, poussant de temps en temps, de petits cris sourds qui le faisaient trembler de tout son vieux corps. Il était encore tôt, elle ramassa un livre qui trainait par terre, les verres où restait un fond d’alcool : « Va falloir trouver une solution pour ce chien, pensa-t-elle, puis, elle entra dans la cuisine où l’attendait la vaisselle de la veille.

Jeanne Lopers venait depuis dix ans un peu avant huit heures faire quelques heures de ménage ; Adrien n’était pas encore levé. Elle prépara vite son café, car elle savait qu’à huit heures trente il allait descendre, murmurer dans sa barbe un faible bonjour, avaler sa tasse debout, mettre son éternel chapeau de brousse, et se précipiter dehors, une pomme dans sa poche, et d’habitude le chien sur les talons. C’était ainsi depuis si longtemps qu’elle en souriait en le regardant se préparer, elle le connaissait si bien..

Adrien était journaliste, reporter, habitait Paris, souvent en déplacement, mais n’oubliant jamais sa maison normande, dès que quelques jours le permettaient.

- Cette fois ci, j’en ai pour un mois, Jeanne, murmura-t-il en posant sa tasse, je pars loin, et vous confie la maison, comme d’habitude, Henri, le voisin, vous aidera il me l’a promis.

- Va falloir trouver une solution pour Sultan, dit elle tout bas, il en peut plus, puis, un peu plus fort, vous n’êtes pas venu seul ! 

- Non, vous le savez bien, vu la vaisselle.. 

« Une encore qui laisse des traces de rouge et m’adressera pas la parole ! »

- Jeanne !! vous êtes sûre de votre vétérinaire ? 

- Oui il est trop vieux et il souffre beaucoup, alors, y a pas d’autre solution… même que la dernière fois, elle est passée avec sa valise devant moi, m’a bousculée, sans un mot ! J’existais pas ! … alors qu’est ce que vous décidez ? 

-  Laissez le dormir, on verra tout à l’heure.. 

…- Jeanne, c’est bien deux roses et un grimpant, pour les géraniums que vous m’avez demandés, réclame Henri d’une voix tonitruante en surgissant dans la pièce, oh ! pardon monsieur Adrien, je vous avais pas vu, c’est le moment, au jardin, pour les fleurs, et ça attend pas ! 

- J’aurai besoin de vous, Henri, monsieur part un mois. 

- Vous connaissez le vétérinaire Henri ? il est sérieux ? demande Adrien

- Un mois ! encore dans un beau pays, j’suis sur ! Et loin ! J’aurai aimé moi aussi faire des voyages, mais ce n’est pas possible ici, y a la terre, on la laisse pas comme ça… doit y avoir de drôles de belles filles là-bas ? 

- Y’a pas que là-bas ! s’exclame Jeanne en sourdine.

- Bien sûr qu’il est sérieux, c’est le meilleur du comté, réplique Henri en ouvrant la porte ; Adrien le suit, puis prend un chemin vers le bois.

…Cela faisait quinze ans qu’il prenait ce sentier, tous ces jours avec ce faux setter à poils roux, un peu bancal, trouvé dans une ferme alentour dans une portée mal accueillie et l’appelant Sultan, par dérision. Ils s’étaient plus l’un et l’autre, le chien acceptant les longues absences, les voyages imprévus, puis exultant dans des retrouvailles bruyantes et joyeuses, des promenades interminables qu’il pleuve ou vente, et les retours fatigués où l’on partageait parfois un lit, aux grands cris de Jeanne !

Il s’arrêta, au loin les collines s’arrondissaient vers la mer, trait bleu soulignant l’horizon, le ciel était dégagé, cette fin d’hiver hésitait, un rien de soleil, il aimait être là, Sultan à ses pieds, reprenant son souffle, regardant comme lui dans la même direction, ce mimétisme l’émouvait toujours.. Que se passait il dans la tête de ce chien ? Qu’attendait-il là bas prés de la cheminée, effondré de douleurs ?

« Faut trouver une solution », avait répété Jeanne. Ces mots déchiraient ses oreilles, il fit demi tour, respira fort l’air encore frais, puis rentra en trainant les pieds. Machinalement il alla chercher une couverture, enveloppa Sultan, c’était facile, aucune résistance, il porta alors le lourd paquet dans sa voiture ; puis, dans un bruit violent de pneus qu’on écorche sur le gravier, il disparut sur la route.

 

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