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2 octobre 2012

L'aveugle et le petit prince, par Louis Portejoie

 Piste d''écriture: écrire avec le non visuel, les sons, les sensations tactiles, les parfums...

L'aveugle et le petit prince

 Albert balaye de sa canne blanche l'entrée de la médiathèque André Malraux : la porte s'ouvre automatiquement avec un glissement feutré, il avance à pas comptés, une jeune femme s'approche, plutôt embarrassée : « Il n'y a pas de livres en braille, s'excuse-t-elle, mais à la médiathèque du centre ville il existe un département pour les non voyants.
- Avez-vous des exemplaires du Petit prince ? questionne Albert ?
- Oui je vous les apporte, installez vous."

Elle diffuse un parfum de cyprès ou quelque chose comme ça, elle s'éloigne puis se ravise et revient : le parfum s'estompe un peu puis se fait plus insistant. Elle semble hésiter : ses talons glissent un peu sur le sol puis claquent en faisant demi tour ; elle a voulu poser une question puis sans doute a-t-elle jugé que c'était inutile ou même idiot : le parfum disparaît, et ses pas s’accélèrent .
Elle revient avec plusieurs exemplaires, un peu intriguée. Albert remercie et lui demande de rester là : les pas marquent les distances, sans doute a-t-elle demandé l'autorisation à la directrice.
Elle revient puis s'assoit et présente le premier ouvrage. Albert le soupèse, comme pour en évaluer le poids, se penche pour sentir la couverture et les pages qu'il ouvre une par une : éliminés ! Tous ! Il n'en a retenu aucun et demande s'il n'y aurait pas une édition plus ancienne.
Le parfum tourne à nouveau, elle part sur la droite, ça discute derrière, puis le cyprès revient par la gauche : "Excusez-moi, nous avons une édition ancienne de chez Gallimard mais on ne la met pas en rayon, vous comprenez, c'est une édition rare."
Albert pose le livre et le caresse de la main, puis il se penche et le respire, il semble lire avec le nez ! Il tourne les pages doucement toujours en faisant tournoyer le texte :
"Puis-je vous aider? suggère la jeune femme.
- Oui , volontiers, les dessins sont trop petits sur les nouvelles éditions, voudriez-vous prendre mon doigt et le passer sur le dessin du renard et du petit prince, doucement, ils sont loin l'un de l'autre, ils vont se rapprocher progressivement un peu plus chaque jour : 
Les hommes achètent des choses toutes faites chez les marchands mais comme il n'y a pas de marchands d'amis les hommes n'ont pas d'amis , si tu veux un ami apprivoise moi. C'est bien ça hein ?
- Oui, c'est ça, se trouble Virginie :
- Maintenant la rose s'il vous plaît ! Aie, elle a des épines ! Vous sentez le parfum ? Mettez votre nez sur le dessin, respirez … c'est fort hein ?
- Oui, c'est fort, un peu trop fort ! s'exclame Virginie.
- Un peu prétentieuse cette fleur ! plaisante Albert.
C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui rend ta rose si importante. C'est ça hein ?
- Oui, c'est exactement ça !
- Maintenant caressez le livre, doucement, tendrement, sentez-vous dans vos mains tous les regards qui ont parcouru ces pages ? Un livre est la somme de ce qui est écrit et de tous les yeux qui l'ont lu. La richesse d'un livre, comme la richesse d'un tableau, c'est la rencontre du livre et des yeux qui lui ont donné son épaisseur... Sentez vous les couches successives des regards qui se sont posés sur lui ? Soupesez-le, chaque feuille est comme un mille-feuilles des yeux qui l'ont parcouru : ajoutez y les vôtres, voyez comme les feuilles sont emplies des couleurs de tous ces yeux ? Les vôtres sont bleus, n'est ce pas ?
- Oui, murmure Virginie.

"On ne voit bien qu'avec le cœur l'essentiel est invisible pour les yeux, dit le renard.
- L'essentiel est invisible pour les yeux", murmura Virginie afin de se souvenir.

 petit_prince

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