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24 mars 2020

Piste d'écriture : parfums, sensations, sentiments

 

tilleul

Exemple tiré d’Une gourmandise, de Muriel Barbery, éd. Gallimard, 2000, Folio 3633

 Un critique culinaire, confiné dans sa chambre, est en quête d’une saveur qui lui trotte dans le cœur. Il ne parvient pas à l’identifier. Alors, il se souvient, au gré des méandres de sa mémoire gustative. Dans ce chapitre « Le potager », il convoque surtout les senteurs.

Je vous laisse découvrir ce texte, puis je le commenterai et vous proposerai des pistes d’écriture. Vous pouvez télécharger le fichier PDF de cette séance. Une_gourmandise_Muriel_Barbery_les_odeurs

 

Aucun, jamais, n’égalera en finesse le nez de tante Marthe. Car la vieille haridelle était un Nez, un vrai, un grand, un immense Nez qui s’ignorait mais dont la sensibilité inouïe n’aurait souffert, s’il s’en était présenté, aucune concurrence. Ainsi, cette femme fruste, presque analphabète (…) avait dessiné un jardin aux effluves de paradis. Dans un savant enchevêtrement de fleurs sauvages, de chèvrefeuille, de roses anciennes à la teinte fanée savamment entretenue, un potager saupoudré de pivoines éclatantes et de sauge bleue s’enorgueillissait des plus belles laitues de la région. Des cascades de pétunias, des bosquets de lavande, quelques buis inaltérables, une glycine ancestrale au fronton de la maison : de ce fouillis orchestré se dégageait le meilleur d’elle-même. (…) Dans ce rêve de fleurs et de légumes, j’écrasais sous mes pieds brunis l’herbe sèche et touffue du jardin et je m’enivrais des parfums.

Et d’abord celui des feuilles de géranium que, couché à plat ventre parmi les tomates et les petits pois, je froissais entre mes doigts en me pâmant de plaisir : une feuille à la légère acidité, suffisamment pointue dans son insolence vinaigrée mais pas assez pour ne pas évoquer, en même temps, le citron confit à l’amertume délicate, avec un soupçon de l’odeur aigre des feuilles de tomate, dont elles conservent à la fois l’imprudence et le fruité ; c’est cela qu’exhalent les feuilles de géranium, c’est cela dont je me saoulais, le ventre contre la terre du potager et la tête dans les fleurs où je fourrais mon nez avec la concupiscence des affamés. Ô magnifiques souvenirs d’un temps où j’étais le souverain d’un royaume sans artifices…

Puis, sont évoqués les œillets et leur « fragrance poudrée, de celles que répandent les belles qui vont le soir au bal…

Surtout, il y avait le tilleul. Immense et dévorant, il menaçait d’année en année de submerger la maison de ses ramages tentaculaires que tante Marthe se refusait obstinément à faire tailler et il était hors de question de discuter la chose. Aux heures les plus chaudes de l’été, son ombrage importun offrait la plus odorante des tonnelles. Je m’asseyais sur le petit banc de bois vermoulu, contre le tronc, et j’aspirais à grandes goulées avides l’odeur de miel pur et velouté qui s’échappait de ses fleurs d’or pâle. Un tilleul qui embaume dans la fin du jour, c’est un ravissement qui s’imprime en nous de manière indélébile et, au creux de notre joie d’exister, trace un sillon de bonheur que la douceur d’un soir de juillet à elle seule ne saurait expliquer. A humer à pleins poumons, dans mon souvenir, un parfum qui n’a plus effleuré mes narines depuis longtemps déjà, j’ai compris enfin ce qui en faisait l’arôme ; c’est la connivence du miel et de l’odeur si particulière qu’ont les feuilles des arbres, lorsqu’il a fait chaud longtemps et qu’elles sont empreintes de la poussière des beaux jours, qui provoque ce sentiment, absurde mais sublime, que nous buvons dans l’air un concentré de l’été.

 

A votre tour :

En ces jours où notre espace s’est rétréci, je vous propose donc de même de mettre le nez à votre fenêtre – ou dans votre cuisine – épices, thym, infusions… - ou dans vos flacons d’eaux de parfum…

Ou tiens, dans ces savons dont nous sommes invités à faire grand usage, en ce moment. Par chance, j’ai fait l’acquisition, il y a quelques semaines, d’un savon de Marseille liquide qui fleure le thé, et contre la peau, c’est délicieux. J’en ai aussi au miel, ou à l’orange, à la lavande, solides ceux-là et bien rangés dans leur petite boite pour conserver leur secret.

Il y a aussi le parfum mystérieux des bougies… celui du gâteau qui cuit, du plat qui nous appelle…

Et tous ceux auxquels on ne pense pas, ou qui ont rarement droit de citer. Le parfum poivré de certains vieux poches (ça ne vous fait pas éternuer, vous ? Les grains de poivre dansent d’ailleurs sur la page. Ils me mettent la larme à l’œil, et m’évoquent tant de moments, vécus en intimité et connivence avec moi-même.)

Mais d’abord, comment évoquer un parfum ? Volatil par essence, il nous échappe, il est délice et frustration. Je comprends qu’on le mette souvent en boite, car comme la musique, il nous entraine, nous domine… Revenons au texte, et voyons comment l’auteur a procédé.

 

Muriel Barbery convoque les odeurs de différentes manières : dans le premier paragraphe, elle compte sur notre propre mémoire sensorielle pour évoquer les parfums se rapportant aux plantes citées : chèvrefeuille, roses, sauge bleue, buis, herbe sèche et touffue… Qu’importe si tout ne nous vient pas, il y aura toujours assez pour constituer un bouquet.

Le 2e paragraphe nous incite à une quête plus précise, presque affolante : quel arôme dégage une feuille de géranium, un jour d’été, quand on se trouve de préférence à plat ventre parmi les tomates et les petits pois ? Là, on procède par associations, citron confit, vinaigre, odeur fruitée des feuilles de tomate, un peu à la manière d’un parfumeur qui aurait dans le nez une prescience du parfum qu’il veut créer. Comment dire l’odeur d’une feuille de géranium ?

Celui des œillets évoque celle de la poudre dont les belles dames usaient avant d’aller danser : une image poétique qui s’appuie sur l’usage de ces fleurs pour se parer et se parfumer (pour en savoir plus, https://www.olfastory.com/matiere/oeillet)

Enfin, le paragraphe que peut-être je préfère : celui consacré au tilleul et à son odeur de miel… mais pas seulement. Le narrateur insiste, ce qu’il veut retrouver ce n’est pas que la sensation, c’est l’émotion. Et ce que l’émotion lui dicte. 

Ces quelques lignes nous entraînent au cœur d’un sentiment évanescent autant que familier ; une sensation d’éternité, d’être relié.

 

Et vous, quelles senteurs, et gouts, vous intriguent, déconcertent ou enchantent ? Amusez-vous.

Pistes d’écriture :

  1.     Restez proches de vos ressentis, parlez-nous de vous, à travers ces notes odorantes qui ponctuent vos journées. (Par exemple, faites une liste d’odeurs, et amusez-vous à les décrire, à les commenter, laissez-vous porter.  Ou décrivez une occasion particulière).
  2.     Ouvrez la boite à souvenirs – ou à projets, toujours en rapport avec sensations olfactives et gustatives.
  3.     Inventez un personnage pour qui l’odorat est central. Pourquoi ? « Nez » parfumeur ou cuisinier ? maraicher ? promeneur les yeux fermés ? chien, chat… ? pisteur ? Vous pouvez tout imaginer.  Vous pouvez aussi relater, si vous connaissez une telle personne.

 

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