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20 octobre 2012

Voyageuse, par Chantal Joanny

Piste d'écriture: le non visuel, odeurs, goûts, sensations. Une invitation au voyage.

 

Voyageuse

 

Le visage déformé fripé de longues heures dans l'air pulsé désinfecté chimique au-dessus des nuages en altitude, pressurisée, réconfortée par les hôtesses qui vous montrent que tout est normal que c'est comme dans un bus qui roule sur le sol qu'il y a des vitres qui s'appelent hublots, qu'on peut prendre le ptit déj comme en bas que les repas c'est juste un peu serré mais y a toujours le service même si c'est dans du plastique que les petits pains frais sont vraiment glacés et aplatis sous leur sachet glissant qu'il faut ouvrir, que c'est d'ailleurs dur car on n'a pas de prise si bien qu'on donne un coup de coude à la voisine quand ça part, enfin on va croquer c'est trop mou ça paraît du chewingum, goût du chewingum jaune de l'enfance qu'on avait planqué depuis la veille sous le siège du bureau maladroitement quand la maîtresse nous avait appellé.

C'est dans les frêles allées encombrées des odeurs de la nuit et des voyageurs que le service du café passe, il est avare d'arômes mais quand on soulève le gobelet on force sur le souvenir de la cafetière branchée toute la matinée dans un cagibi le temps de la pause au bureau des secrétaires du 8ème étage et d'ailleurs tous les étages sont faits pareils sauf le 9ème les bureaux des directeurs c'est le même café qui circule âpre amer du Guatemala c'est pour le commerce équitable, c'est Marie la responsable du comité d'entreprise qui nous l'a recommandé, c'est une bonne action alors on s'empoisonne en voulant faire le bien, on connait les désordres causés par les bénévoles.

 Je m'extirpe du mètre carré volant, suivant la file qui se dévide chaotique, le sol chaud puant ne m'enfonce pas pour autant, je regarde les avions s'éloigner en silence, j'ai bien atterri.

 Une chaleur humide m'enveloppe, mes poumons peinent à aspirer l'air infime composé de particules irritantes comme du sable, le gaz remonte de la surface du tarmak, bouffée, comme dans une anesthésie l'odeur de goudron fondant et déformant s'imprime sur ma peau qui colle et s'épaissit, je frotte ma main libre à mon pantalon mais elle reste moite, je voudrais la peler, retouver sa finesse et son parfum discret d'herbe sèche, mais elle sent le rance, la cuisine trop grasse la frite lourde d'une huile saturée qui a trop servi, faudrait que je me lave et m'oigne de lavande fraîche et virginale. Pourtant, interdite à l'ouverture des portes, j'éprouve la jouissance d'une nouvelle vie, ici l'air est différent, ici mon corps ne sera plus le même, peur de manquer d'oxygène, peur de m'étouffer peur de perdre, de ne pas supporter?

Les vieux réflexes reprennent, cette cigarette aura-t-elle le même goût? J'aime en sentir la brûlure dans mon oesophage, les bouts de doigts nicotinés retrouvent leur gestuelle, je n'ai pas changé?

Tout est neuf, j'arpente la sortie avec mon vieux sac en tissus rêche et rassurant, il est moi il me définit lieu époque âge fonction c'est mon haillon, mon passeport charnel.

La brutalité de l'air s'installe dans un coin, peu à peu je l'apprivoise, faut que je bouge, que je retrouve mes forces mes repères on m'a choisie là-bas, faut que je leur ramène çà, si je me laissais détourner par cette nouvelle odeur ils ne seraient peut-être pas satisfaits, je suis le continent ils sont l'île c'est la 1ère rencontre je suis modifiée sans le savoir, je suis touchée par la grâce.

Il n'y a personne à l'arrivée, précieuses gouttes de temps, faut que je m'active, je joue à celle qui machinalement va vers le bon comptoir, à la bonne cabine, au bon numéro d'appel, à la bonne personne.

En réalité je ne sais rien je suis heureuse et m'étire.

 Puisque je n'ai pu joindre personne, je monte dans un taxi, l'air conditionné m'agresse anonyme, je lui préfère le nez à la vitre les couleurs les rues les gens les cases tout m'étonne je l'aime déjà cette île mes yeux sombrent dans ce bain tropical jasmin ananas palmier cocotier s'ébrouent et dans la ravine les poules dansent avec les crapauds qui puent leurs chants d'amour, homme sauvage tu te répands.

 

 

Chantal J

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