Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
15 janvier 2013

Brisures, par Rolande Bernard

Piste d'écriture: il s'agissait de choisir dans une liste d'ouvrages existants, certains titres inspirants, qui deviendraient les titres de nos chapitres. (Les noms des auteurs sont en fin de texte).

Oh !

Oh, il faut que je me décide. Ou je m’obstine à continuer cette vie stupide, ou c’est le divorce. Depuis huit jours je me la pose plutôt deux fois qu’une, cette interrogation. Je ne veux pas non plus rentrer dans le club des incorrigibles optimistes, comme Odile ma collègue de bureau  qui est mariée depuis quarante ans, et depuis quarante ans attend de son mari plus de prévenances et d’égards, sans jamais se décourager, ni rien obtenir.

Moi et Philippe ça ne fait que cinq ans que nous sommes mariés, mais ça fait déjà un certain temps que je lui parle de mon insatisfaction, et qu’il fait la sourde oreille. Comme si je n’existais pas. Je suis tout juste décorative.

 

Dans la fureur glaciale

Ce matin, il m’annonce que demain, il part huit jours avec son équipe. Il ne me demande pas si cela me pose un problème, il m’enjoint seulement de repasser ses chemises et ses tenues de rugby. Comme si j’avais la tête au repassage !

C’est dans la fureur glaciale de ce matin que ma décision est prise, irrévocable : je divorce. Ce soir Philippe recevra mon verdict.

 

Nous étions faits pour être heureux

« Bonsoir, j’ai une importante chose à te dire, commence Julie.

- Qu’est-ce qu’il y a encore ? Depuis des mois tu ne cesses de ronchonner.

- Nous étions faits pour être heureux, mais ton comportement, ton égoïsme, je n’en peux plus. Je demande le divorce. Cet après-midi je suis allée voir un avocat, la procédure est en marche, je pars demain.

- Tu veux me quitter ? Pourtant chez nous tu fais ce que tu veux ! C’est toi qui décides pour l’entretien de la maison, c’est toi qui fais les courses…

- C’est pratique pour toi, hein ? Ainsi tu ne m’aides pas.

- Mais moi non plus, je ne te demande jamais rien.

- Ah oui ? tous les mois, tu contrôles les dépenses. Tu serais plutôt d’une avarice sordide que d’une grande générosité. »

 

La grande maison

Philippe n’en croit pas ses oreilles. Pour lui tout était acquis.

«  Il faut bien faire des économies si on veut acheter la grande maison près de chez ma mère, plaide-t-il.

- Eh bien tu l’achèteras seul, ta maison. »

Quoi ? elle ne s’entend pas parler. Sa mère le lui avait bien dit, les jeunes femmes d’aujourd’hui sont d’éternelles insatisfaites. Pourtant, avec Julie, il s’était contenu :

« Moi qui fais tout ce que je peux pour te rendre heureuse ! Je ne t’ai jamais battue ! Qu’est-ce qui te prend ? »

C’est vrai, il n’avait jamais laissé éclater sa colère. Pourtant, ce n’étaient pas les motifs qui manquaient. Comment peut-elle l’accuser ?

 

Nos séparations

« Moi qui fais tout ce que je peux pour te rendre heureuse ! » a-t-il dit.

Julie n’en croit pas ses oreilles.

« Tu plaisantes ? Tu ne m’as jamais frappée, c’est vrai, mais j’ai eu peur plus d’une fois.

- Une gifle de temps en temps, ça ne fait pas de mal !

- Ben voyons… Et surtout, tu n’es jamais vraiment là, avec moi. Tu rentres tard très souvent, tu n’as qu’une envie, te mettre les pieds sous la table, tu bâilles quand je te parle. Et le week-end il n’y a que le rugby qui compte. Deux fois par semaine, tu vas aux entraînements. Les samedis c’est match. Comme il y a une « troisième mi-temps » comme vous appelez la bringue qui suit, tu ne rentres jamais avant une heure du matin, et dans quel état ! Et le dimanche, comme monsieur est fatigué, pas de sorties, pas de randonnées. C’est chez sa mère que nous les passons. Avec des repas interminables, moi qui ai horreur de manger, alors que toi tu te goinfres, et n’arrêtes pas de répéter : « Maman, tu fais la cuisine comme personne ! Il faudra donner tes recettes à Julie ». Et ensuite, c’est la sieste !

- Ça alors, tu es bien une belle garce ! Tu en trouveras, un homme comme moi. Tu veux la séparation ? Eh bien tu vas l’avoir.

- Je veux juste entériner ce qui existe déjà. Tu es marié avec ta mère et avec le rugby. Moi, tu crois m’entendre mais tu ne m’entends pas, tu crois me voir mais tu ne me vois pas. La preuve, tu es surpris de tout ce que je viens de te dire, alors que ça fait des mois que je t’en parle et que je te dis que rien ne va plus pour moi.

A force, mon amour pour toi s’est transformé en ennui. »

 

Ne plus faire partie des meubles

L’ennui, maintenant ! Qu’est-ce que l’ennui a à voir dans une histoire de couple ? Ils se sont promis d’être l’un à l’autre. Julie est à lui. Au même titre que la Renault dans le garage, qu’il bichonne avec attention.

« Tu te préoccupes plus de ta voiture que de moi ! » réplique-t-elle à son argumentation maladroite.

Evidemment ! Une voiture ne peut pas prendre soin d’elle toute seule ! Une femme, si.

« Une femme a besoin qu’on se préoccupe d’elle, qu’on l’entoure de tendresse et de prévenances. »

Déstabilisé, il tente une dernière plaidoirie :

« Je me suis peut-être mal exprimé… Tu ne me laisses même pas une chance ?

- Je t’en ai laissé des dizaines. Tu ne changeras jamais, en tout cas pas avec moi. Je ne veux plus jamais avoir l’impression de faire partie des meubles !

- Maman avait raison, hurle-t-il, je n’aurais jamais dû t’épouser !

- Adieu, je pars, répond-elle froidement. Je viendrai récupérer mes affaires la semaine prochaine, pendant ton absence. »

 

Plutôt deux fois qu’une

« Ah, mais ça ne peut pas se passer comme ça ! Elle va le regretter, fulmine-t-il pour lui-même. Et plutôt deux fois qu’une. » Et, se tournant vers Julie qui se dirigeait vers la porte, il crie :

« Tu n’as même pas repassé mes chemises ! »

Quand elle se retourne, surprise, il attrape sur l’étagère les poteries qu’elle préfère et, avec rage, il les lance à terre. S’il pouvait la briser de la même manière…

Devant son geste Julie est désarmée et lui dit :

« Pourquoi tout détruire, il me restait un peu d’estime pour toi. Maintenant il ne me reste vraiment plus rien. Tu es une période de ma vie que je souhaite effacer. »

C’est en pleurs qu’elle quitte la maison – pour toujours.

 Rolande Bernard, janvier 2013

 Titres et auteurs:

Oh!, Philippe Djian

Dans la fureur glaciale, Viviane Forester

Nous étions faits pour être heureux, Véronique Olmi

La grande maison, Nicole Krauss

Nos séparations, David Foenkinos

Ne plus faire partie des meubles: invention de l'auteure

Plutôt deux fois qu'une, Pascal Layné

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité