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16 février 2013

Le déjeuner...(3), par Joséphine Roche

Le déjeuner des anciennes élèves, épisode 3

 

4_mariages_et_un_enterrement_1_9_gPendant qu’il s’aventurait dans la salle, Muriel fut saisie par sa ressemblance avec Hugh Grant, dans « Quatre mariages et un enterrement », cet air absolument paumé, ces yeux bleus d’autant plus émouvants qu’elle pensait y lire de l’appréhension.

Quant à elle, elle était pétrifiée. Dans ce lieu surchauffé, elle s’était mise à grelotter, assaillie par les images les plus saugrenues. Cette soirée du 14 janvier 1993 se déroulait pour la énième fois dans sa tête. Au milieu de l’atmosphère compassée qui y régnait, elle avait vu brusquement Edouard arriver, exactement comme aujourd’hui, grand, un peu hésitant , conscient de l’ennui qui l’attendait, probablement prêt à repartir après avoir avalé un toast et salué quelques connaissances…mais ils s’étaient très vite rencontrés, et à partir de ce moment, tout avait basculé. Ils avaient dansé ensemble la nuit entière, et sur la fin, rivés l’un à l’autre comme des naufragés. Edouard lui murmurait à l’oreille, écartant une mèche de ses cheveux blonds, qu’il découvrait pour la première fois l’ivresse de la vie. Après des baisers fougueux sous le porche, avant qu’Edouard ne la quitte (il partait deux heures plus tard à Londres chez un cousin anglais qui lui avait déniché un job), ils s’étaient juré de se revoir à la première occasion et ne plus jamais  se quitter.

Il y avait eu des coups de fil passionnés, puis, plus rien. Dans la précipitation du départ, ils n’avaient pas échangé d’adresse postale. Muriel avait tenté de trouver des pistes en joignant des invités  de la soirée, en vain, personne ne connaissait Edouard personnellement. Même les maîtres de maison l’avaient accueilli par relation interposée.

Des mois s’étaient écoulés dans une attente mortelle, puis deux années très mornes à l’issue desquelles Muriel avait rencontré son mari, Philippe, avec lequel elle avait eu deux enfants. Ils avaient  vécu quelques heureuses années, avant que Philippe ne meure dans un accident de plongée sous-marine.

Et voilà qu’Edouard réapparaissait dans sa vie.

Dans un brouillard, elle le vit tout à coup planté devant elle, tandis que le groupe de femmes entourait Edith rayonnante et loquace.

Ils se regardaient, silencieux. Puis, brusquement, Muriel recouvrit sa lucidité : « Il faut absolument sortit d’ici » chuchota-t-elle précipitamment. Edouard sortait lui-même de sa torpeur. Il lui jeta un regard grave avant de se tourner vers le groupe qui se rapprochait d’eux : « Je vais devoir m’absenter cinq minutes, dit-il, souriant. Ma voiture est garée sur un trottoir et bloque une file de voitures ».

«  J’en profite pour mettre ma camionnette sur le parking intérieur, s’exclama Muriel. Figurez-vous que j’ai apporté un Prie-Dieu que je compte offrir à notre bonne institution. Vous m’aiderez à le dégager de la pagaïe de meubles qui le coince, ajouta-t-elle en s’adressant à  Edouard,  et je le déposerai ici. France, tu as le code du portail ?

Alors qu’ils sortaient tous deux, Muriel eut l’impression d’être transpercée par le regard aigu d’Edith.

Dehors, sans un regard l’un pour l’autre, ils pressèrent le pas, comme guidés par un instinct déterminé. Ils bifurquèrent à l’angle du bâtiment et longèrent la façade nord. Muriel s’immobilisa alors devant une petite porte : « L’entrée de service du réfectoire, dit-elle. En 1992, elle était toujours ouverte ».

Effectivement, ils purent s’introduire sans difficulté dans le couloir et Muriel referma la porte avec précaution. Quelques mètres plus loin, elle ouvrit une seconde porte. Le réfectoire était bien en travaux, encombré jusqu’au plafond de tables empilées et de montagnes de chaises. Edouard repéra un espace vide où ils purent s’asseoir au sol, les jambes repliées, entre un placard et un amoncellement de tables. Edouard tira vers eux quatre chaises juchées les une sur les autres, ce qui leur assurait un espace d’intimité. Personne ne pourrait soupçonner leur existence ici.

Il faisait froid et Edouard sortit péniblement son manteau pour le poser sur les épaules de Muriel. Ils se regardèrent enfin et avant même d’avoir prononcé un mot, s’embrassèrent furieusement.

      -    Et maintenant, j’ai droit à des explications,  prononça Edouard pendant qu’ils tentaient péniblement de se dégager de la table sous laquelle ils avaient glissé.

       -   Comment ? Mais c’est un comble ! » Muriel aurait failli crier si son compagnon ne lui avait appliqué la main sur la bouche. » « Tu es folle, on va nous entendre ».

-          Tu vas immédiatement m’expliquer ce qui s’est passé après la soirée, dit Muriel, d’une voix basse mais ferme.

-          Tu le sais très bien. Il y a eu notre dernier coup de fil. Je t’ai écrit pour te dire que je déménageais dans le Yorkshire, que pendant quelques jours, on ne pourrait pas se joindre et que je te donnerais au plus vite mon nouveau numéro. Le jour même, Edith arrivait. Heureusement d’ailleurs, j’avais oublié que j’ignorais ton adresse postale, c’est elle qui me l’a fournie.

-          Pardon, j’ai bien entendu ? Edith, quelle Edith ?

-          Mais Edith, ma cousine, enfin ma femme, si tu préfères…

-          Répète ça : Edith est aussi ta cousine.

-          Enfin, nous sommes cousins issus de germains, pas de quoi demander des dispenses aux autorités…mais la question n’est pas là…

-          Comment elle n’est pas là ?… Muriel perdant l’équilibre, glissait dangereusement sous la table, entraînant Edouard avec elle.

 

Elle resta un moment muette, les yeux clos, et Edouard, effrayé la secoua : 

-          Muriel, ne t’évanouis pas, je t’en supplie, ne meurs pas, mon amour,  précisément au moment où nous nous retrouvons…

Muriel gémissait en entrouvrant les paupières.

-          Je n’ai reçu aucune lettre de toi

-          Comment ça, je t’en ai envoyé onze. Voilà 25 ans que j’attends les réponses.

 

Edouard tenta de remuer, il avait une crampe horrible dans le mollet. Muriel, en chien de fusil,  lui tournait le dos. Il s’installa tout contre elle, le nez dans ses cheveux, les genoux au creux des siens. L’échafaudage des chaises n’avait pas bougé.

 

-          Que s’est-il passé ? Je veux comprendre. Que faisait Edith en Angleterre ? Tu vas m’expliquer tout ça très clairement, sinon je te quitte dans l’instant.

-          Je te rappelle que nous sommes dans une situation inconfortable, et que je ne te laisserai pas partir. Donc, Edith qui faisait régulièrement des séjours en Angleterre m’a appelé pour me dire qu’elle débarquait et me demandait de la loger quelques jours. Nous n’étions pas très proches, et a priori, je n’avais guère d’affection pour elle, mais tu sais, la famille…

-          Epargne-moi tes commentaires, murmura Muriel qui étouffait sous le manteau d’Edouard.

-          Bref, elle est arrivée, et le surlendemain soir, alors que je n’avais aucune réponse de toi, je lui ai tout avoué de notre histoire. Elle a été très attentive… elle avait eu vent de cette fameuse soirée… elle m’a dit qu’elle te connaissait bien, et qu’à son avis je m’embarquais dans une aventure risquée. Elle te savait prise ailleurs et du genre à collectionner les amants… Sur le moment je n’ai rien cru de ce qu’elle disait. Tu étais le contraire de ce qu’elle décrivait. Je t’ai écrit chaque jour, te répétant qu’il ne s’agissait en aucun cas pour moi d’une passade, t’implorant de me donner signe de vie…

-          Qui postait les lettres ?

-          Edith. Elle était arrivée le soir-même où je t’avais écrit, alors que je réalisais que je n’avais pas ton adresse. Heureusement, elle l’avait.

 

Muriel respirait difficilement. « On ne croit jamais assez aux romans, se disait-elle. C’est toujours avec les lettres qu’on se fait avoir ».

Suite et fin... demain. Vous avez reconnu l'image, elle est tirée du film 4 mariages et 1 enterrement.

 

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