La double peine, par Thomas Incorvaia

« LA DOUBLE PEINE »

Je me sens enivré d'une chaleur extrême d'amitié profonde

Et d'amour. L'amour ! Voilà un sujet passionnant et riche.

En fait, c'est plus fort que d'être aimé, comme le disait Daniel Balavoine en 1984.

Mais au fond, qu'est-ce que l'amitié ? Y a-t-il une différence entre amour et amitié ?

Oui, mais laquelle ?

Tous les jours, je vois certains couples s'embrasser, vous me direz, Eros[1] a fait son travail certes.

Mais l'Amour est-il inaccessible aux personnes handicapées ? Non, il ne devrait pas l'être,

Car nous sommes comme tout le monde, après tout. Nous profitons de la vie, nous rions,

Nous dansons sur les airs de Bacchus, cette divinité festive jouant de la flûte sans arrêt.

Les êtres différents sont-ils condamnés à rester seuls tels Quasimodo, le bossu de Notre Dame[2] ?

Non.

Les épreuves paraissent difficiles, je vous l'accorde, mais aucune d'elles n’est insurmontable.

Prenez Hercule ou David[3], ils sont tous les deux connus mais pas pour les mêmes raisons.

Ils ont tous deux fait preuve de courage et de vaillance.

Si l'un représente le courage, l'autre représente la force et vice versa.

Ils ont tous les deux accompli la même chose, l'un par la force, l'autre par le courage.

Oyez cette voix, douce et mélancolique voix de Sophie[4], vous rappelant que tous les êtres sont différents et sachez profiter de la vie. Mais qui est réellement handicapé ?

Ceux qui vivent dans leurs « grottes »[5] ou les autres, qui sont réellement enfermés dans des asiles et

Devant affronter le regard des valides et assumer malgré tout leur handicap ?

Pour moi, et je ne veux pas vous outrager avec mes paroles, acceptez les différences.

Justement, lorsque nous sommes en fauteuil, comment faire valoir sa voix ?

Comment se faire entendre malgré un vacarme confus et inaudible ?

Nous devons inventer de nouvelles manières pour séduire,

Pour être en parfaite harmonie avec nous-mêmes et aussi pour retenir

L'attention de l'autre.

Malgré tout, lorsque je passe devant des filles, certaines daignent m'ouvrir leurs portes de l'amitié,

Mais leurs cœurs restent fermés. Pourquoi ?

Je n'en ai pas la moindre idée.

Peut-être est-ce parce que nous sommes le « miroir » de la société et que les autres

Refusent de se projeter dans un avenir qui pourrait être le leur ?

Sommes-nous condamnés à vivre seuls tels Sisyphe ou Orphée[6] ?

Sachez bien que si je pouvais faire ce que mes bras me demandent ainsi que mes jambes,

J'en serais ravi. Mais ce n'est pas le cas. Laissez donc parler votre cœur, car

Lui seul connaît la voie. Après tout, n'oubliez pas que « le cœur a ses raisons que la Raison ne connaît point »[7].

Mais un jour, je sais que mon tour viendra et une fois que j'aurai trouvé mon étoile,

Je serai le plus heureux des hommes. Il faut juste prendre son mal en patience, et

Pour le moment je suis comme Cendrillon[8].

Un jour, j'irai par-delà les océans avec Eros, accompagné d'Eole et Hermès[9], et seulement

à ce moment-là, je pourrai dire que je suis fier de moi.

Lorsque je serai accompagné de ces deux compagnons, je ferai la conversation à une jeune fille.

Elle me priera de me présenter, et je le ferai avec une joie immense. Je compte aussi sur

Mnésys[10] – mais elle ne devrait pas me faire défaut – je la connais.

Elle, Sophie et moi nous sommes toujours bien entendus.

A la charmante jeune fille, je me présenterai aussi et si elle m'offre sa main,

Je lui ferai un baise-main et je lui dirai : « Acceptez donc ce baise-main[11]

En guise de bienvenue ». Ainsi verra-t-elle mon romantisme et m'ouvrira-t-elle peut-être

Son cœur ? Je lui dirai : « -Soyez sans crainte, ma chère, je ne suis pas carnivore à ce point-là[12]. Soyez courtisée, très chère. »

La fille me sourirait, et me répondrait : « -Eh bien, je n'ai pas peur. Soyez sans crainte.

-C'est très noble de votre part de ne pas avoir peur. Puis-je vous emmener faire un tour ?

-Bien sûr... » et j'irai emmené par Eole joint à Hélios[13] avec ma bien aimée,

Ainsi je prouverai à tout le monde que nous pouvons tomber aussi amoureux,

Valide ou non.

Bref, je ne baisserai jamais les bras et « je suis heureux comme Ulysse après un long voyage »[14],

Je ne désespère jamais, c'est bien là le secret de la vie. Savoir profiter du moment présent[15]

Et savourer ce que nous avons.

Je suis le « Chasseur de l'Infini » et la défaite n'a jamais fait partie de mon programme.

« Alea jacta est ! »[16] ai-je envie de crier.

Je ne suis ni un super héros, ni un héros, ni un dieu, ni riche,

Je n'ai ni pouvoirs, ni supers pouvoirs, je suis juste quelqu'un de naturel,

Usant de mon pouvoir de séduction pour plaire aux femmes.

Oui, je suis handicapé, et alors ?

Je suis fier d'avoir vu le jour et « je suis heureux quand même »[17],

Soyons plus ouverts. Si chacun acceptait l'autre tel qu'il est,

Alors le monde serait meilleur.

Car pourquoi rivaliser ? Cela ne sert à rien, je pense,

Tout comme Voltaire, que la guerre est inutile car c'est « l'autodestruction d'un peuple »[18].

Oui, je suis voltairien, rousseauiste ou rimbaldien

Ce sont mes idées, à prendre ou à laisser.

« Je suis heureux quand même » même si je suis en fauteuil,

C'est mon fidèle « destrier ». Arrêtez de vous détester et faites la paix

Une bonne fois pour toutes, c'est mon conseil.

Nous avons bien souvent vu que la Raison du Cœur ne

Peut s'expliquer. A ma fiancée qui me demanderait si cela est possible,

Je lui répondrais que oui, tout est possible et « nous en sommes la preuve »[19].

Thomas

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[1]    Divinité de l'amour.

[2]    Quasimodo : personnage bossu de Notre Dame de Paris. Quasimodo se suicide car Esméralda le rejette.

[3]    Hercule a réalisé 12 travaux qui paraissent difficiles, et que pourtant aucun mortel aurait fait.

      David a combattu Goliath dans la Genèse.

[4]    Sophie : personnification de la sagesse.

[5]    Allusion à l'allégorie de la Caverne de Platon.

[6]    Sisyphe : héros moqueur. Il se moquait tellement d'Hadès et de la Mort que Zeus le condamna à pousser un rocher sans relâche. Albert Camus dira d'ailleurs à son sujet que « la pierre est sa chose ».

      Orphée : poète et artiste. Dans la mythologie, il a perdu Eurydice car il a désobéi à Hadès. En effet, il ne devait en aucun cas se retourner avant d'avoir atteint la lumière. Orphée devient donc l'image de nos amours perdus.

[7]    Référence à Blaise Pascal, philosophe du XVIIme siècle.

[8]    Cendrillon doit trouver sa pantoufle, ainsi elle deviendra une réelle princesse. Cette expression signifie « trouver chaussure à son pied. »

[9]    Eole : Dieu du Vent

      Hermès : Dieu du commerce et des voyageurs souvent représenté avec des sandales ailées et un  casque.

[10]  Mnésys : déesse primitive de la Mémoire.

[11]  Baise main : pratique courante du XVIIIme siècle.

[12]  Par cette phrase, je veux dire que je ne suis pas cannibale. Voltaire était végétarien et se demandait pourquoi on doit se manger les uns, les autres.

[13]  Hélios : personnification du Soleil.

[14]  « Heureux comme Ulysse après un long voyage » : référence à Joachim du Bellay.

[15]  Référence aux philosophes présocratiques et à Alexandre Jollien entre autres.

[16]  « Alea jacta est » : « le sort en est jeté », phrase de César lorsqu'il a traversé le Rubicon. 

[17]  Référence à une chanson de Sinclair.

[18]  Voltaire donne cette définition dans son Dictionnaire Philosophique.

[19]  Référence à la fin du film « La Belle et la Bête », réplique de Jean Marais.