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14 mars 2013

Souvenirs de ma campagne, par Rolande Bernard

Piste d'écriture: d'après un texte de Danny Laferrière,  L’ODEUR DU CAFE   éd. Le serpent à plumes  2001, restituer la mémoire par flashes, et courts chapitres.

 

Souvenirs de ma campagne

marmiteZ

Le Savigny de ma grand-mère :

C’est dans ce village que sont ses racines. Ne faisant qu’une avec sa terre, terre de ses ancêtres, elle parait fragile comme un roseau, grande, mince, mais elle est forte et majestueuse comme un chêne.

Après-guerre, Savigny est un village très agricole, chacun possède une dizaine de vaches.  Chaque soir, c’est le défilé des charrettes à bras, chargées des bidons de lait emmenées à la laiterie. Ce lait deviendra du fromage, de la Vache qui rit. Ce sont souvent les plus jeunes de la ferme qui tractent la charrette, on se hèle de maison en maison, ce sont des fous-rires tout le long de la route.

Moi ce village, je n’y vais que durant les vacances scolaires, car je vis à Dardilly-le-haut, près de Lyon. Maman m’y emmène avec mes quatre frères et sœurs, nous prenons le train et le car.

Le patois :

Ma grand-mère parle le français littéraire, mais sa langue courante est le patois. Elle excelle dans ce glossaire qu’elle a pratiqué dès l’enfance. Elle sait faire chanter chaque mot, chaque phrase. C’est en patois franc-comtois qu’elle parle avec les voisins, qu’elle dialogue avec ses enfants quand ils viennent la voir, et qu’elle nous demande, à nous ses petits-enfants, de l’aider : « Petiot, va chercher la seille » (le seau). C’est en patois qu’elle raconte des histoires à ses petits-enfants, en franc-comtois qu’elle s’adresse aux étoiles, ou qu’elle décrit le temps :

« Si février ne févrotte, vient mars qui tout décoche. »

Le patois fait partie de son âme, l’a imprégnée.

La soupe :

Quand je suis chez grand-mère l’odeur de la soupe, de bon matin, vient me chatouiller les narines. Eté comme hiver, à chaque repas du soir, elle est servie. Suivant les saisons, les ingrédients sont différents.  L’été, les légumes sont ramassés dans le potager, haricots, oseille, carottes… Et une belle tomate bien mûre ; ce fruit bien rouge me remémore le nez des clowns.

L’automne, elle est à base de courges. L’hiver, pommes de terre poireaux. Le printemps, tout ce qui est sauvage, consommable, est ramassé dans les champs et sur le bord des chemins : asperges et salades sauvages, orties, groin d’âne (ou pissenlit)…

Le rituel de la préparation de la soupe :

C’est assise devant la fenêtre, revêtue d’un grand tablier noir, que ma grand-mère, tout en nous surveillant,  épluche et écosse les légumes. Puis ils sont lavés minutieusement avec de l’eau vinaigrée, coupés en petits morceaux, jetés dans la casserole émaillée bleue remplie d’eau. Quel sacrilège ! j’oubliais la crème qu’elle prélève sur le lait qu’elle a acheté la veille à la ferme voisine. Ensuite, c’est au coin du feu que cela va mijoter, toute la journée, sauf l’été : le poêle cesse de fonctionner à midi et n’est rallumé que pour le repas du soir.

Fermez les yeux, ouvrez les narines, pour humer cet agréable fumet.

Le partage de la soupe :

Quelquefois le vieux jardinier est convié à venir partager ce délice. Dans son assiette, il met des tranches de pain qu’il coupe avec son couteau personnel, qui ne le quitte pas. Puis, comme ma grand-mère, il fait chabrot avec du vin rouge du pays, ce qui entraîne notre fou-rire, à nous les enfants.

Aujourd’hui, j’aime la soupe de grand-mère, même si petite, ce n’est pas toujours ce que j’ai préféré.

La sorcière :

Chez moi à Dardilly, c’est aussi la campagne. J’ai une poule blanche, elle est mon amie. Elle me suit de partout. A mon retour d’école, elle est au portail. Je n’ai jamais su comment elle reconnait mes pas. Avant de faire mes devoirs, je m’assois sur le banc, je partage mon goûter avec elle. Je lui raconte toutes mes joies, toutes mes peines, elle est là attentive. Son regard me réconforte. Elle caquette, moi seule comprends son langage, ce qui fait dire à mes frères et sœurs que je suis une sorcière.

Les étoiles :

J’aime regarder les étoiles, elles me fascinent, me transportent dans un monde où figurent les fées ; leurs baguettes magiques me transforment en princesse, je suis libre de mes mouvements, les grands ne sont pas là pour me réprimander et me dire sans cesse ce que je dois faire.

Quinze ans :

Des années sont passées, je n’ai pas cessé de contempler les étoiles. Mais demain je vais avoir quinze ans. Je vais rentrer dans le monde du travail et des adultes. Pourquoi ces souvenirs me reviennent-ils si intenses ce soir? Parce qu’ils berceront toute ma vie.

 

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