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15 mars 2013

Le FERO, par Michelle Jolly

Piste d'écriture: d'après un texte de Dany Laferrière,  L’ODEUR DU CAFE   éd. Le serpent à plumes  2001, restituer la mémoire par flashes, et courts chapitres. 

Le FERO


Ferro_de_prua

Le cadeau

Max est mort, cette année…  Il y a trois semaines, l’ainé de ses fils est arrivé chez moi et a sorti du coffre de sa voiture un lourd paquet. «  Voilà dit-il, j’ai vidé tout l’atelier de papa, ce truc, c’est encombrant, personne n’en veut, mais il m’a dit, il y a longtemps, que tu avais toujours eu envie d’en trouver un semblable, j’ai pensé te faire plaisir. »      

Il a ouvert le paquet et le Fero était là, rouillé, mais entier.

Le Fero

C’est cette sorte de grand animal dressé, brillant, coupant dans tout sens l’eau de la lagune, il a sept dents, une longue queue qui semble maintenir l’avant du bateau, il n’est pas menaçant, mais sa présence est puissante, elle fait partie de l’âme du Rialto.

Sur le mur

Je l’ai nettoyé, les sept dents étaient intactes. Je l’ai fait installer sur le mur blanc de mon séjour, face au soleil, légèrement penché, comme s’il avançait…

Inauguration

Autrefois quand il y a eu l’inauguration de l’atelier, le fero était sur le mur derrière le bureau de Max ; il disait l’avoir déniché dans une brocante en province. Apéro et petits fours, chacun s’extasiait sur le lieu, l’espace, la lumière, et sur cet objet rare, inattendu. On était tous fascinés par sa présence, accroché là,  dérangeant. J’avais envie de l’emporter.

Vernissage

Le temps passait, une galerie, rive gauche, quelques toiles, de nombreux dessins, une sorte de tète plongeant en avant, sensation de mouvement, Max exposait, le fero l’inspirait. Je revois un dessin, une multitude de grands S se suivant, se cognant, se redressant, j’imaginais l’eau en dessous, le bruit des chocs, les chants…

La recherche

Je suis partie, loin ; pendant des années j’ai cherché, demandé, questionné de nombreux brocanteurs : « Si un jour vous trouvez un fero, faites-moi signe ! »       Les années ont passé, le fero s’est éloigné, d’autres vies m’ont occupée, d’autres priorités.    Aujourd’hui ce cadeau ! érigé sur le mur devant moi, comme le flash d’un projecteur trop fort, éblouissant….

Venise

Il y a l’été, la foule des touristes,  on ne voit personne, on entend personne, on s’est échappés,  sourds aux bruits, à la promiscuité. Max s’ approche du pont, sans lâcher ma main, ma robe légère s’accroche à la rambarde ; un signe au gondolier qui attend, et l’on se retrouve, balançant sur l’eau, prolongeant notre folie par cette promenade mythique, les yeux dans les yeux ou fixés sur le fero que l’on trouve superbe.

Nous voulons rester trois jours, ce sera une semaine. Chargés, au retour, de cet objet encombrant qu’un ferronnier dans une ruelle voudra bien nous vendre ;  sur le fil de l’équilibriste, le cœur prêt à éclater… Au départ, pris d’un fou rire, quand nous passons à la douane avec cet imposant souvenir. Tu murmureras : « Dire qu’on voulait être discrets ! »…..       

L’on a repris nos vies, rien brisé, mis des kilomètres entre nous, c’était mieux ainsi. Pourtant ce cadeau aujourd’hui pèse trop lourd… Je le mettrai au garage.

 

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