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7 avril 2013

Attraper le loup...(4)

Episode 4. Premier épisode: ici

IV


oekaki_40445_0Il disparut hélas une nuit de lune noire, et Ania demeura inconsolable.

Elle fut étudiante en médecine pour sauver d’autres petits garçons de la méningite qui l’avait emporté. Puis elle devint une jeune praticienne brillante. Mais cela ne lui suffit pas. Les loups étaient là chaque nuit et chaque nuit elle hurlait avec eux, elle ne savait trop quoi : l’histoire de sa grand-mère qu’elle n’avait toujours pas apprise, le chagrin de ses parents, celui, inconsolable, des loups, ou le sien à elle ?

Le plus révoltant était que cela ne suffisait pas à arrêter la vie. Ania à 27 ans vivait, son corps vivait, son corps avait faim, faim d’odeurs et de caresses. Son corps voulait se rouler dans la fourrure un peu rêche des loups, se battre avec eux, saisir leurs oreilles pour regarder leurs yeux, mordre et se laisser mordre… Ania ne le laissait pas faire, mais rien à faire, ça revenait. En pleine visite hospitalière par exemple, le grand ponte se retrouvait soudain « à poils » devant elle, sa queue entre les jambes, et la regardait avec insistance, tout en dissertant sur le cas de ce malade, puis de cet autre. « Vous aviez l’air ailleurs ma chère », lui disait-il un peu plus tard, quand il avait instantanément retrouvé, en poussant la porte de la chambre du malade suivant, ses habits et sa dignité de toujours. « Vous aviez l’air ailleurs. Dormez-vous bien ? »

Non, Ania ne dormait pas. Les loups faisaient la foire dans son lit et elle n’avait plus le bon sens plein de rires de son petit frère pour les calmer, plus non plus la générosité un peu brusque de sa grand-mère pour les appâter. Quant à ses parents, ils étaient, comme toujours depuis ses sept ans, à peu près inexistants. Ils faisaient la lune, ils étaient la lune, dans une rotondité presque parfaite. Ils auraient au moins pu lui faire un autre petit frère.

« Tu réfléchis comme une enfant », lui dit un jour une amie. Cette amie, après avoir collectionné les aventures, venait de s’installer avec un gars. « Pourquoi celui-là ?  lui avait demandé Ania. Il est loin d’être parfait. » « Justement c’est ça qui me plait, lui répondit l’amie. Il ne me surprotège pas. Il m’oblige à me battre, avec lui et avec mon propre désir. Il m’entame parfois. Avec lui je me sens adulte. » « C’est ça être adulte ? remarqua Ania. Je pensais moi que c’était… » « Quoi, être parfait ? Tu réfléchis comme une enfant. »

Effectivement, se dit Ania, qui réalisa qu’à certains égards, elle n’avait plus grandi depuis la mort de son petit frère. C’est ce qui arrive aux enfants qui mûrissent avant l’âge : il y a des parts d’eux qui ne  se développent pas.

« Etre adulte, c’est travailler à l’être », reprit l’amie.  « Alors mon petit frère se montrait plus adulte que moi, car il travaillait beaucoup à être. » « Si tu veux… »

Carole Menahem-Lilin. Illustration: Libellule, http://e-kaki.net/?page=2&artist=Libelule

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