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13 avril 2013

Police, vous avez dit police? (3)

De son côté, Gérard Martin au fond de sa cellule n’a pas avancé dans ses réflexions. Il y a tellement de trous noirs dans l’emploi du temps de sa femme. Pour l’instant, son absence au bureau ne le tracasse nullement, d’ailleurs il n’y pense plus du tout. « Alors Mathilde, tu me rends fou ! Je veux retourner à ma petite vie pépère, revenir quelques jours en arrière et effacer toute la suite. Mathilde, oh mon Dieu ! » Il n’a que cette expression en tête. Il ne comprend toujours pas pourquoi, il n’est pas croyant. Tout s’écroule autour de lui. Les quelques heures d’isolement, sans voir âme qui vive, ne lui ont pas permis d’y voir plus clair.

Déjà, l’officier de police judiciaire revient à la charge. Après avoir pris connaissance du résultat des nouvelles investigations de son équipe sur le terrain, il fait lui-même son rapport à son supérieur.

-            Pour l’instant, nous en sommes encore à la recherche d’indices. Nous n’avons qu’un foulard peut-être tâché de sang que l’escouade a trouvé dans une allée du parc. L’équipe scientifique ne nous a pas encore communiqué les résultats quant à l'origine de cette tache. La photo fournie par la mère a été montrée aux usagers du lieu, aux hôpitaux, mais personne n’a remarqué Madame Martin. Je vais essayer d’obtenir une description vestimentaire de sa femme au moment de son départ de la part de M. Martin. Ce n’est pas gagné !

-            Ok. Pour la suite nous aviserons en fonction du rapport scientifique. Si c’est bien du sang humain, il faudra obtenir un objet personnel de la disparue pour rechercher son ADN, le comparer à celui du foulard et faire une information au juge qui appréciera s’il y a lieu de l’inscrire au FPR.

-            Ah ! si on avait une brigade canine, les recherches auraient avancé…

-            La question ne se pose pas puisqu’on n’en a pas... Il faut cependant rassemble plus d’éléments pour le juge.

-            Vous assistez à l’interrogatoire ?

-            Non, demandez à un membre du groupe de terrain de se joindre à vous. Il aura sûrement des questions plus pertinentes par rapport à ce qu’il a vu.

-            Bien chef !

***

Le brigadier-chef,  après avoir demandé qu’on lui transmette dès que possible les résultats, s'attarde errière la vitre teintée. De l’autre côté, l’OPJ  demande à Gérard Martin :

-            Décrivez-moi comment était habillée votre femme lundi avant son départ.

-            Je n’ai pas fait attention.

-            Réfléchissez, elle portait plutôt un pantalon ? elle avait un manteau ?

-            Honnêtement, je ne sais pas. (Il semble fouiller au fin fond de sa mémoire) A part le manteau en fausse fourrure que lui a offert sa mère et un petit foulard vert pomme à pois gris… le foulard j’en suis sûr, elle l’affectionne particulièrement.

-            Bien, on avance. Le manteau quelle couleur ?

-            Foncé… noir ou marron, que sais-je, demandez à sa mère !

 

Le collègue prend la relève :

-            A-t-elle l’habitude de passer par le parc pour se rendre chez sa mère ?

-            Je pense que c’est le cas, c’est plus direct… même si ma belle-mère n’habite pas très loin (répond l’homme un peu ailleurs)

-            A-t-elle un portable ? lance le policier, occultant le fait qu’il connait la réponse depuis la première déposition de la belle-mère.

-            Oui bien sûr. Mais ce n’est pas pour ça qu’elle décroche quand je l’appelle.

-            Vous avez essayé de la joindre depuis lundi ?

-            Non, je vous ai déjà dit que je la croyais chez sa mère, s’emporte Gérard Martin.

-            M’enfin ! Monsieur Martin c’est étrange de rester comme ça sans nouvelle.

***

 

Dès le début de ces échanges, le supérieur a demandé à un agent de police de tenter une nouvelle localisation géographique du portable de la disparue.

Le chef ne tient plus derrière ce miroir opaque ; le temps passe et l’enquête est presque au point mort. Il prend le combiné du téléphone de son bureau, appelle le labo scientifique : il veut des nouvelles concernant le foulard et la correspondance éventuelle entre la description faite par le mari et celui trouvé dans le parc. Le verdict tombe : c’est bien du sang humain. Il envoie la photo à la mère de Mathilde, qui confirme qu’il s’agit du foulard de sa fille. Reste encore à comparer avec son ADN. Des cheveux prélevés sur une brosse feraient l’affaire.

 

Le brigadier chef et son collègue continuent de questionner Gérard Martin, mais ils n’obtiennent plus aucun élément concret qui pourrait étayer les preuves. Sans mentionner que le foulard de Mathilde a été retrouvé dans un sale état, ils décident de le remettre en cellule pour l’instant et d’aller constater à quel stade sont les collègues sur les deux nouvelles pistes évoquées. Il reste encore quelques heures pour la garde à vue ; il faut les mettre à profit. Pour l’instant, le boulot est le seul alibi de Monsieur Martin, pour le reste du temps, personne ne peut confirmer sa présence chez lui. Ne pas le relâcher trop tôt.

Soudain, le signal du téléphone de Mathilde est repéré dans la zone quadrillée par le groupe hier au soir. Trois hommes s’y rendent rapidement, toutes sirènes hurlantes. Un clochard, dos appuyé aux grilles de l’entrée du parc, son postérieur sur une vieille couverture de laine mitée, tente d’allumer l’appareil. A l’approche des policiers, il hurle à leur crever les tympans: « Laissez-moi tranquille, je n’ai rien fait ! ». Il se débat violemment, les coups de pieds fusent dans tous les sens. Rien n’y fait, le vieillard, enfin maîtrisé, est emmené au poste pour être interrogé.

-            Où avez-vous trouvé ce téléphone ?

-            Il est à moi, rendez-le moi !

-            Où l’avez-vous trouvé ?

Les relents de vin bon marché envahissent toute la pièce et indisposent les enquêteurs.

-            On sait à qui il appartient. Alors, allonge-toi !

-            C’est une dame qui me l’a donné dans le parc.

-            Tu n’inventes pas un peu ? donné ? à quel endroit ?

-            Enfin, il est tombé de sa poche, j’ai couru pour le lui rendre mais elle est vite partie

-            Evidemment, tu lui as fait peur, nigaud !

Peut-être à cause du stress, l'homme se met à vomir et les policiers l'envoient en cellule de dégrisement. Eux-mêmes ne tardent pas à quitter la salle d’interrogatoire à l’air saturé : ils vont respirer un bol d’air frais à la porte du commissariat. Une pause de courte durée car déjà le Commissaire convoque l’ensemble de la brigade – équipe de jour et équipe de nuit réunies au grand complet- pour  faire le point sur l’affaire. Le débriefing commence aussitôt.

Les preuves se limitent au foulard ensanglanté et au portable dérobé. C’est la première grande affaire dans ce modeste commissariat de quartier, mais le Commissaire sait très bien ce que le juge va dire quand il recevra son appel. Effectivement, celui-ci estime qu’il n’y a pas assez d’éléments à charge pour prolonger la garde à vue de Gérard Martin et ordonne une perquisition au domicile conjugal.

Gérard Martin est immédiatement informé de la fin de sa détention et prié de conduire les agents des forces de l’ordre à son domicile pour une fouille minutieuse de l’appartement à la recherche de pièces à conviction.

-            C’est une violation de ma vie privée, se rebelle-t-il, de toute façon, vous ne trouverez rien chez moi. Je n’ai rien fait, je me tue à vous le dire… 

-            Allons, Monsieur Martin, vous n’avez pas le choix, j’ai un mandat du juge.

-            Je ne sais rien, je n’ai rien fait !

-            On sait, le monde est peuplé de gens innocents. Allez en route, vous devez y assister.

L’homme s’exécute en grommelant et en trainant des pieds jusqu’au véhicule de fonction qui démarre à toutes blindes. Le quinqua tranquille du 4ème droite fait forte impression au pied de son immeuble, entouré de policiers. Les commérages vont bon train. Un agent est laissé en faction à côté de la camionnette, avec consigne d’ouvrir bien grand ses oreilles : il s’agirait de ne pas perdre une occasion de glaner quelques informations sur le personnage peut-être pas si tranquille.

Les trois officiers pénètrent à l’intérieur du domicile bien ordonné du couple Martin, suivi par ce dernier. Toutes les pièces sont passées au crible, tous les recoins visités et les objets étalés sur le sol sans aucune précaution. Gérard Martin imagine le dialogue qu’aurait pu tenir Mathilde à la vue de cette porcherie, jamais il ne sera en mesure de remettre de l’ordre avant son retour. D’ailleurs, il est bien le seul à penser que Mathilde va évidemment revenir. Les bras ballants, il suit machinalement les enquêteurs à travers l’appartement mais ne prête aucune attention à leurs gestes. Il ne s’aperçoit pas des cheveux récupérés et placés dans une pochette sur laquelle est inscrit « pièce à conviction )°1». Pas plus que du magazine de voyages récupéré dans une pile de revues bien rangées sur la table basse. Non, ce qui inquiète Gérard Martin c’est le désordre, l’amas de tiroirs jetés par terre et vidés de leurs contenus.

Les agents quittent enfin les lieux, non sans lui rappeler qu’il doit rester à la disposition de la justice et qu’il a interdiction de quitter le territoire. « Mais où veulent-ils que j’aille ! se dit-il en regardant l’état des pièces. Il va me falloir des jours pour tout ranger. Hors de question que Mathilde voie l’appartement dans cet état ».

Il est bien vite dépassé et, sur un coup de tête, décide de prendre le taureau par les cornes et d’aller s’expliquer avec sa belle-mère. C’est alors une autre sorte de grand déballage, chacun exprime ce qu’il a sur le cœur, chaque anecdote citée d’une part ou de l’autre prend des proportions démesurées, les années de silence et de rancœur  amplifiant le moindre évènement.  Le ton monte des deux côtés, des mots sont jetés en pâture : possessive, mégère, sorcière, manipulatrice, inquisiteur, aveugle, briseur de rêves, mauvais amant…

Aïe ! Le mot fait mouche et Gérard Martin voit rouge :

-            Pardon, mauvais amant ?

-            Parfaitement, mauvais amant !

-            Mais de quel droit…

-            De celui d’une mère à qui la fille confie beaucoup de choses !

-            Que savez-vous ? je savais bien que vous cachiez des informations…

-            Elle n’est pas heureuse ma fille. Elle n’a pas eu de mal à trouver un autre homme, c’est une belle femme !

Gérard Martin se laisse glisser sur les pavés froids comme un chiffon usagé. Son visage se décompose. Il apprend qu’il est « cocu » par ce diable de belle-mère.  Rien ne pouvait être plus humiliant.

Un reste d’humanité pousse la bonne femme à le prendre par les épaules et à  l’asseoir sur le vieux canapé velours de la pièce. Elle voudrait s’excuser mais ne s’y résout pas. « Il est tard, vous voulez un peu de soupe avant de rentrer ? " propose-t-elle tout de même. Gérard Martin n’a qu’un désir : décliner l’offre ; il ne veut rien d’autre que se retrouver seul chez lui, dans cet appartement encore sens dessus-dessous. Mais, lui aussi ne s’y autorise pas et semble résignéà partager un léger repas avec cette femme si dérangeante. Il remet son vieil imperméable d’un gris des plus triste sur le porte-manteau de l’entrée. La terrible sonnerie du téléphone retentit alors lourdement et le fait tressaillir.

-          « C’est le commissaire, lance la maîtresse des lieux, il voudrait vous dire un mot… »

-          Oui, Gérard Martin à l’appareil.

-          Je vous dérange ?

-          On ne me dérange jamais quand je mange avec ma belle-mère.

-          Je vois ce que vous voulez dire.  Nous avons récupéré un cheveu de votre femme sur sa brosse lors de la perquisition chez vous. Son  ADN a pu être reconstitué et ne correspond pas à l’ADN de la tache de sang sur son foulard. Voilà ce n’est pas grand-chose mais je voulais vous en informer.

-          Alors, qu’est-ce que cela veut dire ? Mathilde n’a rien, elle va revenir ?

-          Pour l’instant nous sommes dans l’impasse. Je vous tiens au courant.

Sur ces mots, le Commissaire raccroche. Il ne veut pas jouer les oiseaux de mauvais augure et se garde bien de lui apprendre que l’ADN trouvé  correspond à celui du violeur, déjà fiché pour les mêmes faits, recherché depuis quelques semaines. Pour quoi faire ? Ces nouvelles données viennet du moins lever les suspicions au sujet de Gérard Martin. C’est ce que retiendront les protagonistes en charge de l’affaire.

Pour sa part, Gérard résume les termes de son entretien à la mère de Mathilde qui prend ses informations comme une « bonne nouvelle »concernant l’état de santé de sa fille et émet une nouvelle fois l’hypothèse d’une pause que Mathilde s’accorde dans cette vie sans imprévu. N’y tenant plus, Gérard Martin enfile son imperméable sans prêter attention aux divagations de sa belle-mère. Secrètement, il  conserve l’espoir lui aussi de revoir sa femme ; à présent il fabule sur un dénouement heureux à cette parenthèse qu’il pardonnera à Mathilde. Si amant il y a, il fera comme s’il n’avait jamais existé.

***

 

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