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2 septembre 2013

Un volant couleur champagne, par Carole Menahem-Lilin

Première partie d'une nouvelle qui m'a été inspirée par trois cartes postales... La suite demain et après-demain. Carole

Ferrari_electrique

I

Au salon des trouvailles, Ania regarde des enfants tourner autour de la création oscarisée, une voiture à taille suffisante pour qu’un jeune conducteur de sept à dix ans puisse monter dedans et l’actionner. L’auto a une petite batterie, elle peut avancer, faire des signaux, vrombir… Ania est fascinée. Elle aurait voulu avoir cette idée. Elle n’est pourtant pas inventrice ! Elle aurait voulu pouvoir offrir un jouet pareil à ses enfants… elle n’a pourtant pas d’enfants ! Peut-être pourra-t-elle commander le modèle pour sa boutique…

Elle est venue ici parce que Marco, son voisin décorateur, a conçu l’un des stands, et a reçu des entrées gratuites. « Trois entrées ! lui avait-il dit hier en la regardant droit dans les yeux. Mais, a-t-il ajouté, c’est avec vous… c’est avec toi que j’ai envie d’y aller ». Ania  avait hésité à accepter une invitation formulée avec une telle intensité. Puis elle s’était rendu compte que le regard doré et direct du garçon lui plaisait, et que finalement, sa formulation directe aussi. Elle a donc hoché la tête, sans sourire pourtant – elle n’est pas encore capable de sourire. Le sourire signifie la légèreté ou la confiance, et elle en est encore loin.

II

La dernière fois qu’elle  avait accordé sa confiance, c’était il y a quatre ans. L’homme au volant de la grande américaine, qui lui souriait, puis qui garait la voiture sur un accotement face à la mer, puis qui l’embrassait, cet homme-là représentait croyait-elle son avenir. Puisqu’il le lui demandait, elle avait accepté de s’installer à ses côtés, sur le siège passager, et de le laisser la conduire où il voulait l’emmener – pour le meilleur et le pire.

Mais Jean-John, découvrit-elle rapidement (trop rapidement après le mariage), se prenait pour Kennedy. Ou pour Nixon, ou Reagan and Co. L’un de ces héros américains des grandes années, dents blanches front haut regard lointain, qui décident de tout pour tout le monde. Peu à peu, ça avait fait pire qu’énerver Ania : ça l’avait amputée d’une partie d’elle-même.

III

Amputée d’une part d’elle-même. Elle vivait désormais au ralenti. Manquait de confiance en elle. Ne parvenait plus à prendre de décisions. N’osait même plus toucher au volant. Il n’y avait pas moyen de discuter avec Jean-John, il se sentait tout de suite mis en cause. Ou bien c’était elle qui ne savait pas faire.

Oui, sans doute. Ania n’aime pas juger les autres. Elle sait bien qu’elle s’était mise elle-même dans cette position fâcheuse : se marier, avant d’avoir obtenu son permis de vivre. Mais on peut lui accorder que la susceptibilité de Jean-John n’aidait pas à assainir la relation et que, dans l’habitacle de la splendide américaine, l’atmosphère devint bientôt irrespirable. Même les parties de jambes en l’air sur le siège arrière, même la vision des panoramas dignes du cinéma en technicolor, ne suffisait plus à calmer les tensions de leur mariage.

Où était l’Ania était capable de faire du stop avec assurance, de prendre des risques en riant ?

Pour finir, et puisqu’il était impossible de parler avec un Jean-John paniqué sans qu’il se mette à gronder, Ania avait acheté une affiche noir et blanc  qu’elle avait fait sobrement encadrée, avant de la poser sur le siège passager, bien en vue. La photo représentait un homme en train de fixer, à l’arrière de son auto, un panneau : « Just divorced ». Jean-John avait grondé plus fort. Il avait bien entendu jeté le cadre par la fenêtre, sur le macadam. Puis il était parti rouler. Ania en avait profité pour faire ses valises. Sa valise plutôt, car elle était partie à pied. Tout ce qu’elle voulait, c’était que la séparation soit prononcée, elle n’avait récupéré aucun des biens pour lesquels elle avait pris pourtant un petit crédit – Jean-John n’ayant vraiment de passion que pour sa voiture. Elle s’en moquait. Elle était libre.

suite au prochain épisode...

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