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3 septembre 2013

Un volant couleur champagne (2), par C. Menahem-Lilin

 

IV

Libre. Son ex avait poursuivi ses somptueux voyages dans son auto à alouettes. Elle, avait cherché un boulot et une roulotte. Avait vite trouvé. Quand elle prenait les choses en main, Ania était capable du meilleur, découvrait-elle. Mais, bien que cela fasse deux ans maintenant, elle avait encore du mal à s’assoir à côté d’un homme, pour regarder ensemble à travers le même pare-brise (ou simplement dans la même direction.)

Aujourd’hui elle se dit qu’il lui faut garder le volant de sa vie entre les mains. Il lui faut sentir les pédales du frein et de l’accélérateur sous ses semelles. Elle a découvert qu’elle aime quand la route gronde dans sa voute plantaire, et que la vitesse fait vibrer son dos. Elle aime dompter l’asphalte, le caresser d’une poigne de velours…

V

Appuyé à la barrière à ses côtés, Marco, amusé, observe lui aussi les enfants. Le garçon s’est coiffé d’autorité d’un casque de conducteur et de grosses lunettes noires, et il squatte la place royale. La fillette, debout accoudée à la portière, observe elle aussi le volant, avec des yeux brillants de convoitise. Mais elle est plus jeune, et puis c’est une fille… Deux éléments suffisants pour que le gamin ne se pose même pas la question de lui ouvrir la portière côté passager.

Vroum vroum ! fait le gamin. Il ne cherche pas à démarrer. Il se contente de tenir le volant et de le garder, jalousement. Enfin il tente, n’y parvient pas, pousse quelques cris excédés en sourdine, puis reprend ses vroum vroum d’autosatisfaction. La fillette, toujours penchée par-dessus son épaule, observe les manettes et boutons, et parait noter dans sa tête.

La situation s’éternise, les parents n’interviennent pas, la petite brune commence à donner des signes d’impatience (des larmes se forment dans ses grands yeux noirs).

Ania observe tout cela comme si elle était sous le coup d’un enchantement. Marco, qui s’était à demi tourné vers elle pour lui parler, n’ose rompre sa concentration ; il en profite pour scruter son profil, son cou gracieux, la rondeur de ses seins qui se soulèvent et palpitent dans une émotion qu’il ne comprend pas, mais qui le ravit.

VI

Une petite file d’autres enfants qui attendent leur tour s’est formée au bord du stand, et commence à ronchonner. Les parents du gamin n’interviennent toujours pas. La fillette a chuchoté plusieurs fois à l’oreille du garçon, qui fait toujours semblant de ne rien entendre, alors qu’il est visible au fin observateur qu’est Marco qu’il a fini de s’amuser. Il ne veut pas céder la place, c’est tout. Peut-être, pris dans ses contradictions, ne sait-il plus comment faire ?

Marco fait tranquillement le tour de la barrière et, s’accroupissant près de lui, lui dit gentiment : « Laisse la place à ta petite sœur. – C’est pas ma sœur, c’est ma cousine ! – Eh bien, laisse-la essayer ! Elle a envie elle aussi, regarde ! D’ailleurs c’est son tour. »

Le jeune mufle souffle, tourne la tête pour ne plus voir Marco, mais croise alors le regard des autres enfants. Marco devine qu’il  fulmine sans oser trop le montrer…  Enfin le gamin baisse la tête vers le volant, le tourne plusieurs fois au risque de le dévisser, fait semblant de freiner, et même de piler ( à voir le soubresaut qui affecte son torse). Enfin il sort, se redresse et, grossièrement, claque la portière devant la fillette.

Laquelle hausse les épaules et sans perdre de temps en récriminations rouvre tranquillement, s’installe, et démarre – démarre du premier coup, sous les murmures approbatifs de la petite foule enfantine. Au passage, elle lance un regard reconnaissant à Marco, mais n’ose ni ouvrir la bouche, ni ôter ne fut-ce qu’une main du volant… Le jeune homme sourit intérieurement et sort de l’espace de conduite, pour rejoindre Ania derrière la barrière.

Elle l’accueille avec un regard aussi concentré que celui de la fillette, et plus interrogateur.

« On continue ? » dit-il. Elle hoche la tête. Tandis qu’ils reprennent leur déambulation, un demi sourire se dessine sur ses lèvres – pas encore un sourire complet.

suite au prochain épisode

 

 

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