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2 octobre 2013

Marie Galante, par Evelyne Grenet

Piste d'écriture: décrire en usant de tous ses sens, faire corps avec le paysage.

 

Marie Galante

 Le jeune homme et sa sœur ont décidé de visiter l'île: ils louent un scooter. Parcourir la campagne hors des sentiers battus a un charme empreint de liberté.

Il a énormément plu les jours précédents. Des ornières boueuses rident la terre détrempée. Camille assise à cheval derrière Matéo, se cramponne à son frère en lui enserrant la taille. Retrouvant son âme d'enfant, elle soulève allègrement les jambes au passage des flaques d'eau en poussant de petits cris aigus. Aujourd'hui la chaleur est accablante ; filer le nez au vent est très agréable. Camille ferme les yeux et se laisse conduire en toute confiance. La brise balaie sa figure d'un souffle chaud. Le paysage disparaît derrière ses paupières closes. Elle perçoit avec plus d'acuité les sons au fil du chemin parcouru. Le ronronnement du scooter effraie sans doute un oiseau qui s'enfuit du taillis en paillant. Un chien aboie au loin. Des sonnailles rythment le pas lent des bovins qui paissent dans le champ voisin. Des hommes s'interpellent. Curieuse, Camille ouvre de nouveau les yeux. Sur sa droite un champ de cannes à sucre tapisse de vert éclatant le terrain qui glisse en pente douce. Les cannes poussent bien dru ! Les ouvriers les coupent, les chargent sur une remorque tirée par des bœufs. Matéo s'arrête. Les deux jeunes gens observent en silence la scène. Sous le soleil de plomb, les travailleurs ne ménagent pas leur énergie. Par de larges mouvements successifs, ils empilent les tiges que d'autres coupent d'un geste sec à l'aide de leur machette. Ils stoppent quelques minutes ce ballet laborieux pour saluer à leur tour Camille qui leur adresse un bonjour. Un geste de la main, quelques rires qui fusent, des paroles incompréhensibles en créole et le travail reprend. Des effluves douceâtres de fermentation planent dans l'air. La rhumerie n'est pas très loin... Matéo remet les gaz, le scooter s'éloigne.

evelyne_marie_galanteComme le puissant rhum qu'elle produit, l'île est essentiellement agricole. La terre est fertile. Les potagers se cachent derrière les maisons elles-mêmes blotties sous l'ombre fraîche d'un arbre. La nature est généreuse. Les arbres fruitiers produisent en abondance. Manguiers, arbres à pain plient sous la charge des fruits. Le scooter garé en bordure de chaussée, les deux jeunes se dirigent vers un homme qui sarcle la terre de son jardin. L'homme, coiffé d'un large chapeau de paille, a le torse nu. Camille ne peut s'empêcher d'admirer la puissante musculature sous l'épiderme cuivré. La sueur perle, irise la peau satinée. L'individu se redresse, arbore un large sourire, salue chaleureusement. Le musc de l'eau de toilette mélangé à l'odeur de transpiration irradie vers la jeune fille qui ressent aussitôt un léger trouble. L’autochtone leur parle de sa vie paisible sur l'île. Il partage son temps entre la pêche et la culture. Il leur confie que grâce à la clémence du climat, il parvient à ramasser plusieurs récoltes de tomates, patates douces et ignames, dans la même année. Il attrape quelques mangues serrées dans un panier, les tend généreusement à Matéo et à Camille. La gorge desséchée, la jeune fille apprécie ce cadeau qui la désaltérera. Elle saisit un des fruits, tire délicatement la peau épaisse ; un doux parfum de miel effleure ses narines. Elle mord la chair orangée, laissant couler le jus sucré. Un vrai délice ! A la saveur du fruit s'ajoute le bonheur éphémère de cette conversation, de ces confidences partagées avec quelqu'un qu'ils ne reverront jamais... Camille tire de son sac à dos un cake au citron qu'elle a cuisiné le matin même et qu'elle avait emmené pour un petit creux éventuel. Elle offre le gâteau.

Un peu plus loin, nouvel arrêt pour prendre une photo. Un éleveur de bétail, appuyé contre son vélo, reste planté à côté de ces veaux. Un petit fagot de cannes à sucre est étroitement attaché sur le porte-bagage. L'homme a la tête ronde comme une lune. Il les gratifie d'un sourire édenté, leur demande si c'est la première fois qu'ils viennent sur l'île, s'ils aiment Marie-Galante. La conversation s'engage. Tout en parlant, il tire prestement une des cannes qu'il débite en trois tronçons. Grâce à la lame effilée de son coupe-coupe, par de petits coups secs, il retire l'écorce puis leur tend les bâtonnets fibreux. Matéo et Camille aspirent avec plaisir la sève sucrée.

Sur le chemin du retour, ils longent le rivage, respirent à pleins poumons l'air chargé d'embruns. Les goélands planent, se laissant porter par les courants ascendants d'air chaud. Les mouettes piaillent se poursuivant dans l'azur. Sable blanc et cocotiers, vision de carte postale... Matéo propose la baignade. La plage immense est déserte. Seul un couple attendri surveille ses enfants, et un pêcheur tire sa barque sur le sable, au sec. Après quelques brasses le frère et la sœur s'allongent au soleil. Camille plonge ses mains dans le sable, laisse couler entre ses doigts la myriade de grains fins. Ce geste lui évoque le temps compté par le sablier. Mais ici le temps n'a pas de prise. Elle offre son corps aux rayons chauds du soleil qui sèchent les gouttes salées encore accrochées à sa peau. Les paupières closes, elle écoute le frémissement des branches de cocotiers agitées par le vent, le rire des enfants qui s'éclaboussent, le piaillement des mouettes qui se disputent un poisson pêché par l'une d'elles.

Alanguie, Camille goûte pleinement ce moment de détente. Elle se sent heureuse. Elle entend son frère fredonner Marie-Galante, tous les deux adorent Laurent Voulzy. Écouter l'artiste chanter les Antilles les avaient séduits, ils avaient décidé de visiter cette île.

Evelyne Grenet, septembre 2013. Photo de l'auteure. 

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