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31 janvier 2014

Objets... par Louis Portejoie

Piste d'écriture: à la manière de François Bon dans Autobiographie des objets, nous faire entrer dans l'unviers de votre personnage à travers ses possessions.

louis_livreObjets

 Tout est là ; rien n'a bougé : la  bibliothèque que j'avais commencé à peindre et dont le dernier élément est resté pour toujours inachevé. Ben quoi ? Y a bien des types qui ont composé des symphonies inachevées ! Il suffisait d'acheter le pot de peinture qui manquait et le tour était joué.

 C'est plein de bouquins, dont quelques uns ont encore les pages reliées, qu'il fallait couper avec un coupe papier, ça installait un rituel sonore, ça montrait comme preuve indubitable, palpable, qu'on avait lu au moins le début, que le coupe papier ne demandait pas mieux que de couper, sans tricher, page après page, suivant la progression de l'histoire : soigneusement d'abord, puis si le livre était passionnant,  nerveusement comme en témoigne la bordure irrégulière des feuilles .

Le tourne disques « Teppaz » attend qu'une main délicate s'empare du  bras articulé, le soulève, l'écarte vers la droite, avec ce cliquetis angoissant comme si on avait cassé quelque chose, puis le pose doucement, délicatement sur le microsillon, après avoir au préalable centré à peu près le rond en plastique au milieu du support, si c'est un 45 tours. Mais c'est un 33 tours qui végète là, un peu stupide ! Un 33 tours c'est fait pour tourner, surtout celui-là : « Toccata et fugue en ré mineur » de Jean-Sébastien Bach,  dont j’étais si fier de jouer le début sur le piano « Pleyel Paris »  qui attend, lui aussi. La la la la la la la la : « Ce que je sais le mieux, dit je sais plus qui, c'est mon commencement ». Une partition reste ouverte : « La sonate au clair de lune  » de Beethoven, dont je jouais les six premières portées, sous le regard admiratif des filles de la classe.  Ce qui est dur c'est d'attraper les deux sols ta, ta ta ta, Avec la main droite, faut écarteler des doigts et ça fait mal, après c'est plus facile, mais après, j'ai pas continué. Je sais plus qui dit encore : « Je puis tout par un soudain effort, mais ôtez-en la durée »…Bof ! Ça me reprendra peut être un jour !

La machine à écrire Olivetti est là, une feuille encore enroulée dans le chariot, le ruban rouge et noir qui sursaute à chaque lettre frappée, et les rouleaux qui tournent ; une faute ? Facile. On prend un petit carré de papier blanc, on l'insère sur la feuille, on tape n'importe quelle lettre et ça met du blanc sur la faute. On recule un peu le chariot à la main et on retape le mot juste,  puis on continue jusqu’au bout de  la page. Ça sonne : ding ! On donne un pichenette sur la chariot de droite à gauche ; il fallait appuyer fort et profondément sur les touches, on plaçait ses doigts sur la ligne du milieu :  q s d f g h j k l  m, et on allait chercher les autres lettres en faisant le moins de chemin possible avec les doigts… On apprenait avec un cache clavier.

 Une fois le texte tapé on passait à la ronéo : il fallait coincer le stencil dans le rouleau, mettre de l'encre violette, insérer une feuille dans le bac, et tourner la manivelle.  Et hop ! Trente tours de manivelle, Trente exemplaires du commentaire composé sur Balzac. Ça je savais le faire, et c'est à moi que ma prof de français confiait cette délicate opération. Quand il y avait des filles, je tapais le texte sans regarder le clavier, à l'aveugle, ça faisait toujours son petit effet. Je ne savais pas alors qu'il y a d'autres moyens plus rapides et plus sûrs de séduire ces jeunes filles en fleurs…

Kevin sort sa liseuse, télécharge un livre et tourne les pages en faisant glisser son doigt sur l’écran : il sélectionne sur internet le corrigé de la dissert, l'envoie à l'imprimante en wifi,  programme trente exemplaires et envoie des sms à ses copains. Il ouvre son ordinateur portable, et tape un texte aussi vite que moi, avec deux doigts, sans avoir jamais passé des heures et des heures au cache clavier .Y a un probleme ? Il sort son mp je sais pas combien, le branche sur la prise usb, télécharge le dernier cd en vogue, et dodeline de la tete  sous un casque de cosmonaute . Il branche son synthetiseur, programme la toccata et fugue en ré mineur, un écran lui indique ou placer ses doigts.

Tout est là , rien n'a bougé. « De notre temps disait Jean Pierre , mon copain retraité comme moi, on n'avait pas tout ça mais on était heureux! »Ouais, ouais, un pincement me serre le coeur et m’opprime. Un peu comme quand ma fiancée d'alors regardait les autres garçons ! Bon d'accord, on était heureux, mais il a pas l'air trop malheureux Kevin, tous comptes faits !

 

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