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10 février 2014

Mathilde ou la nouvelle vie, par ETTYLA

 piste d'écriture: le rêve et les échos qu'il peut avoir sur la vie. 
Mathilde ou la nouvelle vie
 

Elle est assise dans son fauteuil, elle ne dit rien et pourtant une voix tendre et suppliante résonne dans la lumière de ce matin clair, sans soleil, bleuté comme le serait le repos éternel s'il avait une couleur. C’est un murmure chanté qui dit la lassitude, le besoin de paix, ça s’élève, ondule, s’enroule en spirale, se désagrège en nuées cotonneuses.

-Laissez-moi partir, j’ai assez vécu, je vous aime…

Sa tête dodeline doucement, les paupières diaphanes recouvrent à peine le regard qui s’égare vers d’autres réalités, la bouche s’arrondit, s’étonne, il en sort des fleurs, ruban orangé de pétales frais et odorants, ses mains s’ouvrent en lianes qui l’enveloppent de vert printanier, ses pieds s’allongent en racines brunes qui s’ancrent profondément dans l’ocre de la terre.

Dans un bruit de succion, de ce corps englouti, s’extirpe une ombre vaporeuse, une vague sans forme, sans poids, une pâle lumière,  à peine un voile de rien qui regarde, contemple, se reconnait

dans le visage assoupi.

 

Mathilde ouvre les yeux, il fait encore nuit.

Elle connaît ce rêve, elle est déjà venue là, dans ce coeur, dans ce corps de vieille femme. Elle a compris que c’est un cadeau qu’on lui fait, qu’elle se fait.

La dernière fois, agenouillée prés d’une fontaine, cette femme tendait les mains, l’eau qu’elle buvait c’était cette ombre lumineuse, elle giclait dans sa bouche, s’arrondissait en boucles qui sortaient de son nez et de ses oreilles en doux chants. Elle ne se rappelle plus ce que ces chants disaient. Laure lui a dit pourtant de noter dés le réveil ces rêves, elle n’en a ni la volonté, ni le courage.. les plaquer sur papier, ça les abîme…elle aime que ses rêves restent légers, mystérieux.

Avant l’aube, en chemise, à moitié nue, elle descend sur la plage, elle marche dans la frange blanche d’écume, ses pieds s’enfoncent dans le sable mouillé, elle rit de le sentir s’enfuir en chatouillis dans le reflux de la vague, un léger vertige s’ensuit, comme un soupir qui l’attire, elle se reprend, s’appuie sur elle, elle est là, présente, presque aussi présente que dans son rêve.

Bras dessus-dessous, silencieusement, elles bavardent comme deux amies, elle ne dort plus mais elle rêve encore. Elle connaît les questions, ignore les solutions, elle attend tout d’elle.

Comment quitter cette vie qui ne lui va plus? Comment s’y prendre sans froisser quiconque?

Rejoindre la terre, y plonger toute entière?

Ce soir, elle le sait, elle reviendra d’une autre façon, habiter la femme qui la rêve. 

 

Encore quelques jours de retraite avec sa soeur dans ce village breton avant le stress de la vie parisienne. Cette vie qu’elle ne peut plus supporter, le seul fait d’y penser lui fait courber l’échine, un goût de fer emplit sa bouche, sa respiration s’accélère. Qui la délivrera de cet enfer qu’elle vit depuis vingt ans? Un enfer dit Laure, tu délires, t’as vu ce que tu gagnes, l’appart où tu vis, les voyages et les vacances gratis, t’es vernie vraiment trop vernie!  Y’a des enfers plus chaud-brûlants que ça, t’es folle!

Oui, elle est folle. Les soirs, quand elle ne rentre pas trop tard et à peu près à jeun, assise dans la cuisine super moderne, devant son plat industriellement préparé et four micro-ondé, elle échafaude des scénarios divers pour s’extirper de cette vie. Lorsqu’elle s’étend prés de son mari après avoir embrassé les enfants endormis, elle avale un somnifère pour oublier qu’elle est vernie, vraiment trop vernie.

 

C’est le dernier soir, il fait doux, l’air est calme. Laure est partie rejoindre sa famille. Mathilde est seule dans la grande maison. Sur la terrasse face à la mer, elle sirote un fond de cidre, grignote une vieille galette de sarrasin. Cette nuit est la sienne, elle ne va pas dormir, sa décision est prise.

La vieille femme est morte la nuit dernière, dans son dernier souffle l’audace du choix de Mathilde s’est manifestée en une détermination claire, nette, sans détours, sans retours, la vieille femme agonisante s’est volatilisée en une explosion multicolore, Mathilde s’est réveillée dans un jardin exubérant de fleurs, d’arbres, d’arbustes, de fruits et de légumes.

Reste à trouver les mots pour convaincre, à faire face à la stupeur des autres, à dénicher la terre qui accueillera sa nouvelle vie.

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