Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
19 mars 2014

Messe câline, par Jean-Claude Boyrie

 

 

Messe câline.

Arbre Tropiques

« Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez : les arbres en tremblent »

Henri Michaux, "Plume", 1982.

 

Je l'ai rencontrée

sur le haut Plateau, née

d'un cactus nommé peyotl.

Entre elle et moi, c'est une immense

histoire d'amour. Compagne de mon rêve,

elle se prête, amène, aux projets les plus fous.

Elle me fait entrer dans son monde magique.

En quête d'aventure, et toujours en errance,

curieux

d'un improbable ailleurs, nous allons en ces lieux

d'où personne ne vient, où nul ne doit se rendre.

 

« Impudent imprudent,

que viens-tu faire ici, dans cette solitude ?

Je ne suis qu'un pauvre berger,

du désert, l'unique habitant.

Dis. Qu'attends-tu de moi ? » 

Je lui demande mon chemin.

Le vieil homme désigne une sente escarpée,

une voie de tous ignorée,

qui, depuis le plateau, s'enfonce dans la sylve

et plonge jusqu'au coeur profond de la falaise.


Nous devinons d'en haut la plaine littorale,

une frange bleutée, à peine perceptible,

et qui scintille à l'horizon,

Cet objectif paraît au loin inaccessible.

Mirage ? Hallucination ?

La mer... une irréelle et trouble vision....

 

Parfois, nous nous heurtons

à quelque obstacle infranchissable, trop heureux

qu'un repère anodin nous mène au droit chemin.

Que d'embûches sur ce trajet

cahotant, chaotique et plein d'aspérités !

Nous tentons vainement de progresser debout :

il nous faut tôt ou tard nous mettre à deux genoux,

et ramper, ramper, sans souci des meurtrissures.

Opaque est le mur végétal environnant.

De sombres frondaisons masquent le paysage

et leur ombre s'allonge au sol, immensément.

L'inextricable enchevêtrement des lianes

étend sa masse obscure, menaçante

en son arborescence, infini turbulent.

 

Le vent venu de mer chargé d'humidité

vient battre la falaise, sans trêve.

La pluie impitoyablement a détrempé

la rouge latérite et la végétation,

au point de rendre le trajet impraticable

à l'approche de la mousson.

Nos vêtements imprégnés d'eau,

ruissellent et, gluants, nous collent à la peau.

 

Zafimaniry

Les habitants de ce pays, pâles zombies,

sont discrets, à se demander s'ils existent.

J'en ai croisé pourtant, errant à peu près nus

au plus profond des bois. Nul besoin de boussole :

ils ont un sens inné de l'orientation.

Ces pauvres gens vivent de chasse et de cueillette,

se parlent au moyen d'un langage sifflé.

Ils excellent au travail du bois

et gravent sur l'écorce des signes inconnus.

Cette tribu

porte un bien joli nom : « zafimanir »1,

un mot qui rime en notre langue avec « Zéphyr ».

 

« On ne voit rien que ce

qu'il importe si peu de voir.

Rien, et cependant on tremble. »

 

La nuit tombe brutalement sous les Tropiques !

Ici, l'obscurité nous surprend tout d'un coup.

Par chance,

nous avons échoué tout près d'un campement.

Ne pouvant aller plus avant,

nous décidons de rester sur place : un auvent

de branches nous abrite des intempéries.

La pluie ayant pris fin, les feuillages s'animent.

Au travers de leurs interstices, nous voyons

des feux un à un s'allumer.

Clair de lune : elle arrive à son premier quartier.

Sur nos têtes paraît le fouillis des étoiles.

L'air vibre de l'appel lancinant des criquets.

Comment dormir, avec ce vent qui siffle dans les branches ?

Nous entendons feuler une panthère au loin...

Enfin paraît l'aurore. « Elle est grise en ce lieu,

il n'en fut pas toujours ainsi  »

Homère la disait jadis « aux doigts de rose » !

Enfin, nous étirons nos membres engourdis,

et nous acheminons derechef vers la Côte.

Un changement s'est fait : l'air est bien plus léger.

Une poudre irisée au soleil étincelle

dès ses premiers rayons, en perles de rosée.

Enfin nous parvenons à la frange incertaine

où la sylve se fond, en bas de la falaise,

avec le paysage ouvert des plantations.

Suave est le parfum des fleurs de caféier.

S'y mêle, insistante,

l'odeur balsamique des eucalyptus et

celle de l'ylang-yland, plus entêtante.

Nous respirons l'air vespéral à pleins poumons

un prélude troublant à la messe câline.

 

Jusqu'au jourd'hui,

j'ai gardé souvenir de ces nuits opalines ;

il me revient aussi

le nom de l'éphémère ennemie et amie,

ma compagne d'alors avait nom : « Mescaline ».

« Les drogues nous ennuient avec leur paradis »2

 

Illustration : Henri Michaux, Arbres des Tropiques, 1937, Aquarelle sur fond noir, 24 x 31 cm, Coll. Part./ »sans titre », 1982, huile sur toile 40 x 33 cm, Coll. Part.

Piste d'écriture : Trouver un écho à la citation poétique en exergue.

Notes :

1. Zafimaniry : tribu de la côte orientale de Madagascar

2. Henri Michaux, exergue de « Connaissance par les gouffres »

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Beau voyage, mi réel, mi fantastique. On bouge à l'intérieur de soi, en même temps qu'on avance dans le paysage. Ce texte t'a été inspiré, nous as-tu dit à l'atelier, autant par l'univers de Michaux que tu connais bien, que par un voyage réel que tu fis.
Répondre
Publicité