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2 avril 2014

Hommage à ma grand-mère O'Heix, par Monique Crépin

Monique Crépin vient chaque mercredi à l'atelier depuis plusieurs mois, et écrit sur le parcours de sa famille des textes que je trouve beaux, vivants. J'ai insisté pour qu'elle nous confie celui-ci, récit de voyage dans l’espace de la géographie et du passé... Carole

Hommage à ma grand-mère O'Heix

 

Elle s’appelait Marie O’Heix, O’ signifie descendant de. Grand-mère, enfants, tu nous disais toujours que ta famille venait d’Irlande, alors avec tes arrières, arrières-petits-fils, Martin et Arthur, nous sommes allés à la recherche de tes racines. Comme Claire, leur maman, ton arrière-petite-fille, tu avais la beauté insolente des nordiques, cheveux blonds vénitiens, yeux bleus pastel, depuis beaucoup de sang se sont mêlés.

Tu ne savais pas vraiment quand tes ancêtres avaient émigré,  peut-être durant la grande famine de 1845 où un million d’Irlandais sont morts et un million et demi ont fui. Venaient-ils du Connemara, cette terre de misère, incultivable, où Cromwell avait relégué les catholiques (pour ne pas dire parqués), ou venaient-ils d’ailleurs? On ne sait pas.

La rivière Liffey partage Dublin en deux, la rive nord avec O’Connel avenue, large, grouillante, le tout Dublin, les Champs- Elysées, avec sa poste classée du début du 19ème siècle et toutes ses statues ponctuant cet immense boulevard en retraçant l’histoire du pays, et puis la rive sud avec « Temple-bar » entre autres.

Nous avons beaucoup flâné le long de ce fleuve aux eaux grises et sombres surplombées d’un ciel aux nuages cavaleurs, poussés par le vent, les façades colorées au soleil finissant sont splendides, une palette de couleurs pastels. Tous les deux cents mètres environs un pont enjambe les flots passant d’une rive à l’autre, ils sont tous différents, certains futuristes, d’autres classiques, les uns larges et massifs, les autres graciles et frêles, dentelle de fer forgé.

 

illustration d'L. Benett, Bibliothèque d’Éducation et de Récréation J. Hetzel et Cie

En flânant sur les quais, un  vieux gréement, trois mâts tout en bois,  nous interpelle, la famille O’Heix a-t-elle quitté l’île sur un tel navire? J’ai imaginé tous ces émigrés  harassés de fatigue serrés les uns contre les autres, entassés sur le pont, les enfants affamés pleurant, accrochés aux seins séchés de leurs mères. Mais finalement, je me suis dit que le bateau de votre exil devait être encore moins sûr et moins confortable.

Vous mouriez de faim parce que vous étiez catholiques, en ce début du 21eme siècle, le pays est toujours partagé entre protestants et catholiques mais ceux-ci sont maintenant dominants et ce mercredi des « cendres », il était de bon ton d’arborer la tache noire sur le front rappelant que nous ne sommes que poussière. Les élèves en uniforme sont aussi très fiers de déambuler dans les rues s’affichant de tel ou tel établissement.

Nous vous avons cherché également dans les murs de Store House, the « Guiness factory ».

En l’an 2000 une partie de l’ancienne brasserie fut aménagée en musée, 7 étages d’histoire de cette bière mythique et de la famille d’Arthur Guiness, pour arriver tout en haut dans une rotonde de verre, vue imprenable à 360 degré sur Dublin, le ciel était suffisamment clair pour tout dévoiler, la cathédrale saint Patrick, les églises, les espaces verts, le vieux château, le quartier moyenâgeux des Liberties, les différents monuments et les 22 hectares de l’usine actuelle, tout près les maisons des ouvriers. Là, j’ai compris que mes ancêtres ne travaillaient pas ici, ils n’auraient jamais quitté cette vie de privilèges, où le patron avait inventé la sécurité sociale avant l’heure, la retraite, les logements corrects. On n’émigre pas quand on est bien dans son pays.

Comme dans un jeu aux multiples fausses pistes, nous empruntons: tramways, taxis, bus à impériale, admirant l’architecture géorgienne ou victorienne, particulièrement attirés par « Temple-bar », ancien quartier des artisans, devenu très touristique mais tellement typique, avec ses ruelles, ses placettes,  son street-art, il demeure incontournable avec ses pubs à touche -touche aux enseignes nominatives: les O’Connor, les O’Neil, tous les O’  du monde mais pas de O’Heix.

Attablés, à « l’International bar » avec ses clients accoudés au comptoir, nous dégustons une bière offerte par Martin et Arthur qui ont cassé leur tirelire. La chaleur de  la boisson s’infiltre doucement, alors soudainement apparait toute la convivialité, la joie de vivre du pays. Un vieil homme  joue de la guitare, accompagné d’une chanteuse, tous  deux nous invitent à penser la vie en couleur, un moment de bonheur dans une belle ambiance, une plongée dans l’insouciance, accompagnés de nos petits-enfants, heureux de  l’instant présent.

Grand-mère tes ancêtres pouvaient être pêcheurs, on ne sait jamais! Nous avons pris le train, le D.A.R.T, pour aller à Howth, petit port de pêche à 12 kilomètres de Dublin. Comme les habitants d’aujourd’hui, la famille O’Heix possédait peut-être un bateau, ravaudant les filets abimés,  abandonnés sur les quais, et expédiait du poisson aux quatre coins de l’île,  comme aujourd’hui les tripailles jetées dans le port attiraient les phoques, la mer d’Irlande est si froide que ces animaux lorsque les eaux boréales sont gelées, descendent jusqu’aux alentours de Dublin, attendant la fonte des glaces. Comme aujourd’hui vous vous régaliez peut- être de leurs plongeons, de leurs jeux, de leurs courses poursuites autour des embarcations.

A  l’image de Dany, Martin, et Arthur, vous randonniez sans doute sur cette presqu’île, dans la lande sauvage, surplombant dangereusement la côte escarpée, vous nourrissant de cette vue sur l’infini de la mer. Non, vous n’étiez pas pêcheurs, cette vie ne vous aurait pas incités à quitter votre terre tant aimée.

Seule solution grand-mère pour connaître le patrimoine culturel des tiens: les musées. Le musée Huglave Galery, avec l’Atelier de Bacon, le Musée des arts décoratifs avec ses pièces d’argenterie, ses bronzes, vaisselles, armures, ivoires et porcelaines.

Le National muséum galery avec sa superbe collection d’animaux empaillés notamment les espèces locales d’oiseaux. Dans l’History muséum découverte surprenante  d’hommes momifiés dans la tourbe aux vêtements ayant encore des allures de vêtement. Et puis une série somptueuse de bijoux en or massif, nous en avons plein les yeux, les femmes de la lignée O’ Heix auraient aimé porter ces joyaux, mais j’imagine qu’elles pouvaient à peine acheter les pommes de terre nécessaires à la survie des leurs.

Le dernier jour, chacun se disperse, sur Grifton Avenue, en quête des petites emplettes- souvenirs, magnifique rue commerçante avec son grand centre commerciale de style victorien tout en fer forgé dentelé vert et blanc, éclairé par une immense verrière.

Pique -nique dans le parc où, en ce début mars, le printemps bien timide pointe tout juste son nez.

Le séjour se termine, nous n’avons pas retrouvé à proprement parlé nos origines, seulement un clin d’œil au passé. A se demander, grand-mère si tu ne nous contais pas une jolie histoire pour nous endormir le soir, certaine de nous conduire au pays des rêves. Ou bien, hypothèse plus triste : la branche irlandaise est éteinte.

 Illustration trouvée sur le site: http://jv.gilead.org.il/zydorczak/petit09.html

 

 

 

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