Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
10 avril 2014

Traverses, par Rosalie Jeannette

Piste d'écriture: l'univers onirique

Li Wei, 29 levels of freedom, 2003 Pékin 2003 © Li Wei Ryan est aussi léger qu’une plume. Il n’est que coton, ouate et volupté. Tout le poids de son corps s’est miraculeusement envolé. Il plane au-dessus de la légendaire grisaille de Singapour.

La mégalopole est  étonnement silencieuse : plus un seul son de klaxon, aucun bruit de moteur, une absence totale de brouhaha conduit par une foule matinale de piétons pressés. Pas une odeur ne vient chatouiller ses narines ni l’écœurer jusqu’au plus profond de ses entrailles. Une furtive sensation de sérénité l’envahit. Ryan aspire à atteindre l’immensité du bleu céleste. Il en est proche à présent, encore quelques nuages d’un blanc immaculé à transpercer pour se retrouver face au soleil et ressentir le doux picotement de ses rayons sur sa peau déjà brune. Plus que quelques battements d’ailes, invisibles mais très efficaces, et le tour est joué.

Quand soudain, la tuile… 

Son image se reflète sur les fenêtres du building qui s’est dressé devant lui, qu’il essaie de franchir et en même temps qu’une myriade de bras tendus, mains grandes ouvertes, cherche à l’atteindre. Veut-on l’aider dans son escalade, veut-on l’en empêcher ? Il ne sait pas, tente de repousser ces monstrueux tentacules. Il s’interroge encore : s’agit-il de bonnes âmes ou de démons voulant l’attirer dans les abymes de ce bâtiment colossal et inhumain ? D’ailleurs, y a t–‘il un bâtiment derrière cette façade ou est-ce un leurre, une ruse habile d’un Lucifer aux multiples visages terrassant sa proie ?

Ryan veut poursuivre sa route verticale, la route qui le conduira jusqu’au Nirvana. Mais des mains robustes et griffues l’agrippent pour le ramener vers elles, de vraies ventouses. Il est transpercé de secousses, il chavire en dépit des efforts considérables qu’il fournit. Il a cessé de monter, il entame une vertigineuse descente aux enfers mais ne chute pas.

Peu à peu, la pesanteur s’impose à lui, malgré lui. La douleur des coups se fait violemment ressentir. C’est à ce moment qu’il perçoit des cris, poussés par une voix qui ne lui est pas inconnue, selon une intonation qu’il a souvent entendue à son égard. Quelques microsecondes suffisent à ses paupières encore alourdies pour s’ouvrir : Il se retrouve face à sa mère qui le somme de se réveiller. Hors de question qu’il ne se rende pas à son examen de passage aujourd’hui !

Fenêtres et portes se referment sur son rêve, celle de l’université lui tendent les bras. Le sourire béat figé sur ses lèvres lors de son envol avait, dès que les bras articulés lui avaient fait obstacle, laissé place à un sourire crispé. A présent, c’est une mine de déterré accompagné d’une moue pleine de reproches qu’il offre à sa mère, castratrice de rêves…

  Ryan finit par mettre un pied à terre, sur le sol glacé du carrelage blanc de sa minuscule chambre encombrée de livres empilés et de cahiers noircis de notes de cours. Ce matin, il ne reprendra aucun d’eux, il est trop tard pour les révisions. Des odeurs de café chaud et de brioche fraichement sortie du four arrivent jusqu’à ses narines. Encore chancelant, il se dirige vers la cuisine où sa mère l’attend avec les recommandations d’usage avant un examen. Ryan ne capte rien de ses propos ; il a sa tête des jours où il est ailleurs, loin de la pression quotidienne, très loin de la réalité.

Peut-être est-ce là la signification de ce rêve étrange : il veut prendre son envol comme l’oisillon quitte son nid. Voler de ses propres ailes ! rien ne lui apporterait plus de satisfaction, seule la destination reste encore à déterminer.

Mais franchir un cap, facile à dire. Il est tiraillé entre les jardins du désir et l’enfer pavé de bonnes intentions. Son rêve lui revient en mémoire. Il cherche au plus profond de lui à identifier  des personnes qui l’entourent, celles qui l’aident dans sa quête de liberté et ces âmes aux cœurs noirs placés en plein milieu de cette rêverie nocturne pour contrecarrer ses plans. Reste encore à définir ces fameux plans, ses envies pour sa vie future, son démarrage d’adulte responsable, responsable de quoi il ne sait pas encore.

L’université lui tend les bras, des bras articulés, télécommandés pour le mettre sur le droit chemin, sur le chemin tortueux de la vie, une vie d’adulte, une vie de travail, une vie de contraintes et de devoirs. Possible aussi qu’il s’agisse de bras bienveillants qui guident ses pas pour le conduire vers une vie trépidante. Mais encore faut-il réussir les examens d’aujourd’hui pour accéder à la suite.

Le bol de café lui échappe des mains et le précieux liquide se déverse sur la table de bois précieux. « Tu as encore les yeux pleins de sommeil ! » lui lance sa mère qui refuse de hausser le ton pour ne pas risquer de lui transmettre de mauvaises ondes. Elle se pince les lèvres et d’un geste habile fait disparaître les traces de la maladresse. Son fils, la chair de sa chair, la prunelle de ses yeux, ne doit recevoir que des encouragements en ce jour.

Ryan est perdu dans ses pensées ; il n’arrive pas à émerger totalement de ce rêve dont il ne sait que comprendre. Le bien ou le mal, la confiance ou la défiance, la liberté ou les contraintes. Qu’il est difficile ce passage, un dédale de ruelles tortueuses, sans fin et sans but précis, il vagabonde de place en place ne sachant où est la sienne.

Il boit une nouvelle gorgée de ce breuvage noir intense que sa mère vient de lui servir à nouveau. Il se brûle la langue et jure. Sa mère ne dira rien aujourd’hui mais ce n’est pas l’envie qui lui manque. Les aiguilles de la pendule continuent leur tour de cadran mais Ryan, lui, reste figé sur sa chaise, la tête dans les nuages, son corps à nouveau en apesanteur. Sa mère l’exhorte à aller faire sa toilette, bientôt elle ne tiendra plus. Son sang est aussi chaud que le café de ce matin, ses yeux aussi noirs que les reproches qu’elle refoule encore un peu.

Ça devait arriver ! Maman hausse le ton, elle crie son désespoir. Ryan rage et se lève d’un geste brusque, fait valser la chaise et se dirige vers la salle de bain. Il se souvient maintenant : sa mère, la castratrice de rêves, peut-être est-ce simplement ça qu’il fuit. « Rêver ça ne sert à rien, sermonne-t-elle à longueur d’année, les études te rendront la vie meilleure … » Drôle de philosophie !

Lui ce qu’il aime c’est se faire plaisir. « Se laisser vivre et laisser vivre » la voilà sa philosophie. Pas difficile pour lui, les contraintes, les soucis c’est pour ses parents. A son stade, seuls les études restent un passage inévitable, obligatoire car il fait obstacle au temps de loisir. Il est bon élève, il apprend avec facilité ça aide et surtout ça fait plaisir à ses vieux. Mais l’apprentissage de la vie ce n’est pas dans les livres qu’il le fera. Il doit aller son bonhomme de chemin, prendre la route, voir, découvrir, apprendre des autres…. C’est ça la vraie vie, non ?

Aujourd’hui, c’est décidé il ira passer ses putains d’examen, il les réussira pour eux, mais cette nuit, il se replongera dans son rêve en quête d’explications. Il se posera les bonnes questions, il le croit fermement, et optera -ou pas- pour la vie d’étudiant ou celle de vagabond.

Ce soir, il remettra ses ailes, prendra son envol, envers et contre tous. Comme Icare il se rapprochera dangereusement du soleil… Pas d’autre option possible. C’est lui qui mènera sa barque, seul maître à bord.

Il s’habille sans même y prêter attention, son regard s’arrête sur les nuages, une couverture molletonnée, d’un blanc limpide dans le ciel grisonnant. il quitte enfin la chambre, enfile son pardessus et se dirige vers l’ascenseur…

« A tout à l’heure Chéri, et surtout Merde ! ». Les mots flottent dans ce couloir mais ne parviennent pas aux oreilles de Ryan. Il doit encore balayer ses idées -« saugrenues » dirait sa mère- et faire place nette aux révisions de toute la semaine dernière.

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité