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20 août 2014

La plage, par Nyckie Alause

Piste d'écriture: un rêve, ses répercussions éventuelles sur la vie.

LA PLAGE

 Un pas après l’autre dans cette lueur d’aube. L’horizon rougeoie sur ma droite dans un silence éblouissant. Un pas après l’autre, un pas qui me coûte après l’autre. Je ne peux me contenter de soulever un pied après l’autre.

Je dois l’arracher dans un  effort, qui m’arrache un cri, quand mon pied arrache cette ombre comme une glu qui se ressoude au sable dès que mon pied s’y repose, au sable qui l’absorbe.

Progression haletante, et ce soleil qui reste là sans arriver à se lever sur cette belle plage, sur ce sable si doux, si fin, tellement sournois, qui a aussi aspiré la mer, une progression sur le sable sans la mesure du ressac, seulement le ahanement de l’effort de mon corps tendu dans le seul but de faire un pas de plus.

La souffrance du pas suivant. Mon ombre inexistante, et ce soleil qui ne se lève pas, qui stagne entre mon pouce et mon index à quelques centimètres du bord au l’horizon.

Mes bras non plus ne produisent pas d’ombre, à droite, à gauche, en moulinets inverses. Mes mains sur mes yeux ne coupent pas la radiation horizontale, ni mes paupières. J’en profite pour les ouvrir et les fermer, plusieurs fois, rapidement, jusqu’à produire cette chaleur gluante et salée qui dévale jusqu’au coin de ma bouche, désaltérante.

Perdue. Je suis perdue dans ce désert. Pourquoi faire ce pas de plus tellement difficile puisque je peux remuer la tête, et les bras, et les mains, les épaules, claquer des mâchoires, chanter.

Je vais rester là, refermer les yeux et chanter. Mes pleurs ont suffisamment étanché ma soif, assoupli mes cordes vocales, que je puisse chanter d’une voix qui ne sera captée par le sable.

Je vais rester là et chanter, et à mesure que mon chant se déroule le soleil pâlit et mes paupières reprennent peu à peu leur rôle de paupières et ferment efficacement mon cerveau à cette pulsation, lumineuse.

Je suis arrêtée, là, debout au milieu de rien, sur ce sable si doux, qui a bu la mer, dans ce matin si clair que quelqu’un viendra bien.

Je n’ai plus d’ombre mais c’est à présent sans importance puisque je chante, horizontalement.

Je ferais aussi bien de m’asseoir.

Le paysage est le miroir de ma voix, horizontal, et, du bord de ce monde, si je ferme les yeux, quelqu’un viendra bien.

Je ferais aussi bien de m’asseoir.

Et en fermant les yeux, je referme mes doigts à l’intérieur du sable qui est doux et qui coule, sans cesser de chanter, qui coule entre mes doigts, qui coule sur le temps qui est presque arrêté et qui doit repartir au rythme de mon chant, au rythme de ma voix, au rythme du pas de celui qui viendra du bord de l’horizon et que je vois déjà qui projette son ombre en émergeant des vagues que j’ai re-convoquées.

Le sable blanc ondule, roule sur lui-même, grandit sur les bord, prend de l’altitude, engendre des dunes qui, à leur tour, se couronnent d’une toison végétale odorante. Bien qu’abritée par ces dune naissantes je sens l’air déplacé au-dessus de ma tête.

Ma chanson s’amenuise, se mue en murmure jusqu’à n’être plus qu’une respiration un peu rapide.

— C’est amusant « se mue en murmure », dis-je à haute voix les yeux clos, rajoutant du souffle au souffle dans mon cou.

— Réveille-toi, mon Amour, me dit-il en manœuvrant le store.

                                         ~~~~

 

Les premiers rayons envahissent la chambre, rouges encore de l’aube, horizontaux et sans chaleur. Ils se glissent jusqu’à moi entre les lames du store, les rendent dans cette lumière, brillantes et mousseuses, musicales. Ce flot lumineux inonde peu à peu mes draps fluides et frais, enveloppe un pied, une cuisse, qui s’échappent, mais surtout, il s’immisce indélicatement sous mes paupières.

Je veux dormir encore, bercée par les bruits de la maison et de la rue, le chant de la cafetière qui crachouille dans la cuisine, le bus qui s'arrête sous nos fenêtres et ouvre ses portes d'un feulement doux.

Je résiste, enfouissant ma tête sous l'oreiller, essayant de retrouver les derniers épisodes du rêve, tentant de prolonger ce sentiment de délivrance et de légèreté qui a précédé au "Réveille-toi, mon Amour"…

Encore un peu !  Encore un instant ! Mais Zut !

Il est là, sur ma gauche, qui me harcèle. L'oreiller est pourtant épais, je suis presque à l'abri. Alors, traitreusement, il m'attaque l'épaule, me brûle le mollet et la cuisse. Il essaie de me faire céder. Je vais devoir me résoudre à agir.

D'abord se retourner, replacer l'oreiller contre le traversin, en grognant s'il le faut, retendre un peu le drap pour lui ôter ses plissements de dune, me redresser, m'asseoir, ébouriffer mes cheveux, tendre l'oreille, ouvrir la narine et, seulement au bruit de pas dans le couloir assorti des odeurs de café et de pain un peu trop grillé, ouvrir les yeux.

Il m'embrasse, pose le plateau du petit déjeuner, se redresse projetant une ombre immense et parfumée.

— Je dois partir, ne te rendors pas.

— Merci. Oui, je sais, j'y serai pour dix heures.

La chambre prend peu à peu la teinte piquante et chaude du dehors.

Le plateau vide est repoussé le plus loin possible, j'étire un à un chacun de mes membres, fais jouer mes doigts et mes poignets, ferme les yeux, grogne un peu…, mais ça ne fonctionne plus, la persistance du rêve s'amenuise. Je sais que dès que je consentirai à poser mes pieds sur le sol mon ombre réapparaîtra, légère, mouvante et amicale.

J'irai dans la salle de bain en en laissant la porte ouverte, de bon matin en cette saison le soleil y pénètre jusqu'au miroir, je resterai longtemps sous la douche, je ne sécherai pas mes cheveux, j'enfilerai ma robe et mes sandales dorées mais je ne mettrai pas de bijou, j'attraperai mon sac à main, mes clefs et mes lunettes de soleil, je claquerai la porte non sans avoir vérifié encore une fois que j'ai bien les clefs de la maison, je ne m'attarderai pas dans l'escalier sombre et parfumé par le chat de la concierge, je sauterai dans le bus qui arrive et mon ombre me suivra sans regimber.

La traversée de la ville se fera sans encombre et je serai obligée d'admirer le fleuve en passant au Pont Neuf. Je descendrai enfin à la station Saint-Louis et je pénètrerai cinq minutes en avance dans le service du docteur Ménez pour l'IRM.

L'avenir est sans ombre.

 

 

Sur le rêve, 03/02/2014

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