Crème des hommes, par Héloïse

Piste d'écriture: jouer avec une expression familière.

A vendre crème des hommes, en flacon de 50 centilitres ou au détail.

L’inscription à la craie blanche se détachait sur une grande ardoise trônant sur le comptoir de l’épicerie.

Elle  renvoyait  à l’étagère installée sur le mur derrière et à ses quatre grands  bocaux de porcelaine bleue.

Lea regardait songeusement les étiquettes bien lisibles, en caractères onctueusement dessinés : crème pour le jour, crème pour la nuit, crème pour le corps, crème pour le visage.

Elle s’était décidée le matin même mais n’osait pas demander conseil.

Elle n’avait pas bien compris. Fallait-il la manger cette crème ou bien l’étaler sur le corps ?

Elle en voulait c’est sûr. La crème des hommes c’était pour elle comme pour les autres. Ses copines en parlaient à mots couverts comme d’un élixir qui donnait un coup de fouet. Impossible d’en savoir plus. 

Elle en prendrait une petite dose pour la première fois.

Quand elle s’approcha du comptoir elle se sentit soudain enveloppée d’un nuage de brume au goût sucré.

Lea se réveilla brusquement.

Elle écrivait  ses rêves pour les raconter en analyse.

Le plus souvent ils lui restaient obscurs.

Celui-ci la fit éclater de rire :  comment  parler d’interprétation quand le sens propre  vous gicle à la figure, crème d’homme  pour sperme en bocal ou sperme en bouche !

Penser plutôt à Charlot, aux entarteurs, entarter l’analyste à la prochaine séance…

Ou se réjouir déjà de l’avenir ouvert par le rêve.

Elle semblait prête enfin à se lancer dans de nouvelles amours. Foin des crèmes brulées, des crèmes fouettées, des crèmes torturées, elle pouvait rêver d’hommes à croquer, à déguster, à dévorer…

Il n’empêche, pourquoi cette expression au masculin seulement ?

Cette femme, la crème des femmes ? Non, ça ne marche pas.

Mais Marius , la crème des hommes oui.

Pour les femmes vous avez le beurre l’argent du beurre et le cul de la crémière, c’est moins noble.

Sur ce sujet relire Les mots et les femmes de Marina Yaguello pour mesurer encore et toujours le sexisme dans la langue…

                                                                                              9 octobre 2012