Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
30 novembre 2014

Noir, c'est noir par Jean-claude Boyrie

L'Hippocampe 14

Noir, c'est noir.

Benchamma1
« Le soleil, comme une plaque d'argent mat ».

Exposition Abdelkader Benchamma

Montpellier, Carré Sainte Anne, Oct .-Nov. 2014.

Après un dernier lacet de la route, ils sont parvenus au col de Blanda. Les deux jeunes gens mettent pied à terre pour admirer le paysage, un panorama quatre étoiles au Michelin. Du belvédère au bord de la route, le regard embrasse l'ensemble du port et de sa baie. Les môles maçonnés s'étirent vers la mer comme deux bras tendus. C'est dimanche, aujourd'hui les bateaux de pêche ne sont pas sortis ; voilà pourquoi l'armada des barques catalanes aux vives couleurs reste amarrée aux quais. Juste en face, on aperçoit l'archipel de la Désolation, les Sept îles, ses récifs qu'on dit fauteurs de naufrage et, détail minuscule, la Tombe du Géant, ce mystérieux mégalithe qui remonte à la nuit des temps.

À ce mouillage naturel, succède une autre anse plus petite où se trouve la plage ; au-delà de celle-ci, l'aquarium et les locaux du Parc marin. C'est là qu'ils vont se rendre et, si tout va bien, séjourner deux mois durant. Le phare est juché sur un promontoire au dessus du centre, on discerne aussi les ruines de la villa romaine. Sur le versant sud, en pente douce, les terrasses du jardin « Mer et Myrte » s'étagent vers la mer. Un régal pour les yeux. Olivier en profite pour respirer un bon coup. Blouson de moto grand ouvert, il hume à pleins poumons l'air du large. Sam' blottit son visage contre la poitrine offerte du garçon, s'y réfugie. En plein soleil, cet oiseau de nuit vient de prendre une gifle de lumière. Le décor irradie, apparaît en négatif, retrouve enfin trouvé sa transparence originelle. Le ciel est au-delà du noir, c'est une plaque d'argent mat où toute chose se reflète ; il tranche avec le sable rouge et le rocher blanc ; rappelle à Samantha le brusque, éblouissant, éclair des sunlights au moment où elle entre en scène, alors que la salle est plongée dans l'obscurité. C'est l'étourdissement des paillettes et de strass, le jeu subtil du faux-semblant, le caché-révélé d'oripeaux qui s'envolent au rythme d'une musique lancinante. C'est, plus avant dans la nuit, l'ivresse du champagne qu'elle boit coupe sur coupe avant de chavirer.

Olivier esquisse une moue réprobatrice. Un souvenir pénible, on ne doit plus parler de ça, le temps du spectacle est révolu. Le Salon du Cheval rétif s'inscrit dans un trouble passé. Maintenant, c'est une vie plus calme, en contact avec la nature, qui va commencer. Même si pour eux, ce ne sont pas de vraies vacances, tout va changer désormais... il est grand temps qu'ils se retrouvent sur le même fuseau horaire ! C'est ainsi qu'il imagine un avenir, qui déjà se conjugue au présent. La fille fait des bulles avec son chewing-gum, approuve ce qu'il dit pour lui faire plaisir. Peut-être ne voit-elle pas les choses tout-à-fait comme ça.

….....................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Peu avant dix huit heures. La vedette du Parc, un « promène-couillons » aux yeux des autochtones, vient de terminer ses navettes. Le fond de verre, qui permet d'admirer les fonds sous-marins , n'a guère servi, car la mer était houleuse et beaucoup parmi les passagers ont comme on dit « fait l'inventaire ». Reste le très populaire aquarium, prisé des enfants, qui va bientôt fermer ses portes, le public commence à refluer. À Blanda, la capacité hôtelière est faible, en regard de l'afflux touristique. La plupart des visiteurs, venus pour la journée, doivent repartir tôt. Ils savent qu'à cette saison, il leur faudra faire avec les inévitables bouchons. Déjà, le trafic se révèle intense au niveau de l'étroite route d'accès, dans le sens des retours. Les locaux du Centre, écrasés de chaleur, échappent à cette agitation, même il faudrait parler d'un désert ; c'est jour de repos pour le personnel administratif et scientifique. En théorie seulement, car d'incorrigibles chercheurs vont quand même faire un saut au labo si leur programme l'exige. C'est pour la Science.

Du fait de l'arrivée attendue de nouveaux stagiaires, la concierge du Centre a été réquisitionnée pour faire l'accueil. Ça ne l'amuse pas, d'être volontaire désignée d'office, à chacun son métier, les poissons seront bien gardés. Si seulement ces jeunes qu'elle doit prendre en charge se pressaient un peu pour arriver. Mais non, ils ont dû flâner en route, ils vont se présenter à point d'heure, allez savoir quand ! Elle fait grise mine lorsque enfin Olivier et Samantha, derniers arrivants programmés, se pointent enfin à la loge. Formalités accélérées : présentation de leur convocation et d'une pièce d'identité, remise des clés, d'un plan de repérage indiquant où se fait l'hébergement des stagiaires. Dans le cas d'Olivier, c'est facile à trouver : juste en bas, sur la plage, on voit ces installations de loin, il est assez grand garçon, elle ne va pas aller jusqu'à l'accompagner. Quant à Samantha, c'est un peu spécial, elle disposera d'une bonbonnière au bâtiment de Direction. On dirait qu'ici, les filles bénéficient d'un traitement de faveur. Sam' lance à Olivier un clin d'oeil complice, lui manifeste un brin d'inquiétude, et mêmede contrariété. « C'est que... nous sommes ensemble », objecte le garçon d'un ton embarrassé. La concierge est loin d'être une demeurée, elle voit très bien ce dont il retourne, mais ce n'est qu'une employée, il lui faut se conformer aux consignes du boss. Elles sont formelles : « Écoutez, jeunes gens, moi, je fais ce qu'on m'a dit. Vous serez reçus demain matin par Monsieur le Directeur, s'il y a quelque part problème, expliquez-vous avec lui. Pour ce soir, que chacun prenne ses clés, ensuite arrangez-vous comme vous voudrez, ça ne me regarde pas, moi j'aurai fait mon travail. »

Olivier contient sa colère : évidemment, le Parc n'est pas un Hôtel Club, il y a dans les propos de cette femme des sous-entendus qui lui déplaisent. Quant à Sam', elle n'a pas l'air si mécontente que ça. Du reste, son interlocutrice met les points sur les « i », manière d'affranchir la nouvelle venue.

« Autant que vous le sachiez, ma petite, vous n'êtes ni la première, ni la dernière que Monsieur Dutilleul recrute sur sa bonne mine. Cet homme a le bras long, pas seulement le bras, m'est avis. Question d'aimer les « petites », pour ça oui. Il est porté sur la chose. Si vous êtes très gentille avec lui, il saura se montrer reconnaissant. Sinon....

  - Sinon quoi ? rugit Olivier.

  - Oh, ne le prenez pas mal, jeune Monsieur. J'y suis pour rien, dans ces histoires ; même pas censée être au courant. J'vous dis ça, j'ai rien dit. Maintenant je vous laisse, il est l'heure de rentrer à la maison, je dois préparer la soupe. »

…......................................................................................................................................................................................................................

Olivier qui vient de prendre possession de son logement, le trouve finalement à sa convenance. D'accord, c'est un peu fruste : il s'agit d'un Algéco amélioré, situé juste à côté du hangar où l'on remise le matériel de plongée. Une cabine de douche, un coin cuisine, serviettes et les draps fournis, ça devrait aller. Olivier est habitué à vivre à la spartiate. Le confort des bungalows d'Auroville, il s'en souvient, était des plus rudimentaires ; en Europe, on devient trop exigeant. Non, ce ne sont pas les questions d'intendance qui turlupinent ce garçon, c'est l'attitude de sa compagne. Cette fille qui ne cessait de le draguer, pas que lui d'ailleurs, manie le chaud et le froid. Une fois parvenue à ses fins, voilà qu'elle commence à le bouder, il ne manquait plus que ça ! La preuve : elle lui a tourné le dos pour s'enfermer dans sa piaule et depuis, tarde à se manifester. Olivier, qui ne voit pas la raison de ce malentendu, ronge son frein. Dix minutes se passent, un siècle pour lui ! Puis, quelqu'un frappe trois petits coups discrets à la vitre. C'est elle, évidemment. Sam' a mis une tunique fraîche et s'est remaquillée. Avec elle, il voudrait bien calmer le jeu, mais ne peut s'empêcher de lui faire une remarque :

« Écoute Sam', mieux vaut s'expliquer [ et puis, cesse de mâcher ce maudit chewing-gum ! ]. Là, tout de suite, j'ai du mal à te comprendre. C'est tout de même toi qui as insisté pour m'accompagner, ou bien j'hallucine. À présent, j'ai l'impression que tu me fuis, puisque tu veux faire chambre à part !

  - Tu comprends rien à rien, Olivier. J'te fuis pas, c'est juste qu'il me faut mon indépendance. On m'attribue une chambre douillette et confortable. Alors, je la prends sans faire d'histoire, et voilà tout. Je ne vois pas pourquoi tu vas faire un plat de tout ça !

  - Là, tu déconnes grave, Samantha. Si le nommé Dutilleul t'installe au bâtiment de direction, tu comprends bien que c'est pas pour des prunes, c'est qu'il a carrément envie de te sauter.

  - Et quand ce serait le cas, la belle affaire ! Au fait, t'es vraiment malade d'avoir parlé sur ce ton à la dame de tout à l'heure, on va se faire mal voir tous les deux. Oh, je sais, pour toi, c'est pas dramatique. On t'a recruté pour tes diplômes, t'es largement qualifié, j'imagine que si l'on t'a fait venir ici, c'est qu'on a besoin de toi. Moi, je ne sais pas au juste ce qu'on me demande. Enfin, là si, maintenant je vois à peu près. Une chose est claire, je suis comme un oiseau sur la branche. Au moindre écart, sûr et certain qu'on va me virer, c'est ça que tu veux ? »Olivier est rouge de colère et de confusion. Ce séjour, qui s'annonçait idyllique, commence mal pour lui. Le ton de Samantha se radoucit. Elle ne veut pas la guerre entre eux :

« Dis donc, mon lapin, ça fait pas longtemps qu'on sort ensemble. On a vécu pendant six mois côte-à-côte en s'ignorant. Alors, tu vas tout de même pas soutenir que t'es...   [ Ici, Sam' se prépare à lâcher ce qui serait un gros mot pour elle, mais s'arrête à temps. Il se décide à cracher le morceau. Si elle pouvait faire de même avec son chewing-gum !]

  - Eh bien oui, si tu veux tout savoir, je suis...

  - Mais alors, c'est que tu...

[ Là, ça la scotche, ou bien c'est le paquet de gomme qui colle entre ses dents, elle ne croit pas utile de finir pas sa phrase. Un peu gros, tout de même, pour que ça passe ! Olivier, ça fait un bout de temps qu'elle l'observe. À son insu. Ce mec est gentil, mais impulsif. Trop prévisible ! Inutile de le chiner pour lui faire de la peine ; d'avance, elle devine ses réactions. Ça ne lui déplaît pas, au fond, qu'il soit jaloux. Parce que s'il est jaloux, au moins, c'est qu'il tient à elle... Enfin Samantha le présume, elle aimerait en être sûre. Alors le-petit-hibou-qui-ne-voulait-pas-dormir ferme les yeux, se pelotonne contre son compagnon. Du coup, Olivier en oublie sa colère. ]

Si faire l'amour est une réponse, on se demande quelle pouvait bien être la question.


(À suivre....)

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité