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24 décembre 2014

Fin de journée dans le quartier, par Michelle Jolly

Piste d'écriture: les photos de Gail Halaban et Nick Turpin. Créer un lien entre certaines d'entre elles. Elles ont inspiré à Michelle un beau récit, presque un conte de Noël.

Gail-Albert-Halaban-Passage-de-Desir-rue-du-Fauborg-Saint-Denis-Paris-10e-grainedephotographe

Fin de journée dans le quartier, le soleil se retire doucement, dans la rue pavée, l’ancienne quincaillerie s’éclaire et découvre un intérieur douillet de couleurs chaudes et dorées. Liane range des dossiers tout en taquinant un gros chien sur le sofa : « T’en fais pas Faro, dit-elle, elle reviendra ta maitresse, en attendant ne mâche pas mes coussins ! »

Au-dessus dans la petite chambre, Marie joue ou essaie de jouer sur une guitare offerte par sa mère, elle n’y arrive pas et s’énerve, piétine et descend le petit escalier en se plaignant : « J’y arriverai jamais, depuis qu’elle est partie j’arrive à rien ! je suis comme Faro, j’attends ! »   

Marie a dix ans, des papillons pleins la tête, enfant difficile, instable souvent dans ses rêves… Elle se blottit contre son chien s’amuse en murmurant : « De toute façon elle reviendra maman, mais elle n’est pas pressée, je l’ai encore vue hier soir dans le bus 17, celui qu’est peint en bleu, et passe vers neuf heures, je l’ai vue par la fenêtre, elle avait son blouson violet et elle dormait sur la banquette. »

« Arrête Marie, c’est pas drôle ! tu me saoule avec tes histoires, le bus 17 il n’existe pas ! tu entends, il n’a jamais existé ! et à cette heure-là il n’y a plus de bus depuis longtemps… »

« Mais je l’ai vue !! il ,y avait de la buée sur la vitre, je l’ai reconnue, il était tard et les gens près d’elle avaient l’air fatigués ; le bus a ralenti, elle a pas bronché comme si elle connaissait pas la rue, elle a pas encore envie de revenir, c’est tout ! »

 

***

….Depuis le temps qu’elle tourne en rond, Paula confond les architectures diverses du centre-ville où elle marche depuis un moment. Grand-siècle imposant, puis  le Pont neuf et sa cathédrale, ramenant au temps des loups et des brigands, tout cela tourne dans sa tête et c’est en franchissant plus loin  la place  St Michel qu’elle reprend pied en apercevant les cafés briller de toute leur parure de fête, et  décide de s’arrêter un moment.  Pourquoi est-elle là ? Devant ce thé qui lui brûle les doigts ?...

Noël est toujours pour elle un moment difficile, l’effroi d’avoir à franchir ce fossé, ce trou béant dans sa vie, comme si il y avait eu un avant et un après ce jour-là, cette année-là. Ceci la pétrifie, comment y arriver ? Comment oublier, comme on efface au tableau avec une éponge ?… C’est un désordre dans sa tête, et au bout d’un moment, les rires autour d’elle la gênent ; elle sort, regarde un moment les devantures entourées de boules brillantes, et les personnes toutes occupées par les fêtes à venir ; elle se sent comme illicite dans cette ambiance ; besoin de se cacher.

 

***

…Dans l’appartement Liane hausse les épaules aux réflexions sans queue ni tête de Marie, feuillète un livre et se souvient : Paula sa jeune sœur arrivée huit ans plus tôt, sa petite fille sur son dos. L’installation avec elles dans ce vieux magasin, les difficultés de l’enfant à l’école, son gout pour la musique, les absences de Paula, son insouciance, ses mensonges, et soudain cette nouvelle escapade, sans prévenir, il y a deux semaines.  

Depuis plusieurs années, Liane est traductrice, Paula bricole, brode, coud, suivant son envie, et vend parfois, suivant les modes. Marie évolue plutôt bien entre ces deux femmes qui s’affrontent souvent, mais vivent ensemble parce que c’est plus facile, plus raisonnable et que Marie se plait entre les délires de sa mère et la stabilité de Liane.

 

***

… Paula poursuit sa route, remonte un instant le boulevard, puis décide de le descendre en prenant le trottoir d’en face, moins de monde, moins de lumières.  Les glaces de quelques vitrines scintillent au loin, elle pense à Marie et à la petite guirlande électrique qu’elle accroche chaque année au-dessus de la fenêtre de la chambre ; elle ne veut penser qu’à Marie, rien ne peut l’abimer, elle, ni ce Noël d’autrefois, ni cette stupide jeune fille d’alors, son innocence ou sa bêtise….Il y avait eu ce soir-là des kilomètres blottie dans les bras tendres d’un jeune homme souriant et bien élevé, il parlait si bien. Même l’arrivée dans cette maison magique, décorée, rien ne l’avait troublée, elle n’avait jamais vu tant de lumières ! Des statues dans l’entrée, et cette clochette qui teintait si joliment à chaque arrivée… Tout ce monde, ces rires, cette musique, ces gens si chaleureux qui l’entouraient, la boisson, les bras qui vous portent, la chaleur, et les cris… Elle avait pensé à un jeu, si bête, j’étais, pense-t-elle, si bête…Puis il y avait eu le corps qui se transforme, le drame, la solitude, et puis Marie…

 

***

….Les jours passaient, la monotonie s’installait, Liane reconnaissait que Paula était souvent gaie et chantante, cela manquait au quotidien, l’hiver en plus était là, le froid, et le repli à l’intérieur.

« Elle n’est pas partie si longtemps la dernière fois ? demanda Marie, un matin. Elle a peut-être rencontré quelqu’un ? La maison est trop petite pour quatre ,où on mettrait Faro ? Peut-être qu’elle s’est perdue, tu te rappelles en vacances, on s’était perdues toutes les deux, tu t’es mise en colère ! Nous ça nous a fait rire, parce qu’on n’avait pas peur, maman me disait que la vie est pleine de surprises, et qui faut pas s’effrayer de l’imprévu, jamais trop prendre d’habitudes, disait-elle toi t’étais pas contente, vous  vous  êtes disputées Y’a que Faro qui disait rien…. Mais où il est Faro ? »

« T’inquiète pas il va revenir, en rentrant de mes courses je l’ai vu attendant sous l’arrêt du bus, tu lui tournes la tête à ce chien ! Je viens de l’appeler. »

 

***
… Paula s’arrête en bas du boulevard, près de la fontaine, où a-t-elle dormi, mangé, passé ses soirées, elle ne sait plus très bien , mais aujourd’hui ,elle l’a décidé, elle achètera une robe en soie pour Marie, elle le mérite bien se dit-elle ;puis, après avoir regardé son quota de vitrines, elle se sent fatiguée, ajoute à ses achats une douce écharpe pour Liane, et reprend le chemin inverse, la voie des quais, attend le bus près de la cathédrale, et sourit une demi-heure plus tard en voyant Faro qui l’attend, à l’arrêt, comme d’habitude…

***

…Dans la boutique, la soirée s’allonge comme une guimauve, les heures n’en finissent plus, Marie s’est endormie sur le sofa après avoir murmuré :

« Après diner je suis montée dans ma chambre et le bus 17 a traversé la place, il y avait un peu de brouillard, je sais plus si maman était à l’intérieur. »

 

Liane a haussé les épaules, et nNick-Turpin-graindephotographe_com24’a pas répondu, la laissant dans son rêve. L’enfant dort profondément, elle la prend dans ses bras, un peu lourde déjà, grimpe l’escalier et la dépose sur le lit, lui retire ses chaussures, et la couvre de la couette blanche. Liane se sent proche de cette enfant, si indispensable pense-t-elle pour son équilibre, bousculé par une mère en dérive…… 

Elle éteint la lumière, va fermer les rideaux ; puis s’arrête un moment en voyant déboucher au bout de la place Faro, tenant au bout de sa laisse Paula, emmitouflée dans son blouson violet.

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Commentaires
J
Intéressante, cette forme de narration par courts épisodes disjoints. Au cinéma, autant de plans-séquence, la caméra zoomant tour à tour les différents personnages. L'enfant, qui rêve d'un bus fantôme. La grande soeur, qui s'occupe d'elle. Sa cadette, un peu déjantée. Et (magnifique idée) le chien qui ramène au bout de sa laisse la mère de l'enfant depuis l'arrêt de bus. Du gand art !
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