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26 mars 2015

Le canapé jaune (7e et dernier épisode), par Nyckie Alause

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Les vacances.

J’ai mal dormi. J’ai mal au dos. J’ai passé la journée loin de la maison à errer dans la ville : Du square le plus proche (celui dont mon canapé marque une frontière) aux bords du fleuve que suit un sentier parsemé de bancs à la dureté bienvenue : quand on s’y assied, la rigidité du dossier renvoie les affres de ma nuit par petites touches de douleurs dorsales. Quand je m’y suis assise, je me suis sentie vivante.

J’ai regardé un couple de cygnes évoluer paresseusement entre les touffes de nénuphars jusqu’à ce que des enfants jettent du pain pour les attirer, brisant sans le vouloir la beauté sereine du tableau. Le couple de volatiles a rompu l’effet d’harmonie pour une compétition dont l’enjeu, si j’y réfléchis, est la survie… avant même de considérer le besoin de « génération » ou de pérennité des espèces.

Le sens allégorique de la situation m’a sauté aux yeux. D’autant que l’inconfort de ma halte m’ayant poussée à reprendre mon chemin vers le havre fantasmé du refuge idéal, mon appartement, j’ai repensé aux raisons affichées du départ précipité de Lucio. J’ai parcouru le chemin à l’envers, en regardant le même paysage que celui de l’aller ; pour me rendre compte qu’il est très différent selon le point de vue de l’observatrice. Chacun de mes pas, comme un mécanisme qui se remet à fonctionner après une longue panne, chacun de mes pas comme un petit caillou blanc semé sur le chemin, m’a servi aujourd’hui à réaliser que mon point de vue affiché n’est pas forcément définitif.

 

Je remonte le mail, je croise des enfants avec leur famille, qui descendent vers le fleuve. Des passants qui ne font que passer sans indication dans leurs attitudes de leurs destinations ou de leurs provenances, de l’objet de leurs mouvantes présences. Des personnes âgées qui marchent, à petits pas prudents…

Sur le seuil de l’immeuble, alors que ma main plonge dans le sac pour attraper mes clefs, mes doigts rencontrent « Cinq méditations sur la beauté » et le dos de ma main frôle la froideur mouvante du trousseau. Je suis devant ma porte. Je n’ai qu’à entrer pour me mettre à l’abri.  Je n’ai qu’à lâcher le livre pour me saisir des clefs… Tout aurait-il été plus simple si je ne m’étais pas retournée ?

Comme un mirage, l’image du canapé danse devant mes yeux, une ombre ondule en son milieu, imprécise comme une mélodie apportée par le vent, venue d’on ne sait où. Mes doigts se serrent autour… du livre. Mes jambes se meuvent autonomes. Mes pieds m’emportent vers le canapé jaune. Mon dos douloureux n’aspire qu’au moelleux des coussins. Le poids de ma chute libère dans l’atmosphère le parfum nostalgique emprisonné dans la ouate des rembourrages. Libère aussi les larmes retenues. Un bras entoure mes épaules agitées de sanglots.

— Ne pleurez pas, dit la lectrice. Ne pleurez plus. Vous l’avez aimé ? demande-t-elle quand je lui rends le livre oublié.

Longtemps, je lui ai répondu. J’ai répondu à côté de sa question, longtemps… sans qu’elle m’interrompe. Sa main est restée sur mon épaule, ni pesante ni caressante, juste un lien entre elle et moi, entre moi et le monde. Longtemps.

Le réverbère s’est allumé. La place désertée est devenue silencieuse. Un chat est venu se frotter contre nos jambes. Deux hommes poussant une voiture d’enfant chargée de sacs plastique sont passés plusieurs fois sans s’arrêter avant de disparaître au bas de la promenade. Je me suis levée et j’ai rassemblé les livres, en une pile légèrement pyramidale. Par habitude, j’ai retapé les coussins du dossier pour effacer les traces de notre passage. Je me suis sentie légère. La lectrice a posé encore une fois sa longue et élégante main sur mon épaule. Ses yeux dans mes yeux, pour la première fois.

— Je vais vous aider à le ramener à la maison.

FIN

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