Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
26 mars 2015

Le canapé bleu, par Sylvie Albert

Piste d’écriture : Raconter une vie autour d’un objet

canape

Ah, ce merveilleux canapé bleu en tissu de mon enfance… Recouvert de petits coussins multicolores qu’on pouvait se jeter à la figure, tout moelleux et si confortable ! C’est là que j’allais me réfugier avec mes peluches et mes livres, c’est entre ses accoudoirs que j’adorais que ma maman me câline lorsque j’avais des chagrins. C’est également là que souvent je me battais avec mes frères, comme frères et sœurs peuvent se chamailler avec tendresse. Il était pour moi un cocon douillet, synonyme de protection, de sécurité, d’immuabilité, c’était presque un membre de la famille.

Plus tard, mes parents ont refait la décoration de leur salon, alors le canapé bleu a élu domicile chez la plus jeune sœur de ma mère. Il a été remplacé à la maison par un canapé en cuir blanc tout à fait inconfortable et salissant. Certes, les deux fauteuils assortis pouvaient s’étendre et mes parents ainsi s’allonger pour lire, mais le canapé en lui-même est devenu un endroit hostile à l’adolescente que j’étais devenue. Je prenais prétexte de mes fréquentes disputes avec mes parents pour aller passer les nuits ou les week-ends chez ma tante, et là, oh joie !, je retrouvais le canapé adoré, qui se transformait même en lit pour moi ! Et je renouais avec la sensation de confort, le sentiment de protection ressentis dans mon enfance, et qui me manquaient tant à cet âge-là. Ce n’est pas mentir que de dire que c’est autant grâce au réconfort éprouvé entre les bras du canapé bleu qu’à l’écoute et à la patience manifestés par ma tante que je dois d’avoir traversé l’adolescence, bon gré mal gré, sans trop de casse.

Vint ensuite la période des études, longue phase de travail acharné au cours de laquelle j’allais de moins en moins chez ma tante. J’avais peut-être besoin de moins de réconfort, ou je le trouvais ailleurs. Ce n’est que lorsqu’il m’a fallu partir à Montpellier pour mon doctorat, et donc louer un appartement, que le canapé bleu est à nouveau entré dans ma vie. Ma tante, qui l’avait relégué depuis quelques temps dans son grenier, m’a proposé de le récupérer, pour commencer à m’installer. Il a donc fait les 500 km depuis Bordeaux, et monté les quatre étages jusqu’à chez moi. Il commençait à être un peu fatigué, mais n’avait rien perdu de son pouvoir apaisant sur moi. Il m’accueillait lors des soirées où j’étais tellement fatiguée que je n’avais plus la force de rien faire d’autre que bouquiner, il m’accueillait lorsque j’avais envie de traîner le weekend, il accueillait les amis que j’invitais. Et nous avons continué, ensemble, à grandir pour moi et vieillir pour lui, pendant quelques années…

Et un jour, je décidai de partir vivre et travailler quelques temps à l’étranger. Ce jour-là, j’eus la force de me débarrasser des derniers objets de mon enfance, d’entreprendre un nettoyage par le vide afin de pouvoir ensemencer de nouvelles graines pleines de promesses. Quand vint le tour du canapé, aïe, ce ne fut pas si simple. Le donner à l’une de mes cousines n’aurait pas vraiment été un cadeau, il était beaucoup trop usé, les ressorts pointaient de partout. Et l’emmener à la décharge ou le faire enlever par Emmaüs aurait été un crève-cœur. Je me résolus donc à le descendre sur le trottoir en bas de mon immeuble, à la disposition de qui pourrait en avoir l’utilité. Heureusement, il ne pleuvait pas. Et malgré moi, je commençai à guetter. Bien qu’occupée par l’emballage des affaires que j’allais emmener avec moi, je regardais par la fenêtre à chaque fois que je passais devant. Je vis des gens surpris, des gens qui l’ont caressé, des gens qui se sont assis dessus… Et puis, au retour d’une course en ville, je vis qu’il avait disparu ! Je lui ai alors souhaité « bon vent » dans sa nouvelle vie, espérant qu’il réchaufferait encore pour quelques temps le cœur de quelqu’un. Et à ce moment-là, je compris brusquement que ça y était… je devenais adulte !

 

Sylvie Albert, le 24/02/2015

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité