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9 juillet 2015

Le petit monde de Monsieur Dagobert, par Marion Paulet

 Piste d'écriture: une photo de F. Kunert. F. Kunert crée des maquettes de ses mondes surréalistes, et les prend ensuite en photo. Cet univers a inspiré à Marion cette jolie fable...

Monsieur Dagobert ne reçoit presque jamais personne.

 

Frank Kunert, http://www.frank-kunert.de/de/work/

Mais moi je suis la souris des lieux, l’hôte non désirée de la maison. L’intruse inacceptable, la grignoteuse de pain, la mangeuse de gruyère... Mais en réalité chez Mr Dagobert, Philibert de son prénom, il n’y a jamais grand chose à grignoter, sauf, et je m’en régale, un amoncellement de feuilles de papier délicieusement parfumées... alors je reste à ses côtés.

Philibert Dagobert vit seul, pas de femme veux-je dire. Seule sa mère vient lui rendre visite le week-end et pour mon grand bonheur, elle amène des petits gâteaux de la boulangerie d’en bas, les meilleurs du quartier. Leurs miettes sont un vrai régal !

Elle appelle encore son fils Bébé ! Cela lui va bien à Mr Philibert, il est tout rond et ventru comme un poupon, avec une peau rouge et velue (je le sais car je m’y promène parfois la nuit).

A part une armoire et une table basse ainsi qu’un fauteuil à l’entrée, il n’y a dans cette pièce unique qu’un lit bureau, où il repose du soir au matin, sauf quand le téléphone sonne. Et quand il sonne, la pièce jusqu’alors dans la pénombre et silencieuse se met à vivre, oui ! à vivre au sens propre : des bras sortent de murs et bercent Mr Bébé dans son lit berceau. Alors doucement il s’éveille, décroche le combiné téléphonique et répond à son interlocuteur d’une voix grave et sensuelle.

En général, d’après ce que j’entends de mon petit trou derrière la poubelle, il s’agit de filature de femmes, de trafics, de meurtres...Mr Dagobert est en fait un détective privé ...et après chaque longue discussion, il se redresse dans son lit, attrape un classeur sur l’étagère, en sort quelques feuilles qu’il tache d’encre et jette ensuite en boule à mes pattes... c’est le moment du déjeuner, voyez-vous.

Nous vivions ainsi jusqu’à présent, sans nous voir, en parfaite harmonie.

 

 

souris

Mais pas plus tard que la semaine dernière, patatras, j’ai cru devoir déménager. Je m’étais comme à mon habitude intéressée à son enquête du jour, et après qu’il ait quitté les lieux, je m’étais jetée sur les papiers chiffonnés et sur son carnet préféré. Puis je m’étais malicieusement glissée dans son lit douillet à bascule, pour respirer son odeur de bière et profiter du moelleux du coussin. Malheureusement, contrairement à mes habitudes, je me suis ce jour-là endormie, bercé par les relents d’alcool, la panse sans doute trop remplie !

Mr Philibert est lui, contrairement à ses habitudes, rentré avec une heure d’avance, un pack de bières à la main.

Il a précipité sans retenue son énorme postérieur par dessus le bord du berceau, et croyant à un cauchemar j’ai malgré moi laissé échapper un cri strident, incontrôlable... un vrai cri de souris non déguisé, une honte pour ma race de simulateurs...

Mr Bébé a sauté en hurlant hors de son lit. Ce dernier s’est mis à tanguer fortement, et soudain les bras fantômes ont jailli du mur. Je n’ai pas eu le temps de m’échapper vers ma cachette. Des mains m’ont saisie et mise en évidence sur le bureau qui continuait à remuer, me donnant le tournis.

Remis de ses émotions, Mr Philibert m’a saisie par la queue pour me porter à la hauteur de son groin rouge et de ses yeux globuleux. Je tremblais de toute ma carcasse, les moustaches en alerte...mais il a souri en murmurant :

« Alors tu es seule toi aussi, seule au monde ». En disant cela il caressait doucement le bout rose de mon museau mouillé. Il semblait dire : « Ne t’inquiète pas, je suis vilain de figure mais pas méchant, tu vas partager ma vie maintenant. »

 

sourisEt voilà comment, depuis plusieurs jours, je me vautre avec délice dans le bureau lit de mon patron. Je lui chatouille la barbe ou les doigts de pieds quand le téléphone sonne, et le reste du temps je finis ses restes et prends bien soin de nettoyer le sol.

Je suis fière, nous formons une bonne équipe. Je l’attends toujours avec impatience pour le dîner. Et je dois vous confier que je suis vraiment rassurée car hier il a fait gravé une pancarte en carton pour la porte d’entrée : Mr Dagobert, détective et associé. « Associé », c’est un joli nom. J’en ai été bouleversée. Ce carton là, je ne le boulotterai pas, je le dépoussiérerai tous les jours de ma queue pour notre future clientèle.

Pour le remercier, le soir quand il s’endort, je décroche le téléphone, range ses papiers, puis je me blottis subrepticement dans son jabot poilu. Le petit monde restreint de Mr Dagobert est pour moi un véritable paradis sur terre...

 Image: Frank Kunert, http://www.frank-kunert.de/de/work/

 

 

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