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21 octobre 2015

Assis au bord du matin qui passe...

Nereidi 9.

Assis au bord du matin qui passe....

 9 Oiseaux

9a Le matin

 « La Symphonie n°6 en ré « Le Matin », possède les couleurs les plus vives. Les six premières mesures en crescendo de son introduction adagio évoquent irrésistiblement un lever de soleil. Suit un allegro à ¾ au thème principal exposé par la flûte à découvert. Après quatre mesures, le relais est pris par les deux hautbois, et au bout de quatre nouvelles mesures, par tout l'orchestre. »

( « Joseph Haydn », par Marc Vignal, p. 832, Fayard, 1989).

 Cinq heures du matin, heure locale, il fait encore nuit. J'ai juste omis d'avancer ma montre à mon arrivée, aussi mon organisme vit-il encore à l'heure française. Et pourtant...

Dans son berceau de brume, aussitôt que paraît l'aurore aux doigts de rose1, quel intense bonheur que s'éveiller au chant des oiseaux ! J'ai l'illusion qu'ils sont là, tout autour de moi, dans la pièce. Ils piaillent à qui mieux mieux, insoucieux de ma présence. Sous le portillon de la mémoire, je retrouve une sensation pleine nature, exaltante, que je croyais avoir définitivement oubliée au bout de trente ans de vie urbaine. En ville, de nuit, les lumières brillent de toutes parts et à toute heure. On a donné le nom de « pollution lumineuse » à ce phénomène incongru généré par l'éclairage. Il perturbe gravement la gent ailée. Imaginez que les piafs sont en perte de repères. Planqués dans les feuillages pour piquer un somme, ils ne peuvent savoir quand le jour va se lever, dès lors qu'ils n'en voient pas les prémisses. Alors, ils se mettent à chanter n'importe où, n'importe comment, n'importe quand. Cela crée un joyeuse pagaille, à rebrousse-plume de leur espace-temps naturel.

Rien de tel en ce lieu perdu, qui n'a jamais connu l'éclairage public. Dans la solitude de « Néreidi », je retrouve mes émotions d'antan.

Surtout, me dis-je, il ne faut pas allumer la lumière. Pas encore, ce geste détruirait tout. Cet instant unique, irremplaçable, où tout se tait, représente une opportunité de faire « le plein d'émotions ». L'ambiance est moite encore de la nuit qui s'achève. Ici, bien sûr, pas de climatisation. J'ouvre à tâtons la croisée, emplissant mes poumons d'air du dehors, tout chargé des senteurs du jardin. Pourquoi faut-il que le motif initial de la Symphonie le « Matin », trotte alors dans ma cervelle ? Un guilleret solo de flûte introduit ce thème, aussitôt repris par les hautbois, puis tout l'orchestre. Une volée de croches ascendantes suggère un lever de soleil, instant que les pizzicati des cordes et les multiples nuances des vents restituent avec délicatesse. Assis au bord du matin qui passe, je distille un paysage encore virtuel au moyen des odeurs et des sons.

À ma porte s'étend un potager, mêlé de plantes aromatiques et de multiples fleurs. C'est à l'aveugle que je pars à la découverte de ce jardin des merveilles. J'avance à tâtons, me repérant au ploc-ploc du goutte-à-goutte. Ici, l'on n'arrose que de nuit pour économiser l'eau si précieuse. Mes genoux se heurtent au rugueux mur de pierres qui délimite le potager.

J'imagine que l'astre du jour émerge au dessus de l'horizon. Tout s'illumine alors. Ce que je n'ai vu qu'en rêve se fait réalité. Les premiers rayons se faufilent par les claire-voies des persiennes. Le temps d'écarter les volets, d'ouvrir ma fenêtre, une lumière pâle inonde la pièce. Je me penche au balcon ; contemple la mer, quasi-phosphorescente. Sa couleur passe en quelques instants du vert livide au ton lie-de-vin.

À cette heure matinale, l'air a conservé la fraîcheur de la nuit, qui ne va pas longtemps demeurer. Bientôt, le premier souffle de brise agitera les arbres du verger et séchera les perles de rosée.

C'est l'annonce, pour les heures qui vont suivre, d'une chaleur implacable. On n'en est pas encore là.

Qui dira la luminosité des matins méditerranéens ?

Au fil de la journée, ce paysage va devenir incandescent et s'assoupir. Il ne se ranimera qu'à la tombée de la nuit. Tôt le matin à leur tâche attelés, les autochtones scanderont leur activité selon les rythmes naturels. Tout s'interrompra aux heures chaudes. Hommes et animaux feront la sieste dans la torpeur de midi. À la fraîche, ce petit monde retrouvera son animation.

Nouveau-venu dans ce jardin d'éden, j'ai l'impression d'être un extra-terrestre.

Juchés sur leur espalier, tomates et haricots verts accueillent le visiteur. Il s'agit là de variétés anciennes, la Coopérative utilise, m'a-t-on dit, ses propres semences. Odeurs et saveurs : ici se mêlent aux fruits et légumes des parterres de fleurs et de plantes aromatiques. Les rosiers s'immiscent entre courges ventrues, courgettes à la peau serpentine, pourpres aubergines, et melons d'eau. La roquette aux délicats friselis, ainsi que le pourpier s'invitent dans les spécialités locales, que parfument aussi le basilic et l'origan. Les piments enragés, rouges lumignons, resplendissent au milieu du feuillage. On dirait les bonnets pointus de gnmes en goguette. Il faut se défier de ces lutins d'apparence inoffensive, ils vous mettent le feu à la bouche !

Néreidi n'est qu'un îlot de culture au sein d'un environnement hostile. Au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable. Un étau de broussaille enserre le domaine coopératif, c'est l'epace réservé des biquettes. En Grèce, elles sont réputées courir plus vite que leurs pâtres. À l'approche d'un intrus, elles fuient dans toutes les directions, faisant tintinnabuler leurs grelots. Combien j'envie leur sentiment de liberté, moi qui me sens captif, comme étouffé, dans ce milieu fermé !

Pour se risquer dans ce fouillis végétal, les insulaires ont un truc : ils fixent à la semelle de leurs souliers une couche de caoutchouc, tirée d'un pneu découpé. Kléber-Colombes : vitesse, santé, souplesse, sécurité ! Le berger du coin fait également fonction d'apiculteur. Un incessant bourdonnement d'abeilles trahit la proximité de ses ruches.

Accomplissant mon « tour du propriétaire », j'atteins les limites de ce lieu clos et protégé. Où que j'aille, je me heurte à la rébarbative clôture en parpaings surmonté de fils ronce. Bienvenue à Guantanamo ! De quel péril, grands dieux, entend-on se prémunir ? Il paraît que la coopérative occupe l'emplacement d'un ancien camp militaire, aujourd'hui désaffecté. Quarante ans se sont écoulés, les barbelés sont toujours là, le passé resurgit. Rappelez-vous : au mitan des années soixante-dix, fin de l'époque des colonels, Georges Moustaki dénonçait dans une chanson « des îles barbelées, des murs qui emprisonnent.... ». Qu'est devenu ce « bel été qui ne craint pas l'automne, en Méditerranée ? ». En pionnières besogneuses, les fondatrices de la Coopérative ont au mieux tiré parti de l'existant, sans doute au détriment de l'esthétique et de la convivialité.

Mon passe-partout permet de franchir le portillon sans difficulté. La piste carrossable fait place à un sentier muletier. Je puis suivre aisément de l'oeil son tracé sinueux qui s'enfonce en forêt. Cette saignée claire, sèche, lumineuse aboutit à la mer au prix de multiples lacets.

Au bout du chemin se trouve la mystérieuse fontaine des Nymphes.

(À suivre...)

Note 1 Od. V, 228

Illustration : Mosaïque de l'École primaire de Skyros (Sporades), photo de l'auteur

Piste d'écriture : Sensations matinales exprimés par l'odorat, le toucher et l'ouïe.

 

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