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14 novembre 2015

La montre perdue, par Christiane Koberich

Piste d'écriture: l'annonce photographiée ci-dessous...

   

montre eterna

           Il est cinq heures. Georges flâne, à la recherche de… De quoi, d’ailleurs ? Il ne saurait le dire… D’air frais, en ce mois de juillet caniculaire ? D’insolite ? De poésie ? De tranquillité ? D’aventure ? De rencontres ? … Hélas ! Cette rue déserte, sans âme, aux façades sans charme, ne promet rien de tel. Les quelques arbres qui pourraient donner envie de rêvasser ont été souillés par des malotrus qui, dans un sans-gêne scandaleux, les ont utilisés comme support d’affichettes toutes plus laides les unes que les autres. Sur l’une, Corine pleure la perte de son chat, photographié, bien sûr. Ici Sabine propose d’offrir des petits chiots vraiment adorables (avec pour preuve une photo censée nous les rendre irrésistibles) Une autre annonce prévient le quartier d’une soirée inoubliable, samedi, pour fêter les dix-huit ans de Stéphane...Bruit assuré.

Et celle-là ? Georges s’approche. L’auteur, épargnant les platanes, a scotché son papier sur un poteau. « J’ai perdu la montre de mon grand-père. Marque Eterna. Elle a pour moi une très grande valeur sentimentale. »…

 Eterna, éternelle, éternité… Pas de nom, qui a écrit ? Un garçon ? Une fille ? Jeune ? Vieux ? Georges cherche en vain un indice, par exemple un adjectif au masculin ou au féminin ; une signature, une adresse. Mais rien de tel, seule la montre a un nom, Eterna. « Connais pas. Voir internet, peut-être ? » Et puis le début d’un numéro de téléphone portable : 06 84 18… La suite… 9 ou 3 ? Illisible. Intrigué Georges lit et relit l’annonce. La montre de grand-père… C’est sûrement un adolescent ; plutôt un garçon, pour porter une montre d’homme. Encore que ! Certaines filles aiment bien aussi exhiber de grosses montres à leur poignet. En tout cas il ou elle a l’air très attaché à son grand-père. Ou à la personne qui lui a offert la montre du grand-père. Son père ? Sa mère ? Un oncle peut-être ?

 Georges continue sa promenade. Dans sa tête tournent et retournent les quelques chiffres du numéro de téléphone. Peu à peu, des images anciennes remontent à sa mémoire, l’oppressent, un passé resurgit qu’il croyait complètement enterré… Sa grand-mère est là, avec sa peau très ridée, ses cheveux tout courts, frisés, retombant en petites boucles serrées sur son front. Sa chère grand-mère, toujours coquette dans ses tenues d’une autre époque, toujours parfumée, et dont l’odeur lui parvient encore quand il pense à elle… Et puis il la revoit un jour, un dernier jour, allongée, pâle, dans son cercueil encore ouvert. Ses frères et sœurs sont là eux aussi, et ses parents… Il revoit son père pleurer (la seule fois où il l’a vu pleurer) Pour lui, Georges, cette mort, la mort de sa grand-mère, fut sa première rencontre avec la mort d’un proche, d’une personne aimée, d’un témoin de son enfance. La première rencontre avec cette douleur qui resurgit, parfois encore, à l’improviste, contractant très fort un point quelque part au-dessus de l’estomac, ôtant alors tout intérêt au reste du monde.

Les bijoux, montres, bibelots lui ayant appartenu se sont retrouvés réunis dans la maison familiale. Au début, il s’en souvient, lorsqu’il les regardait, l’image de sa grand-mère et l’odeur de son parfum s’imposaient nettement. Puis petit à petit, au fil du temps, tout s’est estompé. Et tous ces objets, compagnons d’une vie, ont fini par perdre la mémoire, les souvenirs, les anecdotes, dont ils étaient porteurs. Mais au fond de lui, même sans leur aide, Georges retrouve encore les moments vécus auprès de cette grand-mère, comme des trésors qu’il n’a jamais perdus.

 Et ce garçon (car maintenant il en est sûr, il le sent, il s’agit d’un adolescent) ; ce jeune si malheureux d’avoir perdu la montre Eterna de son grand-père, où en est-il ? Georges aimerait l’aider. Il voudrait lui dire qu’avec ou sans montre son grand-père restera auprès de lui, le fera encore rire lorsqu’il évoquera leurs promenades d’autrefois, ou se rappellera les histoires qu’il inventait spécialement pour lui, Georges… Il aimerait pouvoir lui dire qu’une montre n’a qu’un temps, même quand elle se nomme Eterna, alors qu’avec un grand-père qu’on a aimé, les complicités continuent au-delà de la mort, et qu’il sera présent chaque fois que le passé et son cortège de souvenirs s’inviteront dans le présent. Il pourrait aussi lui dire… Mais hélas ! Que faire avec un numéro de portable incomplet ?

 

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