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28 octobre 2018

Rouge-orchidée, par Michelle Jolly

pierre bonnard femme à table

Piste d'écriture: s'inspirer d'une toile de Pierre Bonnard pour "interviewer" un personnage

Pourquoi cette photo ?  Triste souvenir, ils n’avaient même pas attendu qu’on arrive au dessert ! une tarte aux abricots, ma préférée ! J’aurais dû me méfier… Ce repas, presque solennel, un anniversaire ? Non, Bonne fête m’avait glissé maman dans l’oreille. Huit Avril, Sainte Julie, c’était bien la première fois depuis quinze ans que j’existais et que l’on me souhaitait ma fête ! Pourquoi ?   

…..Et puis, le mot « pensionnat » a été prononcé, j’ai pensé : ça va avec prison, privation, partir, pensum, punition , oui , je me sentais rejetée, et ne comprenais pas.    

J’aimais l’école, j’étais une bonne élève, apprendre me passionnait, je terminais ma troisième, et on parlait d’avenir, et mes parents y avaient pensé avant moi. Ils s’étaient mis dans la tête de me voir professeur, ou architecte, ou médecin, oui, médecin, c’était un métier respectable, mais surtout pas comme eux , car eux c’était les fleurs qu’ils plantaient, entretenaient, vendaient, mais pas de vacances, Car les gens veulent des fleurs toute l’année, disait ma mère… J’aimais la maison, notre maison, les recoins, les cachettes, le grenier où on faisait sécher les immortelles et mûrir les pommes, les soirs d’orage où l’on guettait les hulottes blanches chassant les mulots, j’aimais cette vie-là, les humeurs de maman, les silences de papa avec ses yeux qui riaient, mon tendre jeune frère, et ma sœur ainée , toujours là pour me soutenir.

Ils avaient décidé de m’enfermer loin, en ville, pour mon bien disaient-ils, sans me demander si j’aimais les fleurs !! et pourtant… Au plus loin que je me souvenais, j’avais trois, quatre ans à peine, je n’allais pas à l’école, maman me mettait dans la brouette, et me roulait jusqu’aux serres où elle s’occupait des plants en nourrice, quand les fleurs sortaient, elle me demandait de lui passer, une pensée, une violette, une marguerite, je ne me trompais jamais ! J’aimais ce monde-là, la terre, les plantes, les odeurs, l’attente, les surprises, je rêvais, un jour de créer une fleur, ma fleur à moi, pourquoi pas ? Quelle idée ! Les parents ironisaient, Il faut poursuivre tes études, après, pour tes loisirs…     

Pour cet avenir là il n’y avait que la ville et la pension, on allait m’aider, on ferait ce sacrifice, ne gâche pas ta vie, disait papa, sûr de lui, et ses paroles gonflaient au fur à mesure qu’il parlait, je me rendais à l’évidence, j’avais envie de rire et de pleurer.

Je suis partie loin, emportant dans mes bagages une photo de la famille devant le jardin et une petite orchidée mauve offerte à mon départ. Durant un an, deux ans, je revenais quelques jours de vacances mais docilement, repartais. Bonne élève j’apprenais, me remplissant de savoir, mais je rêvais d’ailleurs. Au bord de ma fenêtre mon orchidée était morte et pourrissait doucement, je n’osais la jeter.    

Un matin je regardai cette pauvre chose sèche, n’ayant plus de couleurs, des feuilles piquant du nez, prête à tomber, aucun espoir de vie, bien que… derrière une feuille repliée, une tige mince et fragile se faufilait, rampant. Incrédule, je l’abandonnai sur le rebord. Prise par mes cours, et examens divers, je restai de longs jours oubliant ma plante qui d’ailleurs avait toujours triste mine ; enfin de loin. Car, m’approchant tout près, j’aperçus le long de la tige dix, non, douze petits boutons comme grains de riz, ce n’était pas possible ! elle était morte, si peu de terre, si peu d’espoirs ? Je l’ai guettée, comme on guette une naissance ! J’ai ressenti alors, au plus profond de moi, ce pouvoir de la nature, cet entêtement parfois, cette constance.

C’est sûrement ridicule, puéril, et difficilement crédible ; mais je n’ai pas attendu la fin de ma troisième année, l’énergie nécessaire pour faire volte-face m’est venue en partie de cette fleur. J’ai affronté des cris, des reproches, des pleurs, mais j’ai tenu bon. Un matin mon orchidée m’a offert douze fleurs sur une même branche ! Mon père n’en est pas encore revenu. Aujourd’hui je sème, je plante, j’entretiens, je m’instruis aussi, car j’ai des projets : un jour, je crois je créerai une fleur, je cherche, comment ? je ne sais pas encore, mais je suis sûre d’une chose, le chemin que j’ai maintenant choisi, est le seul qui me rende heureuse.

La toile de Pierre Bonnard s'intitule Femme à table.

 

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Commentaires
E
Très beau texte empli d'espoir et d'optimisme.... Aller jusqu'au bout de ses rêves afin qu'ils deviennent réalité. :))
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