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20 décembre 2020

Quatre coeurs au bord de l'eau, par Florie

Piste d'écriture: plusieurs photos de Daniel Mordzinski. Ici, 4 ont été combinées entre elles pour créer une histoire, et plusieurs regards.

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Nicolas

Je suis arrivé en avance, comme toujours. Vaste sujet de débat stérile entre nous, débuté le jour de notre rencontre et que nous ne sommes jamais parvenus à épuiser. Ça me manquera, ça aussi, nos petites querelles, les fausses, celles qui étaient notre scène de théâtre rien qu’à nous. N’était-ce vraiment que cela, un jeu ? A présent, je me le demande. Ses retards perpétuels que je feignais de trouver charmants n’ont-ils pas contribué à ce que j’éprouve aujourd’hui, cette profonde lassitude teintée d’une légère rancœur ?

J’arrive au point de rendez-vous et je m’appuie contre une porte pour l’attendre. Je laisse mon regard plonger dans la mer, cette mer que nous aimions tant regarder ensemble, cette mer qui me fait à présent irrésistiblement penser à une autre, une autre femme qui doit à cette minute même se trouver quelque part au bord de l’eau. Elle ne m’a pas dit ou exactement, peut-être craignait-elle que je l’y rejoigne sur un coup de tête sans prévenir. Je m’imagine qu’ils sont tout près, qu’il me suffirait de quelques centaines de pas pour la serrer dans mes bras. Cette idée me rassure et me donne un peu de courage pour ce que je m’apprête à faire.

Là où je me trouve, je ne pourrai pas la rater quand elle arrivera. Il va sans doute me falloir attendre d’interminables minutes, qui pourraient bien même se transformer en quarts d’heure, mais elle va me rejoindre et je lui dirai tout.

 

Valentine

Pour une fois, j’ai un peu d’avance. Pas beaucoup, je l’admets, mais je suis plutôt fière de moi. Ça fait un moment que je sens le vent tourner entre Nico et moi, et pas en ma faveur. Ce qu’il aimait chez moi au début, mon extravagance, mon côté spontané, aléatoire, mes idées farfelues et mes retards, tout cela à présent l’irrite. Je m’en rends compte, mais on ne change pas en un claquement de doigt. D’ailleurs, on ne change jamais vraiment et ce n’est pas aimer l’autre que de vouloir qu’il change.

A sa décharge, il ne m’a jamais rien demandé de tel. Il ne me demande rien du tout, d’ailleurs. Mais je le sens, dans ses soupirs, dans ses regards, il faut que je fasse quelque chose ou ma vie court à la catastrophe.

Je suis arrivée par les petites rues, pas par la mer, pour pouvoir le surprendre, et j’ai grimpé sur le mur, au-dessus de la maison devant laquelle on a l’habitude de se retrouver, quand on revient ici, sur les lieux de notre premier rendez-vous. Ça m’a touchée, qu’il me donne rendez-vous ici, comme au bon vieux temps. Ça signifie que tout n’est pas perdu, que son âme romantique frémit encore pour moi quelque part, qu’il a envie de me retrouver. Alors j’ai fait de mon mieux, je suis partie très tôt pour être en avance, pour qu’il réalise que je suis capable de faire des efforts, d’être meilleure. Malgré tout, j’étais tout à fait convaincue que j’arriverais après lui.

Pourtant, je regarde tout autour de moi, ma vue porte loin du haut de mon perchoir, et je ne l’aperçois nulle part. Je souris légèrement ; c’est assez étrange, mais c’est une bonne chose, sa surprise sera donc entière. Il va arriver, marchant de son pas tranquille le long du bord de mer et, quand il se tournera vers ici, il ne pourra pas me rater. Il affichera sa tête faussement consternée qui me fait fondre, parce qu’il prétend détester que je fasse des choses comme ça, grimper à des endroits improbables, mais au fond de lui, il aime ça, mon côté imprévisible, il aime ne jamais me trouver là où il m’attend.

 

Jonas

C’est une journée merveilleuse, un samedi comme ils devraient tous être. L’air est doux, la mer paisible. Les chiens s’ébattent joyeusement au bord de l’eau. Je marche doucement sur la plage, pour le simple plaisir de sentir le sable sous mes pieds. Je contemple les déferlantes couronnées d’écume qui s’écrasent contre les falaises, je respire profondément l’air et son parfum iodé si délicieux.

Je me tourne vers Diana, qui s’est éloignée pour ramasser des coquillages. Elle est si belle, toute en rouge, semblant absorbée par sa tâche comme si c’était la plus importante au monde. Je la contemple longuement, attendri, avant de jeter un regard aux chiens et de rappeler Dixy qui s’est un peu trop éloigné.

C’est toujours ainsi, entre Diana et moi. Nous n’avons pas besoin de rester collés l’un à l’autre, nous pouvons passer des heures plongés dans nos propres occupations sans craindre que l’autre ne nous délaisse. Il suffit que nous puissions nous apercevoir, même de loin, pour sentir tout l’amour de l’autre nous entourer. Je n’aurais même pas envie d’aller troubler sa quiétude en la rejoignant pour ramasser des coquillages avec elle. Je sais qu’elle aime ses moments de solitude et rien ne me rend plus heureux que de la savoir sereine, dans sa bulle. Je sais qu’elle m’aime et cela me suffit à me réjouir du simple spectacle qu’elle m’offre, penchée sur le sable.

 

Diana

Aujourd’hui, les coquillages ne m’intéressent pas. Je les trouve tous quelconques, insignifiants. Je fais mine de les observer avec attention pour ne pas éveiller le moindre soupçon, mais mon esprit vagabonde ailleurs.

Il longe la plage, puis la petite route qui suit la côte sur quelques centaines de mètres jusqu’au village. Nous sommes si proches que je me sens presque honteuse d’avoir accepté cette sortie, comme si de me trouver là avec mon mari alors que Nicolas est à moins d’un kilomètre de distance constituait en soi une trahison.

J’aimerais tellement pouvoir être avec lui pour le soutenir à cet instant… Je sais à quel point est pénible la tâche qui l’attend aujourd’hui. Je sais combien il a aimé Valentine et combien il lui est douloureux de la blesser même à présent qu’il ne lui porte plus les mêmes sentiments.

Beaucoup de femmes trouveraient insupportable à ma place de savoir leur amant en compagnie de sa compagne officielle, mais ce n’est pas mon cas. Je sais que Nicolas n’aime que moi, je sais à quel point ses sentiments sont solides et je vis cette journée dans une confiance absolue. Je n’éprouve qu’anxiété pour ce qu’il doit ressentir et compassion pour sa compagne qui, même si leur relation est devenue impossible, est je le sais une personne droite et sincère qui ne pourra que souffrir et ne le mérite pas.

Je sens brusquement le regard de Jonas sur ma nuque et mon ventre se noue. Je ramasse un coquillage, le fais tourner stupidement entre mes doigts et je suis effarée de voir ma main trembler.

Moi aussi, il faudra bientôt que je passe aux aveux et cette idée me terrifie. Souvent, je songe que peut-être, je pourrais vivre cette relation comme un petit bonus dans mon existence monotone, tout laisser en l’état, continuer d’être une épouse modèle à la maison et, de temps en temps, m’échapper sans bruit… Je ne ferais ainsi de mal à personne et tout serait tellement plus facile… Mais je ne peux pas. Par respect pour Jonas, cet homme simple et honnête qui m’aime si profondément, par respect pour tous les beaux souvenirs que nous avons collectionnés depuis notre mariage, par respect pour mon amant qui a renoncé à des années de son passé pour me choisir, je dois moi aussi faire un choix et dire la vérité.

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