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3 novembre 2022

Des yeux qui rêvent, par Florie

           Piste d'écriture: la rêverie

J’ai toujours aimé aller à la messe du dimanche avec mes parents. Si mon frère manifeste parfois quelques velléités de protestation ou de rébellion, je suis pour ma part toujours enthousiaste en enfilant l’une de mes jolies tenues réservées au dimanche et aux occasions particulières. Je ne me montre pas aussi volontaire pour faire plaisir à mes parents, mais réellement parce que la messe, c’est important pour moi.

Cependant, une fois que je suis assise sur mon banc à écouter le prêtre, il n’est pas rare que je me mette à souhaiter ardemment que ça se termine vite, songeant avec impatience à la construction en Lego inachevée qui nous attend à la maison, ou au gâteau que maman a préparé pour le dessert du déjeuner. Il faut bien comprendre qu’il y a deux parties dans une messe : la première, où on écoute des lectures de la Bible, et la seconde où le prêtre consacre le pain et le vin. Si je suis toujours passionnée par la partie lecture, parce que chaque dimanche, je découvre de nouveaux textes, de nouvelles histoires, de nouveaux exploits de Jésus, si j’écoute donc durant toute cette première période avec une grande assiduité, le temps de l’eucharistie, pour employer les bons termes, que je connais parce que je suis aussi très attentive durant mes cours de catéchisme, ce second temps donc de la messe est pratiquement identique d’une fois sur l’autre et m’ennuie par conséquent assez vite, moi qui ai bonne mémoire et le connais presque par cœur.

C’est donc souvent quand nous entrons dans cette seconde partie de la messe que mon esprit se met à divaguer. Je suis très curieuse, aussi je commence généralement par observer autour de moi, tentant encore de consacrer une oreille à ce que raconte monsieur le curé. Observer, cependant, prend chez moi un sens tout particulier. Je ne vois pratiquement rien ; je vis dans un flou artistique dans lequel se distinguent seulement les formes les plus contrastées, ainsi que les sources lumineuses et parfois des couleurs, que je ne vois pas toujours telles que les autres les voient. J’ai toujours aimé essayer d’identifier ce que je parvenais à voir, mais en général, j’aime surtout demander à mon entourage ce qui se trouve autour de moi pour reconstituer à quoi correspondent les quelques perceptions visuelles que je possède. À l’église cependant, hors de question de discuter avec qui que ce soit. Comme je m’ennuie très rapidement du petit jeu qui consiste à tenter de deviner ce que je peux bien être en train de regarder, d’autant plus que le décor ne change guère d’un dimanche à l’autre et que ça fait des années que je l’étudie, je me prends rapidement à voyager au-delà des murs de pierre.

 

            Mon imagination n’a besoin de rien pour s’envoler très haut et très loin. Tous les soirs, dans mon lit, même après que maman a fini par me subtiliser mon livre parce que je suis incapable de m’arrêter de lire et qu’il y a école le lendemain, il me suffit de fermer les yeux et je peux dérouler de véritables films dans ma tête. Toutefois, j’aime particulièrement l’exercice qui consiste à partir de quelques éléments bien réels, ou du moins que je crois réellement percevoir, pour inventer tout un décor, toute une histoire. J’ai ainsi l’impression que l’histoire ne vient pas de moi, que je regarde un film dont je ne connais pas l’issue et j’aime me laisser surprendre.

Tout commence avec cette forme longiligne et argentée, que la partie de mon esprit encore un peu ancrée dans la réalité suppose pouvoir être un chandelier posé sur l’autel… Mais il est tout à fait possible que ce ne soit pas du tout argenté, et que ce ne soit pas du tout sur l’autel. Peu m’importe, cela ressemble fort, il me semble, à un soldat en armure. Il s’appelle Gunvald, ça sonne bien, comme nom de soldat, je crois avoir lu ce nom dans un livre il n’y a pas longtemps. Ce serait plutôt nordique, je ne suis pas bien sûre des pays qu’il y a par là-bas, mais ça n’a aucune importance, je pourrai toujours en inventer un. Appelons-le Gunvald Olafson, ça lui va bien. Au-dessous de lui, je distingue vaguement quelque chose de carré et de blanc. Gunvald se tient debout sur le chemin de ronde d’une forteresse de pierres blanches. Magnifique dans son armure étincelant sous le soleil, il guette à l’horizon.

Je porte mon regard vers la gauche – j’ai oublié de préciser que mon champ visuel étant extrêmement réduit, cela apporte encore plus de suspense et de plaisir à la découverte, car la scène ne se dévoile que petit à petit – et j’aperçois plusieurs petites lumières sur un fond sombre. À ce stade de ma rêverie, je ne me demande plus de quoi il peut bien s’agir, l’église est beaucoup trop loin de moi à présent. Mon Dieu, les envahisseurs approchent, leurs torches perçant les derniers voiles de la nuit. Bien sûr, j’ai dit plus tôt que Gunvald était en plein soleil, mais c’est parfaitement logique. Les ennemis sont dans un repli du terrain et les premiers rayons de l’astre du jour ne parviennent pas encore jusqu’à eux.

Je regarde à présent à droite de la forteresse blanche et je découvre la ville, des formes indistinctes qui s’étagent à flanc de colline, on dirait. Tiens, ces petites choses blanches, en tout cas je les vois blanches, je crois bien que ce sont trois jeunes filles, qui vont puiser de l’eau sur la place du village. L’une d’elle, que j’ai envie d’appeler Aubépine parce que c’est tellement joli ce prénom, et que je ne comprends pas pourquoi personne ne le porte, Aubépine, donc, parle à ses amies de l’amour qu’elle porte à un soldat. Elle ne peut bien sûr pas leur révéler de qui il s’agit, pas encore, ses parents seraient fous s’ils l’apprenaient ; mais moi je sais, bien sûr, qu’elle est amoureuse de Gunvald.

 

            À ce stade, le décor est suffisamment planté pour que mon imagination s’autorise à faire bouger les différents protagonistes et même à en faire apparaître encore de nouveaux. Bien sûr, dans le cœur de l’église, tout reste parfaitement immobile, mais cela ne me dérange pas le moins du monde. Il y a toujours un nouvel objet qui entre dans mon champ de vision et qui me semble apparaître pour la première fois, constituant un nouveau personnage faisant son entrée dans le récit. Il y a toujours un endroit sur lequel je n’ai pas encore posé les yeux et qui devient un nouveau lieu pour l’action de mon histoire. J’y place aisément mes personnages même si rien ne les représente, je les imagine parfaitement, utilisant les formes floues que je distingue pour en faire tantôt une table et des chaises, tantôt une montagne ou une maison. L’avantage quand on ne sait pas ce que l’on voit, c’est que l’on peut en faire absolument ce que l’on veut.

Je suis profondément absorbée dans la bataille entre les hommes de Gunvald et leurs ennemis, au moment précis où Aubépine se précipite au milieu des combats pour apporter à son bien-aimé une missive de la plus haute importance, quand un bisou sur ma joue m’arrache brusquement à ma rêverie.

 

            Papa me signale avec une certaine impatience qu’il est temps de partir. Je découvre avec étonnement que je suis debout, alors qu’il me semble que j’étais assise au début de l’histoire de Gunvald, à croire que mon corps a suivi la messe grâce à certains automatismes bien ancrés. Il y a une nouvelle nappe brodée sur l’autel, m’expliquent mes parents, si je veux, ils peuvent m’emmener la toucher. J’hésite un peu, ce qui les surprend beaucoup ; d’ordinaire, je suis toujours partante pour toucher toute nouvelle chose qui peut l’être. Je ne leur explique évidemment pas que j’ai peur de m’approcher de trop près de Gunvald et de découvrir de quoi il s’agit vraiment. Sous mes yeux, à peu près n’importe quoi peut devenir un soldat en armure. Sous mes mains en revanche, les objets prennent des contours précis et s’identifient en quelques secondes. J’aime drôlement les découvrir, mais ici, dans cette église où tout l’inconnu et le non-touché se transforment en autant de personnages et de décors, je ne voudrais pas risquer de rompre le charme. C’est finalement la curiosité qui l’emporte et je vais explorer du bout de mes doigts les broderies de la nappe blanche qui, probablement, constituait le mur de ma forteresse. Après tout, je n’aurai qu’à regarder ailleurs la prochaine fois pour que la magie opère à nouveau.

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