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4 novembre 2022

Entre rêve et réalité, par Bernard Delzons

Piste d'écriture: la rêverie.

théâtre

 Victor était un rêveur, pourtant dans son métier d’informaticien, il n’y avait aucune place pour le monde imaginaire. Aussi, le soir pour s’endormir, il s’inventer des histoires, un mélange de souvenirs de différents moments de sa vie qu’il se permettait de transformer pour les rendre plus agréables. Alors il pouvait s’endormir en espérant qu’aucun cauchemar ne viendrait interrompre ces douces rêveries. Aujourd’hui retraité, il s’amusait à écrire des nouvelles racontant des anecdotes qu’il avait vécues ou peut-être tout simplement rêvées.

 Je m’étais inscrit à un cours de théâtre un mois plus tôt. L’animateur m’avait demandé de monter sur la scène avec une jeune femme qui devait me donner la réplique. Il n’y avait aucune consigne, nous devions improviser ! L’animateur leur avait seulement lu un très court extrait de « La Cerisaie » de « Tchekhov ».

Les lumières venaient d’être éteintes, laissant juste un faisceau lumineux pour éclairer le centre de la scène. Je ressentis un frisson me parcourir le corps et comme si un courant d’air avait traversé l’espace, je retrouvai soudain l’odeur de fougères humides d’un sous-bois.

 Victor était parti un matin avec son père, à la recherche de champignons dans le bois jouxtant le jardin de sa grand-mère. Le jour était levé depuis un bon moment, mais dans ce fond de vallée, les rayons du soleil n’avaient pas encore réchauffé l’atmosphère. C’est en pénétrant dans cet ensemble fait de chênes et de châtaigniers qu’il avait humé cette odeur presque enivrante des fougères comme si le soleil traversant enfin le feuillage de la clairière les avait fait sortir de leur torpeur.

 Soudain ramené à la réalité par une exclamation de ma partenaire, j’ai pris la jeune femme par la main et l’entraînant vers le fond de la scène, je lui ai fait admirer le feuillage humide de ces végétaux imaginaires.  Clarisse leva la tête et commença à décrire les couleurs des feuilles de châtaignier. Elles étaient encore vertes au bas des arbres puis devenaient jaunes, ocre puis rouges en arrivant au sommet, là où le soleil les touchait en premier. Toujours en nous tenant par la main, nous revînmes vers le devant de la scène et, imprégnés des images que nous avions partagées, nous avons imaginé un dialogue cohérent avec le texte qu’on nous avait lu.

 En rentrant chez lui, ce soir-là, Victor ne put s’empêcher de repenser à d’autres souvenirs de cette époque. Le soir où son grand-père avait heurté un lièvre sur la route et qu’ils avaient ramené à la maison, aussi fiers l’un que l’autre. Mais aussi le petit séjour à la cave parce qu’il avait refusé d’aller, avec ses frères plus âgés, partager le repas de la ferme voisine.      

 La semaine suivante, l’animateur du théâtre m’a demandé de m’imaginer aveugle et de lui d’écrire le monde tel que je pouvais l’imaginer. Je fermai les yeux, le noir s’empara de moi, mais aussitôt, j’imaginai le blanc associé pour moi à la neige et aux draps propres. Cela me fit penser à la lessiveuse sur la cuisinière et au riz au lait que ma mère faisait mijoter tout le temps de l’opération. Puis je pensai au bruissement des feuilles quand le vent soufflait, et là encore je fus, à nouveau, immergé par les odeurs de la forêt, mais cette fois c’était l’odeur des champignons. Quand mon professeur me fit remarquer qu’un aveugle pouvait difficilement aller en forêt, je rétorquai que je pouvais très bien les sentir quand ma mère les nettoyait.

 Chacun avait dû choisir un animal et une chanson. À l’improviste, l’animateur pouvait leur demander un exercice avec cet animal ou cette chanson. Victor avait choisi le chat et une ritournelle comme chanson. Ainsi, un jour, on lui demanda d’essayer de se mettre dans la peau de son animal.  Il s’installa sur scène et avec application, et avec ses pattes, il commença à se nettoyer comme l’aurait fait le chat de sa grand-mère. Quand son professeur lui demanda comment il se sentait, il répondit seulement: « propre », déclenchant un fou rire général, sans que l’on puisse savoir si c’était dû à la pertinence de la réponse ou à l’agacement de l’animateur qui attendait une réponse plus intellectualisée.

 Une autre fois, alors qu’ils étaient dans une vraie salle de théâtre, le professeur lui demanda de chanter sa chanson. Devant cette foule inhabituelle, Victor qui chantait faux, entama sa chansonnette : « Lundi matin, l’empereur, sa femme et le petit prince sont venus chez moi pour me serrer la pince, mais comme j’étais parti, le petit prince à dit, ça ne fait rien nous reviendrons demain… »

D’abord doucement puis avec de plus en plus de conviction, il continua : « Mardi matin… » Le professeur voulut l’interrompre quand il arriva au vendredi, mais finalement content de lui, avant de reprendre le refrain, il s’écria : « je finis la semaine ! » Une salve d’applaudissements retentit quand il recommença à chanter.

 Pendant mes études, j’avais dû trouver des garde-fous pour canaliser mes rêveries, en particulier pour arriver à mémoriser des données ennuyeuses comme le droit ou le nombre de centrales hydrauliques de la vallée de la Dordogne. Enfant, je faisais souvent la classe à des enfants imaginaires, adulte je préparais les cours comme si c‘était moi qui devais les enseigner aux étudiants. C’est presque la même méthode que j’utilisai pour retenir les textes de théâtre.

 La pratique du théâtre avait permis à Victor d’être plus à l’aise en public. Mais il y avait une chose qu’il ne savait toujours pas faire, c’était de transformer un interlocuteur désagréable ou agressif en personnage ridicule et donc inoffensif. La rêverie finissait quand il était dans le monde réel.  Pourtant certaines fois, même sans rien dire, par un simple regard, il envoyait des messages qu’il ne se serait jamais autorisé à formuler. Ainsi le jour où son concierge l’avait sorti de son lit pour lui reprocher des traces de pas sur la moquette, traces qu’il ne pouvait avoir faites, puisqu’il était en robe de chambre sur le pas de sa porte. Le pauvre homme furieux était reparti en gesticulant et en grognant.

 Après des années, je me suis remis à faire du théâtre me remémorant alors d’autres souvenirs de cette époque. La vieille actrice russe qui donnait des leçons dans son appartement avec l’espoir de trouver la troupe idéale pour interpréter « les frères Karamazov » de Dostoïevski. Pour être digne d’un rôle dans ce spectacle, il fallait souffrir et le montrer. Nous effectuions des exercices pour lui permettre d’apprécier le degré d’implication et d’émotion de chacun. Une fois, pris dans une toile d’araignée géante, je dus me débattre pour échapper au petit monstre qui attendait que je m’épuise pour me dévorer tout cru. Une autre fois, en pleine guerre face à un ennemi blessé, il fallut choisir entre le secourir ou bien lui mettre une balle dans la tête.

C’était enivrant, mais les nuits suivant ces séances je dormais mal et peu !  J’arrivais assez facilement à oublier le décor du salon pour m’imaginer dans la forêt vierge ou dans une terre détrempée recouverte de corps inertes. En réalité le spectacle ne vint jamais, Véra déjà âgée tombait malade quand elle était sur le point de finaliser l’équipe. Alors au deuxième arrêt, je décidai de mettre un « clap de fin ». 

 Victor était sur scène, seul un faisceau lumineux éclairait le plateau. Il voyait autour de lui un monde miniature. Il s’agissait d’un village avec des gens des animaux et des maisons. Il se baissa pour caresser un tout petit chien. Puis ce fut un jeune homme qu’il attrapa délicatement et qu’il posa à cheval sur son index. Lentement, Victor approcha sa main de son visage pour regarder le petit homme visiblement effrayé par la taille démesurée qu’il avait par rapport à lui. Avec douceur, il lui parla et surprise, le jeune homme lui répondit. Victor avait vu ses lèvres bouger mais n’avait entendu aucun son. Il dut porter la main près de son oreille pour enfin percevoir ce que disait le garçon.Il s’appelait « Émile ». Il surveillait, avec son chien, les moutons du village. Il fallait qu’il redescende, sinon il allait perdre des bêtes.

Victor le déposa à terre avec précaution. Il chercha alors à trouver d’autres personnages, mais la lumière revint soudain et il se retrouva seul sur le plateau. Quelques applaudissements le ramenèrent à la réalité, il se souvint qu’on lui avait demandé d’imaginer un monde peuplé de personnages minuscules.  Il y serait bien demeuré un peu plus longtemps !

 

 

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