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1 avril 2007

Au modèle envoûté, par Carole Menahem-Lilin

(D’après « La peinture », de Vermeer, vers 1666-1673)

 

 

 

Te voilà épinglée sur cette toile, papillon en robe grise, petit visage aux yeux blaissés.


Le peintre ne t’a pas accordé de regard, mais il t’a fait ce sourire enfantin de qui se trouve au-delà de soi-même, dans le saisissement. De fait, tu es le principe du  ravissement, puisque tu représente Clio, muse imprévisible de l’Histoire.

Si on trace une croix reliant les angles du tableau, ton visage émerge exactement de la partie supérieure ; tandis que ton corps aux plis amples reste prisonnier de la moitié inférieure. Ainsi le Maître t’a fixée au centre de sa toile ; mais il faut voir comme. Toi qui personnifies son sujet, tu apparais comme une figure reculée de la composition. Lui-même s’est installé au premier plan, en train de te peindre. Non, à mieux y regarder, le premier plan est occupé par le rideau, richement damassé, et par une chaise vide, accueillante ; comme autrefois les spectateurs de marque s’installaient sur le devant de la scène, ce siège nous invite à nous assoir, pour devenir nous-même témoins du mystère.

Témoins, zélateurs, complices ou critiques. Hôtes de marque, en tout cas, participant de plein droit au drame.

Mais, qu'est-il montré au juste ? Les significations s’entrecroisent, pour composer au moins trois tableaux. Un peintre peignant son modèle, projetant sur sa silhouette l’allégorie de la Peinture. Un homme dans son siècle, contemplant le visage fermé de l’Histoire. Ou un maître t’ayant demandé à toi, la servante, d’incarner un moment qui tu n’es pas.

Tu figures donc sur cette toile, incarnant toutes ces femmes élevées – enlevées - par un Destin. Dans ta robe d’un gris bleuté, brillant, tu évoques à la fois Marie et l’Ange de l’Annonciation : comme lui tu tiens la trompette, bien que tu n’y souffles pas encore. Y souffleras-tu jamais ? Bien plutôt, c’est le destin qui l’animera pour toi.

Toi, tu gardes les yeux baissés sur ton secret, dont tu ignores le nom. Tu détiens, certes, serré contre ton flanc gauche, le grand Livre des Evénements ; mais il te demeure fermé. Tu ne le lis pas ; tu ne le liras pas ; sais-tu lire, seulement ? J’en doute.

Ainsi ce grimoire dont tu es la porteuse te laisse hors de lui-même.

Oui, en un sens tu es bien une Muse : chargée d’instruments symboliques mais dépourvue du pouvoir d’en user librement ; opaque à toi-même..

Petit papillon gris et doré épinglé au centre du tableau.

 

 

 

 

 

 

 

Mars 2007

 

 

 

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