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23 juin 2007

BLEU'S BLUES

 

 

 

 

 

 

BLEU’S BLUES

 

 

 

 

 

 

 

Pour un atelier d’amateur c’est une belle pièce avec tout un mur en baie vitrée. Les autres murs sont blancs, encombrés jusqu’au plafond de toiles achevées, de cadres vides, de pans de tissus tachés d’essais de couleurs.

 

 

 

            Sur les pans les plus hauts, sans doute les plus anciens, les couleurs sont variées, assez vives, qu’on retrouve dans certains paysages accrochés à côté. Peu à peu, quand le regard descend vers les plus récents  tout devient de plus en plus bleu. Toutes les gammes de bleu du plus vif au plus éteint. Pas ou presque pas de vrai sujet, juste des touches d’essai, côte à côte, tracées à grands coups de pinceau,  avec rage.

 

 

 

            Il apparaît que pour cet homme le bleu est un univers où il est entré un jour et qui s’est comme refermé sur lui. C’est devenu son obsession, sa quête permanente.

Il n’aurait su dire pourquoi le bleu. C’est la seule couleur que son regard absorbe, qui l’envahit de joie intérieure, de calme, d’apaisement. Pas d’exaltation, non, quelque chose comme de la tendresse universelle, de l’amour, de la fraternité. Aucun mot – il a essayé – ne peut traduire ce sentiment. Il lui faut créer ce bleu qu’il a au fond de son âme pour que d’autres yeux et d’autres âmes le partagent.

 

 

 

            Ce qu’il cherche c’est un bleu éteint, mais pas tout à fait, pas non plus un bleu sale ni un bleu délavé. Pas un bleu frais, un bleu nouveau-né, plutôt un bleu qui aurait vécu, qui porterait les traces des regards des hommes, des pensées qui s’y sont posées.

 

 

 

            Il a commencé par explorer les teintes vendues dans le commerce, en tubes, en godets, le cyan, l’outremer. Il les a mélangées, diluées, atténuées de blanc. Il a essayé de les utiliser sur des fonds différents, jouant sur la transparence.

C’est toujours trop vert, trop violet, trop franc, trop cru, trop lumineux.

 

 

 

            

            Il a essayé de plusieurs façons d’assourdir la couleur mais il est tombé dans le trop gris, trop pâle. Il a aussi tenté le pastel et ça s’est avéré encore plus difficile.

 

 

 

            Alors il s’est tourné vers la recherche de bleus ‘’naturels’’. L’indigo, le saphir, le lapis lazuli, l’azurite. Mais comment les transposer sur la toile? De toute façon, ce sont des teintes encore trop franches, trop minérales, sans ces harmoniques subtils qui le plongent dans le bonheur.

 

 

 

            Cependant  parmi les traces laissées par d’anciennes civilisations on peut trouver des techniques  d’applications, de mélanges de matières naturelles.

Il a donc visité les expositions, consulté les ouvrages consacrés aux  arts premiers, à l’antiquité. Il y a trouvé surtout des variations sur l’ocre, le brun, des teintes de terre. Le bleu n’est apparu que plus tard dans la palette des artistes. Seules les fresques de  Pompeï sont parvenues à l’émouvoir.

 

 

 

            Et de nos jours? N’y aurait il pas quelqu’un lancé dans une recherche proche de la sienne? Il s’est mis à fréquenter les galeries, délaissant les aplats de couleur vive pour n’examiner de près que les petites touches, modestes mais qui donnent à la toile sa lumière et sa personnalité.

 

 

 

            Dans les galeries on a pris l’habitude de voir cet amateur avec son carnet de croquis et de notes, faisant mine de chercher les détails de structure, l’influence de l’épaisseur, du support, de tenter de retrouver le geste du peintre. C’est ce qu’il dit  au personnel auquel il parle d’une thèse sur l’art contemporain.

 

 

 

            On lui permet de s’approcher pour conduire son étude, on ne le surveille pas toujours, on le laisse seul dans sa concentration ostensible.

C’est que notre peintre ne se contente plus de mémoriser les teintes qui l’attirent pour ensuite tenter de les reconstituer chez lui. Il veut en emporter  des parcelles comme  modèles.

 

 

 

            Alors avec un petit scalpel, il gratte au bord du cadre une miette qu’il enfouit dans un petit sachet. Il s’enhardit à faire ses prélèvements plus loin du bord, puis jusqu’au milieu même du sujet. Il a déjà une collection de bleus, les parcelles sont de plus en plus grosses. Il n’arrive toujours pas à son bleu idéal. Il s’acharne à tenter de reproduire ce qui s’en rapproche le plus, en vain.

 

 

 

            Lassé de ce qu’il appelle la médiocrité de ses contemporains, il  décide d’aller chercher l’inspiration auprès des grands maîtres dans les musées. Il s’est posté devant Matisse – trop lumineux – devant Klein – trop saturé – devant les représentations religieuses du Moyen Age – trop codé – devant les grandes toiles du XVIII – trop patriotique.

Il se sent plus attiré par les bleus romantiques, les bleus de l’affliction et de la mélancolie. Ou ceux des peintres du Nord vibrant dans la lumière diffractée des ciels flamands.

            

            Justement une exposition de peinture flamande vient de s’ouvrir. Il s’y précipite, en fait d’abord l’inventaire au pas de course, puis recommence lentement, fait de longues poses devant chaque toile, indifférent à la foule, aux  centaines de têtes qui lui masquent  la plus grande partie des œuvres. Lui, il est fasciné par le détail, il entre, il est dans le tableau.

 

 

 

            

            Un Vermeer entre tous les autres, ‘Femme en bleu lisant une lettre’, c’est son choix. Il l’observe, il l’examine, il le contemple.  Il est attiré, aspiré, envoûté, il y revient sans cesse,  il se l’approprie.

 

 

 

            Une sorte de frénésie le saisit, ce bleu est à lui, il en veut au moins une parcelle. Il sort son scalpel, s’approche sans précaution et………

L’alarme retentit, stridente, il est ceinturé, entraîné par des gardiens musclés….

 

 

 

            Il ne se rebelle pas, hagard comme quelqu’un qui se réveille brusquement, il se laisse emmener au commissariat le plus proche où on le met en garde à vue dans une cellule crasseuse.

 

 

 

            Cette cellule n’a sans doute jamais été rénovée, les murs en ont été peints il y a longtemps, lessivés sommairement plusieurs fois.

Depuis se sont  accumulés les traces de mains moites de désespérance, les mots écrits avec le noir d’une allumette puis effacés d’un coup d’éponge paresseux, les empreintes de doigts  gras et écorchés, hâtivement gommés d’un revers de manche  sale.

 

 

 

            Et voilà que le peintre redresse la tête, que son visage s’illumine, qu’il semble en proie à une extase soudaine.

Il s’approche du mur, le caresse délicatement de la paume, y pose sa joue et les agents médusés entendent cet homme vêtu de gris, se détachant sur le vague bleu du mur s’écrier :

 

 

 

‘’Dieu soit loué, il existe, je l’ai trouvé, regardez, c’est MON bleu’’

 

 

 

 

 

 

 

 

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