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15 mai 2008

Cyclone sur Rano-Mafana

 

Cyclone sur

Rano Mafana.

FIANAR

« A Madagascar, les importunes questions de temps et d'espace sont abolies. L'amant qui donne rendez-vous à sa belle près de « l'aire-où-l'on-dépique-le-riz-avant-que-la-volaille-soit-rentrée » jugera presque indécent de se trouver au lieu convenu avant « le-moment-où-le-dernier-rayon-du-jour-caresse-la-cime-des-grands-arbres ».
Flavien Ranaivo: « Terre, langue et âmes malgaches ».

 

 Il est un petit village au coeur du haut plateau, ce lieu perdu du monde où rien ne commence et tout finit. Ce village est  immergé dans la monotone ondulation des « tanety » Ces collines moutonnent, sans fin comme la houle en mer. Le nom du village est « Rano mafano » - il se prononce à peu près « Rann' mafann' » et signifie « l'eau chaude ». Non sans raisons: une source sulfureuse jaillit à flanc de coteau. Elle alimente une vasque où les riverains viennent s'immerger. Car la tradition locale prête à cette eau chaude des vertus thérapeutiques variées. Un baigneur, curiste improvisé, soutiendra mordicus qu'elle guérit les maladies de la peau. Un autre évoquera ses rhumatismes, un troisième la présentera comme un remède souverain contre les affections des bronches. L'important, c'est d'y croire.

 Jean Trouvetout, dit Tintin, frais émoulu de l'Ecole forestière, apprit durant la pause estivale qu'il était affecté à Madagascar, au titre de la Coopération militaire, à compter du 1er octobre 1968. Il ne perdit pas de temps à chercher sur la carte la situation du village, dont il se fichait. « Bah! se dit-il, Que ce soit là ou ailleurs... ». En fait, il n'avait à s'occuper de rien. Sa convocation à en-tête du Ministère de la Défense précisait laconiquement que son transport sur les lieux serait assuré « par tous moyens locaux » à sa descente d'avion d'Ivato, l'aéroport de Tananarive.

TAXIBE

  Le « moyen local » en question s'avéra être un « taxi-bé », sorte de minibus en usage dans la Grande Île. En comptant les multiples arrêts, il fallut une bonne journée de route pour parvenir à Fianarantsoa, chef-lieu de la province du même nom, qui n'était pas la destination finale du jeune coopérant. De Fianar', il devait ensuite prendre un petit train qui ne fut pas sans lui rappeler celui de Palavas. Cette ligne serpentant dans la sylve, entaillant la Falaise au relief vertigineux, plongeait vers la Côte est, celle de l'Océan indien. « Rana mahasina »: la mer. Son futur poste se trouvait à mi-chemin. Le village de Rano mafano est desservi par la gare d'Ampamaherina, où se trouve une pépinière forestière (1). L'autorité convoquante avait juste omis de préciser que pour y parvenir, il devrait faire usage de sa « deux-chevaux naturelle » sur la dernière partie du trajet. Soit une heure de marche en file indienne avec les bagages. La coutume indigène consiste à porter les fardeaux sur la tête (« miloloha »), qu'il s'agisse de jarres d'eau potable, de paniers de légumes ou de cages à volaille. Dérisoire pensum pour cet ex-bidasse, en comparaison des journées de crapahut en plein cagnard, fusil-mitrailleur à l'épaule, dans la garrigue languedocienne (2).

 Ce qui gênait le plus Trouvetout, c'était la pluie. En position stratégique au mitan de la Falaise, Rano mafana est le lieu le plus exposé qui soit aux intempéries; les vents du large s'y déchargent de leur humidité. Le microclimat de cet entresol n'a rien à voir avec celui de l'étage juste au-dessus id est:lu plateau malgache. Là-haut, les paysans betsileos cultivent leurs rizières et font paître des troupeaux de zébus. Plus bas, en allant vers la Côte, on trouve de magnifiques plantations de café. Mais avant de parvenir à cette antichambre du paradis, le voyageur doit colleter avec un véritable fouillis végétal, tout juste propre aux activités de cueillette, de chasse et de pêche.

 A son arrivée, le jeune homme n'avait nulle expérience de cette continuité visqueuse, gluante, qui imprègne les vêtements et colle à la peau. « Il n'a plu qu'une fois durant mon séjour à Rano mafana, avouera-t-il par la suite, mais cela aura duré dix huit mois. »

 L'atmosphère en permanence saturée d'humidité contribue efficacement à la pousse des arbres. Ce climat délétère favorise aussi la prolifération des rats, des moustiques et des cancrelats. Trois fléaux avec lesquels il faut compter là-bas. Pour endiguer l'afflux des rongeurs, les cases sont montées sur pilotis. On y accède par une échelle, comme les poules dans un poulailler. Les moustiques propagent le paludisme: pour s'en prémunir, les indigènes sucent l'écorce du Quinoa, les "vazahy" , les blancs, avalent chaque jour leur comprimé de Nivaquine. Quant aux cancrelats, ils envahissent les lieux habités par légions entières. Lorsqu'on en écrasez dix, cent autres se montrent aussitôt. C'est un spectacle abject!

 Quelle était donc l'importante mission qui motivait la présence au coeur de cette jungle du jeune coopérant? Il s'agissait rien moins que de barrer la « Namorona », un torrent  local dévalant la Falaise. Le pari d'endiguer ce cours d'eau tumultueux n'était pas gagné d'avance. Un seuil rocheux (malheureusement non sondé par un quelconque géologue) était pressenti pour ancrer le futur barrage. Au prix de cet exploit, il était envisageable d'aménager ensuite une retenue collinaire qui permettrait d'irriguer les cultures vivrières en périphérie du village et d'élever des poissons style Tilapias. Tout le monde aurait ainsi de quoi manger à Rano mafana. « Faire de l'humanitaire » voilà qui représente un noble objectif. Ailleurs qu'en brousse, cela fait rêver....

 Les « manafo » atteignirent enfin les premières cases au milieu des frondaisons annonçant des lieux habités. Tous feux confondus, cette clairière pouvait bien abriter l'équivalent d'une grosse bourgade en métropole.

 Le jeune homme crut que ce village émergeant de la brume était peuplé de fantômes, tant il demeurait silencieux. Les quelques riverains qu'il croisa se tenaient debout, immobiles, appuyés sur leur « angady ». Ils se drapaient dignement dans leur « lamba », tels des sénateurs antiques portant la toge. Cette impassibilité de rigueur trahissait une lointaine parenté asiatique. Il n'est pas d'usage en ce pays de montrer à autrui ses sentiments, ni de trahir ses émotions.

 A Rano mafana, le temps semblait s'être arrêté.

RIZIERE

 Soudain la rumeur jaillit: murmure qui s'enfle et se propage, regard curieux des femmes entre les persiennes mi-closes:  le « Vazaha vao-vao » est arrivé! Vazaha, c'est un terme de respect qui désigne indistinctement tout Européen, quel qu'il soit. S'il se targue d'une parcelle d'autorité, civile ou militaire, il devient le « Vazaha-bé », le patron, le grand chef! S'il s'agit d'un ecclésiastique, il a droit uniformément au titre de « Monpera ». Il y avait justement à Rano mafana un Jésuite de la mission provinciale de Fianar: Frère Hubert. Les gens du coin ne faisaient pas trop la différence entre « Père » et « Frère ». Quand Hubert leur eut expliqué que les uns disent la messe et que les autres font le travail, les villageois se réjouirent ouvertement qu'un frère convers se fût installé chez eux. Hubert était là pour dispenser à leurs nombreux enfants l'éducation religieuse, qui se confond dans leur tête avec l'instruction tout court. Cette dernière supposant de savoir lire, écrire, parler quelques mots de français. En sus de ces pré-requis, Frère Hubert leur apprenait également à compter; il enseignait des rudiments de secourisme aux garçons, d'arts ménagers aux filles et d'hygiène aux deux sexes. Fort éclectique, il encourageait de son mieux les talents artistiques de cette tribu. Les artisans zafimaniry s'entendent au travail du bois. Leur production d'objets sculptés commençait à se répandre dans la Grande Île et même au delà. En ce lieu sans ressource, elle procurait aux autochtones un complément de revenus dont ils avaient le plus grand besoin.

 Le courant passa tout de suite entre le jeune coopérant et son unique voisin européen. « Frère de brousse », Hubert portait fort peu la soutane et plus souvent le « salaka ». Il aimait aussi plaisanter:
- Savez vous pourquoi jamais aucun Père Jésuite n'a pu jamais faire le trajet qui va de la gare d'Ampamaherana à Rano mafana?
- Non. Je ne vois pas...
- Eh bien, carrément parce que c'est tout droit (3)!  Le Frère ajouta avec son franc parler:
« Ici, ce dont les gens ont besoin, c'est de viande et de riz...[un ton plus bas]: Il faudrait y ajouter  des préservatifs. Malheureusement, le pape est contre!!! » 

 Robidou se souciait assez peu de l'opinion du souverain pontife, il acquiesça poliment.
  - A propos, poursuivit le Jésuite -ceci n'ayant bien sûr rien à voir avec son propos précédent- pour tenir votre ménage, vous aurez besoin d'une
« ramatoa ». Tous les coopérants en ont une. Il se trouve que je compte parmi mes élèves une jeune fille de bonne famille, Vero Andriavahiny. Elle parle couramment notre langue. Vero a été confiée à la Mission par ses parents, opposants politiques au régime, juste avant qu'ils soient « mis à l'ombre » - emprisonnés pour cause de dissidence, entendez. Elle est propre, dévouée, pas bête et ferait sans doute votre affaire.
  - Puisque vous me le dites....
- Bien entendu, je vous propose cette « perle » parce que j'ai toute confiance en vous. Si vous acceptez de la prendre à votre service, il vous en coûtera trois cent francs malgaches par an. Une moitié pour elle, l'autre moitié pour les frais généraux de la Mission. Honnête, non?
  - Eh bien, soit! J'accepte cette formule à l'essai.

 La somme requise paraissait dérisoire au coopérant: 300 FMG, ce n'était pas cher payé, même au regard de sa modeste indemnité militaire. A peine le prix d'un repas en France! Aux yeux des gens d'ici, cela représentait un véritable pactole.
Le jeune homme n'avait pas l'habitude de se faire servir. Le simple fait d'avoir une personne exclusivement consacrée à son ménage, une bonne à tout faire, comme on dit, le choquait. Du moins au début. Par la suite, ses idées vaguement « soixante huitardes » évoluèrent. Il faut dire qu'entre temps, il avait été dûment chapitré par la petite communauté européenne de Fianar, qui ne souhaitait pas voir grimper les cours du personnel de maison.

   
Le lendemain matin, l'impétrante se présenta à sa case. Il fut étonné par la clarté de son teint (café au lait avec bien plus de lait que de café), plus encore par la grande finesse de ses traits. Le jeune homme, par association d'idées (Vahiny... vahiné...), lui trouva tout de suite un faux air de princesse tahitienne. Comme l'indiquait l'autre morceau de son nom, le préfixe Andria- (un peu l'équivalent d'une particule nobiliaire), c'était une « andraina », c'est-à-dire une enfant de l'élite de ce pays. Les andrainy forment la caste dirigeante de la Grande Île. Leur origine est lointaine et mystérieuse. Plus orientaux qu'Africains, ces aristocrates évitent de se mêler aux Côtiers pour conserver la pureté de leur race. Ici, tout est question d'ethnie.

 Tout en saluant Jean Trouvetout par ce terme de déférence: « Vazaha » (elle ne l'appela jamais autrement, ce n'était pas plus mal après tout que « Jeannot » ou « Tintin ») elle passa tout de suite et sans gêne au tutoiement. Normal: c'était l'usage chez elle. Elle voulut aussi qu'il  prononçât  correctement son prénom. Il ne fallait surtout pas dire Véro comme si c'était le diminutif de Véronique. Ce vocable avait une sonorité intermédiaire entre celle des mots français « ver »,  « verre » et « verrou ». Il fallait dire « Vè-rrrr-ou » en mouillant et roulant à la fois le « r » et en marquant très doucement le  « ou »; de manière presque imperceptible, comme roucoule un pigeon.

 A force de s'entraîner, Jean finit par y arriver.
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 Octobre passa, puis vint novembre. N'oublions pas que cette histoire se passe dans l'hémisphère sud où les saisons sont inversées. La chaleur monta jusqu'à devenir étouffante, les précipitations devinrent de plus en plus fréquentes et intenses; c'était comme une mini-mousson entrecoupée d'éclatantes et lumineuses éclaircies. Autre facteur de dépaysement pour le coopérant: la longueur des jours qui, sous cette latitude, ne varie guère d'une saison à l'autre. Ils sont juste un peu plus longs en hiver, un peu plus courts en été. En toute saison, la nuit tropicale n'est précédée d'aucun crépuscule. Elle tombe d'un seul coup, tel un rideau de scène violacé.

 Octobre avait été le mois de l'installation. Novembre amorça la routine à l'issue de cette période mouvementée. Robidou se préoccupait de la conception de son futur barrage, dont le chantier ne pouvait être encore lancé pour cause d'intempéries. Il était revenu plusieurs fois sur le site: quelque chose lui disait -sans qu'il en eût la preuve- que l'implantation de l'ouvrage n'était pas judicieuse à l'endroit prévu. L'assise rocheuse retenue ne lui paraissait pas saine, un autre épaulement situé plus en amont  se fût avéré, pensait-il, moins pourri.

 Aux environs de la Toussaint, Trouvetout fit un déplacement à Fianarantsoa pour se rendre au Service provincial des Eaux et Forêts. Pas raciste pour un sou, il trouva là, comme partout ailleurs des grands chefs qui se prennent au sérieux, des techniciens compétents et de parfaits crétins. Il put se procurer une carte géologique d'avant-guerre, des plans-types d'ouvrages d'art et quelques analyses de latérite, effectuées non pas à Rano Mafana, ç'eût été trop beau, mais dans des zones comparables. Le substrat devait y être sensiblement le même.

 Cette mission permit surtout au jeune homme de se détendre un peu; de rencontrer d'autres coopérants de son âge, majoritairement des enseignants. Il y avait Marie-Bernard, le normalien, qui s'échinait chez les Pères à enseigner aux petits malgaches le Grec et le Latin. Gangloff (dit « Glouf ») un Alsacien, qui leur disait sans rire: nos ancêtres les Gaulois. [Tiens donc! Pourquoi pas les Teutons?] Il y avait François, le « fondu de théâtre » qui leur faisait jouer le Bourgeois Gentilhomme. Au final, Molière amusait les 'Gaches, qui ne se privaient pas de le copieusement revisiter. Par exemple, ils ne s'étaient pas gênés pour substituer au célèbre menuet de Lully des rythmes plus exotiques: « Salade de fruits, jolie, jolie, jolie.... » Jean ne savait pas trop pourquoi, mais cette chanson gentillette évoquait pour lui Vero. Il pensait: « Si j'avais, moi Jeannot, la charge du « casting », lui donnerais-je le rôle de Nicole (la servante avisée) ou celui d'une ingénue: Lucile (la fille du Bourgeois)? Il opta pour la seconde hypothèse: un cas d'école, pensait-il,  purement gratuit.

 La joyeuse bande se retrouvait le soir chez Jacques, un Créole d'une quarantaine d'années, le personnage incontournable, l'homme à tout faire de Fianar. Si d'aucuns surnommaient Jean Trouvetout: « Tintin », Jacques eût été « Rastapopoulos ». Garagiste, courtier ès assurances du monde entier et d'ailleurs, négociant en tout, sans compter le reste, il faisait des affaires avec ses amis plus qu'il ne se faisait d'amis par ses affaires.

 La case de Jacques, largement ouverte à la mode d'Outre-mer, était le point de passage obligé de toutes les notabilités locales et le carrefour de tous les potins de la ville, les langues y allaient bon train; le « jus de fruit marcheur » du maître de maison contribuait largement à les délier (recette: une mesure de jus d'orange pour neuf de Johny Walker). Décidément, le whisky coulait à flots!

 Trouvetout noua de réelles sympathies, fit quelques connaissances, prit la cuite de sa vie et ne fut pas fâché, le moment venu, de reprendre la route de Rano mafana, ses documents sous le bras.

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 A son retour, il trouva sa case transformée. L'abeille laborieuse avait tout bien rangé, tout astiqué, chaque objet avait trouvé la place qui lui convenait. Au milieu de son barda de coopérant, Vero avait placé deux ou trois modestes bibelots. Ces oeuvres sculptées de quelque artisan du village égayaient son intérieur, humanisaient le mobilier grossier. Un bouquet de fleurs des champs -il n'avait pas remarqué ce détail tout d'abord - était discrètement posé sur son bureau.

 La jeune fille n'accepta pas de remerciements. Elle n'avait fait que son travail. Quoi de plus normal, puisqu'elle était payée pour cela? Vero n'était qu'une présence silencieuse à ses côtés. Elle ne lui posait pas de questions, pourquoi le vazaha en poserait-il? D'ailleurs, elle parlait peu, juste quand c'était nécessaire et surtout pas d'elle-même:

« Tu me regardes, Vazaha,  mais ne me vois pas.

             Tu m'entends, mais ne m'écoutes pas.

Respecte au moins mon silence.... »

 

 Le matin, ponctuelle, Vero arrivait à huit heures. Elle repartait à midi, non sans avoir préparé le repas du coopérant. Le même scénario se répétait l'après-midi de deux à six.
« La prochaine fois que tu te rendras à Fianar, Vazaha, dit-elle seulement, pense à ramener de l'étoffe pour que je fasse tes rideaux. » Elle précisa la qualité requise et le métrage, ajoutant même: 
-  Choisis plutôt le « joma », c'est moins cher. N'aie pas peur de marchander. Si ça te gêne, je peux le faire à ta place. Et puis, j'allais oublier, commande au mercier chinois cinq mètres de bande à  ruflettes. »
  - Pourquoi cinq mètres? L'embrasure de la fenêtre n'en fait que trois!
  - On ne t'a jamais dit, Vazaha, que les rideaux, ça se fronce?
  - Décidément cette fille a l'esprit d'à-propos, se dit Trouvetout. J'aimerais manifester autant de sens pratique et de rigueur dans  la conception de mon barrage.

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 Le projet fut considéré comme au point quelque temps après. Le jeune homme avait pas mal « galéré » pour tracer les coupes et diagrammes avec, pour tous accessoires, un tire-lignes et un compas (qu'il avait emportés dans ses bagages). Sa calculatrice  haut de gamme était soudainement tombée en panne. Jamais il ne trouverait sur place les « consommables » adéquats. Notre éternel Trouve-tout dut se résigner à terminer les calculs à la main. Heureusement qu'on lui avait appris à l'école primaire à poser les quatre opérations! Il savait même - un comble! - extraire sans douleur une racine carrée.

 Le Chef de village -il s'appelait Philémon- vint en grande pompe rendre visite au projeteur improvisé, accompagné de Frère Hubert faisant office de truchement. Ce respectable vieillard se lança dans dans un interminable « kabary » (kabar = discours) dont tout le monde avait oublié les prémisses lorsqu'il en vint aux conclusions. Précision plus gênante: Philémon était incapable de lire un plan, mieux valait donc présenter le projet sur site aux « Ray aman-dreny » : le Conseil des Anciens.

 Lesdits villageois n'entendaient pas le jargon technique de Trouvetout, mais ils ne manquaient pas de b.s.p. (en langage de chez nous: le bon sens paysan). On discuta ferme sur le choix de l'affleurement, on débattit sur la solidité du rocher. On interrogea les Anciens sur les plus hautes eaux connues: le niveau de crue jamais atteint de mémoire d'homme conditionnant, comme on sait la hauteur d'une digue et l'importance du chenal d'évacuation.

 Après tous ces préliminaires, comme on dit, « il n'y avait plus qu'à... »

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Le temps s'étant amélioré, les travaux commencèrent enfin.

 Trouvetout se rendit compte à ses dépens qu'en Afrique comme ailleurs – et plus qu'ailleurs - un chantier ne se déroule jamais comme sur le papier. Le matériel était transporté à dos d'homme, il fallut défricher au coupe-coupe la sylve environnante. On fit un batardeau de branchages. Une fois construit ce barrage provisoire, on dériva la rivière et l'on en vint au corps de digue. Les « manafo » avaient l'impression de confectionner un « mille-feuilles » en latérite. Il leur fallut compacter la « terre rouge » par  couches successives avec des moyens de fortune. Faute de bulle - et de niveau pour la coincer, Trouvetout, promu chef de chantier, repérait l'horizontale avec une équerre et un  fil à plomb. Souvent des problèmes imprévus se posaient. Ce n'était certes pas dans ses cours qu'il trouverait la réponse, car il ne les avait pas sous la main. Même les pièces du projet, patiemment élaborées le soir à la chandelle, étaient inexploitables sur zone parce que détrempées par la pluie.

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 De retour au logis, il était bien content, selon l'expression populaire, « de trouver la soupe chaude ». Vero guettait son retour, heureuse qu'il trouvât tout en ordre. Ensuite, elle s'éclipsait.

 Après avoir surveillé les travaux, le coopérant s'évadait de la technique en écoutant ses morceaux préférés. Son magnétophone à cassettes, acheté dans une grande surface en métropole, amoureusement transporté jusque là, représentait dans cette brousse un luxe incroyable. La « boîte à musique » attisait la curiosité de la jeune fille. Le chant mozartien, si triste et si profond, lui paraissait venu d'un autre monde.
  - L'opéra, lui expliqua Jeannot, c'est comme une pièce de théâtre, où tous les personnages chantent.
  - J'aimerais bien connaître l'histoire que cela raconte, Vazaha!
  - Elle est plutôt compliquée. Ce que tu entends là, c'est l'air des adieux. Ceux que font à leurs fiancées deux jeunes gens qui disent partir à la guerre. En réalité, ils font semblant. Car ces faux derches, je ne sais si tu comprends l'expression, reviendront sous une fausse identité.
  - J'ai bien compris l'expression. Mais pourquoi font-ils cela?
- Parce qu'ils ont fait le pari que chacun arrivera à séduire la fiancée de l'autre. Ce qui se produit d'ailleurs effectivement.
Ainsi font-elles toutes! (4)
  - Elles ont bien raison, ces filles. Leurs promis n'avaient qu'à pas s'en aller. Au fait, comment cela se termine-t-il?
  - Comme en général à l'opéra, et dans les films américains: tout s'arrange à la fin.... Les garçons jurent qu'ils ne remettront jamais plus leur fiancée à l'épreuve. Mais, mais, mais... sait-on jamais?
    Vero réfléchit un instant et conclut leur entretien par cette sentence:
- Moi, je suis sûre et certaine qu'ils recommenceront. Vois-tu, Vazaha: celui qui joue ainsi avec le coeur d'une femme ne peut l'aimer vraiment. L'amour n'est pas un jeu.

 Le jeune homme en savait quelque chose, mais ne fit aucun commentaire. Vero eut l'impression d'en avoir trop dit - ou pas assez. Elle garda pour elle ce soir-là certaine question qu'elle avait au bout des lèvres et s'en alla.

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 Le 24 décembre, le village préparait sa veillée de Noël. Ordre avait été donné de fermer le chantier de barrage un peu plus tôt qu'à l'accoutumée pour que les « manafo » aient le temps de répéter les cantiques à l'église. En fait une modeste chapelle en bois, jonchée pour la circonstance  d'étoiles de Noël (poinsettias). Frère Hubert y lirait ce soir, avant la messe, une homélie du cardinal Rakotomalala, « le seul Malgache, disait en a parte ce commentateur irrévérencieux, à porter ses glands sur son chapeau » (5).

 Pour ne pas rester seul, Tintin avait songé dans un premier temps à passer la fin de semaine à Fianar, avec les copains. Puis, il s'était ravisé. « Une demi-journée de train dans chaque sens pour un simple réveillon, expliqua-t-il à Vero, c'est cher payer la bouchée de foie gras et l'odeur de truffes. De toutes façons, que j'y aille ou pas, les autres s'en tamponnent le coquillard... J'entends d'ici les blagues d'usage: "Vous ici, je vous croyais aux eaux... Après la messe de minuit, vive la Miss de mes nuits!»
Alors, autant rester ici!

Vero ne releva pas ces jeux de mots douteux, parfaitement intraduisibles en Malgache. Elle avait  préparé pour son « Vazaha » un ordinaire amélioré. De la cuisine créole plutôt relevée, à base de poivrons grillés et d'accras, au lieu du sempiternel et fade « romazava » où seule la saveur aigrelette des « brèdes » agrémente un peu le riz et la viande bouillie. Il ferait une orgie de letchis frais: on en trouvait à profusion sur le marché, c'était la pleine saison

 Il commenta: « Magnifique! Mais il est temps que je te libère à présent. C'est Noël. Tu dois avoir hâte de retrouver les tiens! »
  - Tu sais bien, Vazaha,  que mes parents sont en prison, je n'ai pas la possibilité de leur rendre visite, répondit-elle tristement.
  - Jolie comme tu es, tu dois bien avoir un amoureux qui t'attend!

C'était « la Gaffe » avec un G majuscule. A Madagascar, on fait l'amour en toute simplicité: c'est une chose naturelle; surtout, on n'en parle pas. La jeune fille regarda son patron d'un oeil noir. Elle répondit à sa muflerie par une indiscrétion qu'elle s'était jusqu'à présent gardée de commettre.
  - Et toi, Vazaha, tu n'as pas une fiancée qui t'attend dans ton pays?
  - Il y a quelques mois, j'aurais pu dire les choses comme ça.
  - La fille sur la photo, là, celle que je vois toujours placée sur ta table de nuit, est-ce que tu lui écris? Tu la reverras à ton retour?
  - Oui, je lui écris. Même souvent, si tu veux savoir. Cela ne veut pas dire qu'elle me répond. Non, Vero, je ne suis pas sûr de revoir mon amie. A présent, je commence même à croire le contraire.
  - Alors, si tu crois cela, pourquoi te faire du souci pour elle?

 C'était d'une logique imparable, mais l'entretien commençait à prendre un tour pénible. Jeannot s'empressa de changer de sujet:
  - Puisque tu as préparé toutes ces bonnes choses, Vero, acceptes-tu que nous les partagions?
La jeune fille rougit.
  - « Rarana! »
: C'est défendu! Cela ne se fait pas, Vazaha. Le rôle d'une ramatoa, c'est de faire le service et ne pas se faire remarquer.
  - Eh bien, pour une fois, nous enfreindrons la coutume!

Elle hésita: c'était une sensation nouvelle et bien étrange pour elle que d'être invitée à dîner en tête-à-tête par « son » Vazaha. Quelle serait la réputation de Vero si la chose se savait à Rano mafana...? Car, à coup sûr, cela se saurait. Quoique, tous comptes faits... la jeune fille avait envie d'accepter. Elle accepta. Instinctivement, sa tête vint s'appuyer sur l'épaule de Jean.

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 Nul ne sait au juste  ce que les deux jeunes gens se dirent ce soir-là, jusque tard dans la nuit. Une chose est sûre, c'est qu'ils qu'ils décidèrent de passer ensemble le jour de fête qui suivit.

 Vero avait remarqué la nostalgie de l'expatrié: « Un Noël sans neige n'est pas un vrai Noël » avait soupiré Jeannot en sa présence.

 La neige, Vero n'en avait jamais vu. Bien sûr, elle en avait entendu parler, il en était question dans certains livres qu'elle avait lus. Mais il ne neigeait pas chez elle. Alors, elle eut une idée.
  - Et si nous descendions demain à Fort-Carnot? fit-elle.
Il acquiesça. D
écidément, cette fille n'avait que de bonnes et heureuses initiatives.

Si l'on veut se rendre en véhicule tous terrains de Fianar à Fort Carnot, où se trouvent les plantations de café, il faut passer par de fort mauvaises pistes: la fameuse « tôle ondulée ». Un bon marcheur, partant de Rano mafana, va plus vite à pied qu'en voiture... à condition de connaître les raccourcis. Ces chemins secrets, Vero savait où les trouver. Elle avait ses repères au coeur de la Falaise. Avec les restes de leur « réveillon », elle emplit un sac pique-nique et, dès les premières lueurs de l'aube, fit signe au Vazaha qu'il était temps de se mettre en route.
« Ainsi, nous éviterons les grosses chaleurs » commenta-t-elle.

 La descente était vertigineuse. Leur itinéraire suivait le cours de la Namorona. En d'impressionnantes chutes, pulvérisant une incroyable poussière d'eau, le torrent se précipitait de la falaise comme se jette dans la course un quadrige effréné (6). Très loin à l'horizon, impalpable, indécis, se dessinait l'arc scintillant du littoral. Il eût suffi d'un faux pas pour se retrouver cent mètre plus bas. Pour éviter l'accident, Vero guidait le coopérant avec beaucoup de maîtrise. S'il se fût produit quelque chose, en cet endroit, nul ne les eût secouru. Le soleil n'était pas encore à son zénith que les jeunes gens se retrouvèrent au coeur du « champ de neige » tant espéré: les caféiers en fleurs, aux pétales nacrés. Ah, qui dira le charme quasi magique de ces plantations, leur odeur entêtante? Elles appartenaient à un créole, joliment nommé Papillon. Le statut de cet ancien colon jouait les prolongations dix ans après l'indépendance de l'Île. Mais de tout cela, Jeannot n'avait cure. Ses papillons à lui étaient autant de corolles d'un blanc candide, à l'image du coeur de Vero.

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 Ils prirent leur collation à l'ombre d'un banyan, sorte de figuier exotique dont les racines tracent sur le sol d'étranges  entrelacs. Vero protégeait son visage, craignant par dessus tout la morsure du soleil sur sa peau. Elle se prémunissait contre le hâle par tous les moyens possibles:
  - Je ne comprends pas les femmes Vazaha, confessa-t-elle. Elles cherchent à bronzer à tout prix. Moi, si je m'expose un tant soit peu, ma peau fonce et je deviens laide comme une fille de la Côte. C'est dire!
  - Mais non, tu n'es pas laide, Vero!
Ce disant, il taquinait la  joue de sa compagne avec un brin d'herbe. Elle risqua:
  - Est-ce que tu me trouves aussi belle que ton amie sur la photo?


Jeannot n'avait pas vraiment envie de répondre, il contourna l'obstacle:
  - Elle, c'est elle et toi, c'est toi. Reste comme je t'ai rencontrée: simplement délicieuse!
La jeune fille eut un sourire imperceptible et parla d'autre chose: 
  - Je n'ai pas très bien compris ce qui s'est passé dans ton pays, au printemps dernier, Vazaha. On m'a dit que tout s'est arrêté pendant deux mois... S'il te plaît, raconte-moi tout....!
  - Il n'y a rien à t'expliquer. C'était la grève générale en France, ni plus ni moins.
  - Qu'est-ce qu'ils voulaient au juste, les étudiants?
  - Difficile à dire.
« Les Français s'ennuyaient. La jeunesse s'ennuyait. » (7) Que veux-tu? Nous les jeunes avions cru pouvoir changer le monde!
  - Tu crois réellement que le monde a changé depuis ce mois de mai?
  - Je l'ai cru, maintenant j'ai comme un doute. Bien sûr, je ne sais pas grand chose de ce qui s epasse en France, sauf par les lettres que je reçois de chez moi. Aux dernières nouvelles, les choses seraient, comme on dit, rentrées dans l'ordre.
  - Alors, ce n'était pas la peine de faire la révolution!
- Je crois surtout que c'est l'effet de cette grève interminable. Elle a fini par lasser tout le monde.

  - Dans mon pays, ça ne se passe pas comme dans le tien: des choses pareilles sont impensables. Celui qui a la chance d'avoir un travail le garde. Trop heureux de gagner sa vie! Car s'il s'arrête de travailler, il n'a plus à manger. Comment fait-on pour manger sans travailler en France?
- Ce serait un peu long à t'expliquer. Tu soulèves beaucoup de questions sans réponse, Vero! Au fond, tu as raison, il n'y a que l'amour de vrai!

 Ce disant, elle sentit qu'il cherchait à l'embrasser. Avec un geste plein de douceur, elle se déroba à son étreinte.
  - Dieu! s'exclama-t-elle. Voici qu'il est déjà trois heures. Le soleil commence à décliner. Il faut absolument prendre le chemin du retour, si nous voulons arriver avant la nuit.

 Les jeunes gens ramassèrent leurs affaires et se mirent en route aussitôt. Vero pressa le pas. Son compagnon, moins coutumier qu'elle des  sentiers escarpés, avait du mal à la suivre. Quand on fut en lisière de la forêt, il dut progresser plié en deux, pour protéger son visage des branches d'arbres. Vero, plus menue, se faufilait comme un lézard sous les frondaisons.

 Sans doute était-elle allée trop vite, à moins que la pénombre n'eût gagné ce versant plus tôt qu'elle ne pensait. Elle s'arrêta brusquement, rougit et avoua à son compagnon:
  - J'ai peur que nous ne soyons pas sur le bon chemin.  Je ne trouve plus mes repères...
  - Ne t'affole pas Vero, surtout  restons ensemble
[il prit sa main, elle ne la retira pas]. Je dois bien avoir une lampe de poche sur moi.

 Il en avait bien une, mais elle ne fonctionnait pas. La pile était morte, ou l'ampoule grillée. La tuile! Il faisait à présent nuit noire. Heureusement, le ciel était clair, cela fourmillait d'étoiles.
  - Pour revenir au village, il faut avoir constamment la Croix du sud en face de nous, observa la jeune fille. Cette constellation seule peut guider nos pas.

Ils poursuivirent silencieux leur chemin pendant une heure encore.
  - C'est drôle, fit soudain Jeannot. J'ai l'impression de sentir une odeur d'oeufs pourris.
  - La source chaude! Nous sommes sauvés! s'exclama-telle joyeusement.

Une clarté phosphorescente émanait de la vasque, qu'ils n'eurent pas de mal à rejoindre. Ce site, à l'écart des habitations, devenait leur refuge, l'asile espéré. Banal à la lumière du jour, il prenait au coeur de la nuit un aspect fantastique avec la vapeur qui s'en échappait, parmi force émanations d'hydrogène sulfuré.
  A présent rassuré quant à l'heureuse issue de leur escapade, Trouvetout réalisa qu'ayant dû marcher des heures durant dans une position inconfortable, il souffrait terriblement du dos.

  -
Ce n'est rien, fit-elle. L'eau-qui-guérit va calmer tes douleurs. Suis-moi!

ALOALO

Vero se défit prestement de ses vêtements, invitant le jeune homme à faire de même. Ils barbotaient à présent dans la vasque, nus comme au premier jour du monde.

  - Décontracte-toi, Vazaha, je vais à présent te masser.
Les doigts agiles de la ramatoa parcoururent, en les frôlant à peine, la nuque et le dos de son compagnon. C'était à croire qu'un fluide circulait le long de ses vertèbres. Il ressentit un extraordinaire bien être: le nirvâna, quoi! Elle conclut:
  - Vois, tu n'as pas besoin de
« fanafody ».  Demain, il n'y paraîtra plus.
  - Vero, tu as des doigts de fée. Tes caresses ont été pour moi le meilleur
« fanafody » qui soit!
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 Le lendemain de Noël, l'existence reprit comme avant, comme si rien n'était. Vero s'était refermée dans son mutisme. Elle accomplissait les tâches qu'elle avait prévues, puis: « Veloma! », s'en allait sans un regard pour le jeune homme. De la folle journée qu'ils avaient vécue ensemble, il semblait ne rester nul souvenir, nulle trace. Au moins en apparence.
 
« Décidément, pensait Trouvetout, les Malgaches sont indéchiffrables. Je ne comprendrai jamais rien aux gens de ce pays. »
Ce qu'il prenait pour de l'indifférence était une forme de pudeur. Elle masquait l'intimité vraie qui s'était tissée entre eux au fil des jours, une intimité faite de non-dit, de choses tues et sues.

    Au demeurant, le coopérant n'eut guère le temps de se pencher sur lui-même, car les travaux de son barrage reprirent sitôt après les Fêtes.
    
Les « manafo » y allaient de bon coeur, ils chantaient à pleine voix, transportant en cadence les sacs d'argile. Comme on dit: ils ne faisaient pas semblant. Un rouleau de pierre improvisé, tiré par deux boeufs, tassait tant bien que mal, et plutôt mal que bien, les couches d'argile successives. Cela tiendrait comme ça pourrait!
Sur tous les chantiers du monde, les plus importants comme les plus modestes, la solidarité naît du travail et du pain partagé. Dans le cas d'espèce, il eût fallu parler de riz et de brèdes!

En février, le Chef du Service provincial des Eaux et Forêts vint en personne inspecter le chantier. C'était un événement sans précédent, les caciques locaux ayant fort peu de propension à se déplacer en brousse.
  - Bon travail, Monsieur le Coopérant, fit-il d'un ton satisfait (surtout de lui-même). Je vois que le barrage avance.

  - Si tout se passe bien, les travaux seront sans doute finis pour Pâques, répondit modestement Trouvetout.
  - Mettons plutôt la Trinité, rectifia le Conservateur. Vous verrez, la garniture des parements prend du temps. Plus en général que l'édification du corps de digue. L'ouvrage n'est pas à l'abri des intempéries. Elles peuvent causer des interruptions de chantier, comme des dommage  irréparables. Vous  ne connaissez pas les aléas climatiques de cette région!

  - Pas vraiment, je l'avoue, bien que je commence à m'y faire.... j'ai pris de la marge dans la conception du chenal.
          
[L'évacuateur de crues était d'une taille impressionnante, il eût permis d'écouler l'Amazone!
  -
Sûr que vous n'avez pas molli sur le béton! ricana l'autre. Nous verrons bien si tout cela résiste à la première crue de la Namorona! On ne prend jamais assez de précautions, jeune homme!

  - C'est aussi mon avis: d'ailleurs, vous savez bien que je pense toujours comme vous, Chef! conclut prudemment Trouvetout.
  - A la bonne heure! Au moins, je vois que j'ai affaire à quelqu'un qui veut de l'avancement! Eh bien, vous l'aurez votre promotion, jeune homme! Une fois le barrage inauguré, je vous invite à rejoindre le Service provincial à Fianar. Vous aurez la responsabilité de la commercialisation des éclaircies résineuses sans débouché.

  - On finira bien par trouver une destination à ces bois. A vos ordres, Monsieur le Conservateur!

[La perspective d'être bientôt séparé de Vero ne l'enchantait pas vraiment!]
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Le courrier de France arrivait tous les quinze jours au port de Tamatave par bateau. Il fallait une semaine de plus, bon poids, pour qu'une lettre parvînt à Rano mafana, via la Poste centrale de Fianarantsoa. C'est dire que les nouvelles n'étaient déjà plus très fraîches quand le facteur portait ladite lettre à son destinataire.
Pourtant, c'est avec une certaine anxiété que Vero guettait son passage. Le « jour du courrier » elle examinait discrètement la suscription des enveloppes avant que Jean les eût décachetées. Non qu'elle cherchât le moins du monde à lire, encore moins à détourner, un pli qui ne lui était pas destiné. Mais elle redoutait, non sans raison, la venue imminente d'une information qui pût « faire du mal » à son vazaha.
Ce devait être le cas ce jour-là, car le visage décomposé du jeune homme en train d'ouvrir son courrier lui serra le coeur.

  - Aurais-tu de fâcheuses nouvelles de chez-toi? lui demanda-t-elle, d'un ton qui se voulait neutre.
  - Oui et non. Comme tu  vois, c'est une lettre de ma soeur.
Il y eut un silence. Vero brûlait d'en savoir plus, mais ne voulut pas paraître trop curieuse.
  - Oh, rien de grave, reprit-il avec une expression qui déniait son propos rassurant. Martine (ma soeur) me demande comment ça se passe ici. Je lui réponds comme toujours : « Très bien, à ça près qu'il me faut lutter contre le cafard»... Au double sens du mot, d'ailleurs.

  - Explique-toi mieux...

 Il hésita. Que lui dire? Après tout,  il n'avait que cette fille à qui se confier.
  - Il y a un
post scriptum. Je te le lis tel quel, Vero. C'est plus simple, et puis après tu ne me poseras plus de questions: « Jeannot, je prends un gros risque en ce faisant, mais je choisis de tout te dire.... Surtout, ne cherche pas à revoir Nathalie à ton retour. A ce qu'on m'a dit, elle est partie en voyage au Maroc avec un médecin. Un homme marié, trente cinq ans, avec trois enfants à charge. En instance de divorce, prétend-il, mais sa femme ne sait rien. Crois-moi, Jeannot, ne t'obstine pas  pas à fréquenter cette fille, elle n'est pas faite pour toi [facile à dire, pensa-t-il!]. A ce propos, j'ai une nouvelle copine, Stéphanie, qui brûle de faire ta connaissance. Steph' est une fille super-sympa! Elle patientera jusqu'à ton retour. Je suis sûre d'avance qu'elle te plaira.... Avec elle au moins, tu ne risques pas de connaître les mêmes déboires (elle avait rayé ce mot puis écrit: « déceptions ») qu'avec Nathalie.""

 Nouveau silence. Jeannot fulmina:
  - Tu te rends compte, Vero,  Nath' s'envoie en l'air avec un vieux chnoque de trente cinq ans, un type même pas libre!

  - Calme-toi, Vazaha. Pense aussi aux autres, de temps en temps. Je n'existe donc pas pour toi?

Cette phrase lui avait échappé. Il fit comme s'il ne l'avait pas entendue et reprit:
  - A trente cinq berges, c'est une honte que ce mec coure encore la Zézette. Qui plus est, qu'il se paye ma copine. Il n'a qu'à se flinguer, ou bien fréquenter un atelier d'écriture! Je ne vois rien de mieux à faire à cet âge avancé
  - Mais Vazaha, c'est la vie, tout simplement!

 Spontanément, sans qu'il eût rien demandé, ni qu'il s'y attendît, elle se jeta à son cou et l'embrassa de toutes ses forces.

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Ce même jour Frère Hubert montrait une expression soucieuse. C'est avec un air fort embarrassé qu'il vint rendre visite à son ami coopérant.
  - Ce n'est pas pour t'embêter, fit-il, mais il y des choses qu'il faut que je te dise, Jeannot.

  - Quoi donc?
  - Je ne veux pas savoir où tu en es avec Véro, elle sait ce qu'elle fait; c'est une fille comme ça! D'ailleurs, c'est parce que je l'apprécie que je te l'avais recommandée. A  juste titre: je ne le regrette pas. Mais enfin, votre.... relation commence à faire du bruit dans Landernau. Par exemple: cette équipée à Fort-Carnot, le jour de Noël, tout le village en parle! C'est devenu comme une chanson de geste, chaque conteur reprend  l'épisode à son compte, ajoutant  force détails...
  - De quoi se mêle-t-on? fit l'autre avec humeur.

  - Ecoute, petit! Fourre-toi bien dans la tête, une fois pour toutes, qu'ici tu n'es pas en France, mais à Madagascar. Un pays dont apparemment tu ignores encore les codes et les coutumes.
  - Pardonne-moi, Frère Hubert, si j'ai mal agi....
- Nous ne sommes pas à confesse et tu n'as pas à t'excuser. Je pourrais te sortir
une pieuse formule, du genre: « l'esprit est ardent, mais la chair est faible ». Mais sermonner les gens n'est pas dans ma culture, et puis cela ne sert à rien, tu gères ta vie comme tu veux. Jeannot, j'ai été jeune, moi aussi.... Je sais ce que c'est.
  - Dont acte. Au fait, qu'es-tu venu me demander?
- Avant tout, de ne plus t'afficher avec ta ramatoa, c'est très mal vu. De tenir ton rang. Les gens d'ici nous considèrent encore. C'est plaisant pour l'amour-propre, mais comporte aussi des devoirs. Toi et moi sommes un peu, chacun à sa manière, des ambassadeurs de notre pays, nous portons en quelque sorte l'image de la France à Rano mafana.
  - Ne t'inquiète pas. Ta protégée est irréprochable. Je prends tout ce qui se dit à mon compte. D'ailleurs, Vero ne m'est rien.
   Hubert fut surpris de cette dérobade: il ne s'attendait pas à cela. Jeannot se mordit les lèvres. Naguère Nath' l'avait titillé grave sur le point de savoir s'il se classait de préférence dans le camp des "salauds" ou celui des "lâches" (au sens sartrien, s'entend). Sur le moment, il n'avait pas apprécié cette question. Maintenant, il comprenait mieux le point de vue de son "ex". Ce qu'il venait de dire le plaçait dans les deux catégories à la fois... un comble!

Hubert ne pratiqauit pas Sartre, mais il avait du coeur. Il gronda gentiment son ami:
  - Là, tu me déçois! Si Vero t'entendait, elle serait très chagrinée...! Enfin, ce n'est pas là que je voulais en venir. Elle doit partir à Tana fin mai. Te l'a-t-elle dit, seulement?

  - Du tout. C'est à cause de moi qu'elle part?
  - Non, tu te donnes trop d'importance, petit. Vero va soutenir ses parents.  Je ne sais si c'est utile, cela va au moins leur redonner courage. Leur « procès » - je crains que ce ne soit une parodie de justice - commence en juin, l'avocat commis d'office a besoin des proches et souhaite sa présence au tribunal. On est procédurier dans ce pays, ajouta-t-il pensif. Qui sait combien de temps cela va durer? Deux mois? Deux ans?
  - Que vais-je faire sans elle?
  - Allons! Cesse de tout ramener à ton point de vue. Il n'y a pas de problème pour te trouver une nouvelle
ramatoa. J'ai déjà une candidate sur les rangs. Quarante cinq ans – j'imagine que c'est une antiquité pour toi – plus une palanquée de « zazakely » , elle fait réciter le catéchisme à la Mission.
  - Assez peu pour moi! Bon, là, c'est un scoop: après l'inauguration du barrage, je m'en vais aussi. Il
est prévu que je m'installe à Fianarantsoa, pour remplir une autre mission. Je n'aurai donc besoin de personne ici. Merci quand même de ton offre!
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 Le beau temps se prolongeant, les travaux du barrage s'achevèrent début mai. Déjà, l'on pouvait raisonnablement envisager l'inauguration de l'ouvrage dans un avenir proche. L'aspect protocolaire des choses avait été méticuleusement examiné. Il fallait bien entendu convier toute la population du village et des environs, à commencer par les « Ray aman dreny », les notables, le ban et l'arrière-ban des forestiers locaux et l'on commençait même à envisager sérieusement la présence du Chef de Province en personne à cette manifestation....

 Aussi personne ne voulut-il croire en cette veille d'Ascension au bulletin catastrophique du service de prévisions météorologiques de Tananarive. Il fut très vite retransmis et amplifié par la Conservation des Eaux et Forêtsr. La dépêche suivante parvint à Jean Trouvetout en début d'après-midi: « Festivités ajournées. Stop. Cyclone force 7 annoncé dans la nuit. Stop. Prière suspendre travaux et mettre d'urgence chantier en protection. Stop. Prévenir les populations. Eviter tout déplacement non indispensable. Stop. »

A franchement parler, Trouvetout n'avait pas la moindre idée de ce qu'est un cyclone sous les Tropiques. Ni surtout des dégâts qu'ils causent. Force sept, sur une échelle qui en compte dix, c'est un paroxysme. Cela signifie que les vents dépassent deux cent kilomètres par heure et détruisent tout sur leur passage: les ponts, les arbres, les toitures, et tout le tremblement.

Frère Hubert, un « vieux de la vieille » qui en avait pourtant vu d'autres, ne manquait pas de prendre les dernières nouvelles. Il allumait la radio toutes les heures. Il mit en garde le coopérant:
  - Méfie-toi, petit. Regarde le ciel: en un rien de temps, il est devenu noir comme de l'encre. Sûr que nous allons écoper un sacré coup de tabac!
  - Qu'est-ce qu'on peut faire?
  - Rien. Attendre. Ne prendre aucun risque. Que chacun se réfugie dans sa case et prie le Seigneur

Jeannot rentra chez lui sans attendre. Il trouva sa ramatoa en train de repasser son linge et voulut la congédier.
  - Le pli du pantalon peut attendre, Vero, le cyclone arrive! Dépêche-toi de te mettre à l'abri!

Elle répondit avec une émotion qu'il ne soupçonnait pas:
- Non. Je ne veux pas te quitter, Vazaha. Du moins, pas en ce moment. Tu es en grand danger. Jusqu'à présent, j'ai si peu compté pour toi! Maintenant, tu vas avoir vraiment besoin de moi!

Elle occulta soigneusement les portes et fenêtres. Bourrant d'étoupe les interstices, elle calfeutra les volets du mieux qu'elle put, s'assura qu'il y avait dans les placards quelques vivres et une bonne provision de chandelles. Puis elle sourit au jeune homme.
  - N'aie pas peur: ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Nous l'affronterons ensemble!

 La tornade arrivait sur eux. Les éléments se déchaînèrent brusquement. A quoi ressemble le coeur d'un cyclone? Ceux qui, à un moment quelconque de leur existence, en ont vu passer un, décrivent avec effroi, s'ils sont encore là pour en parler, une nuée sombre parcourue d'éclairs, tourbillonnant comme une vrille. On se pouvait se croire à la fin des temps. Au dehors, le tonnerre éclatait, fracassant. Les murs de la case vibraient. Une pluie diluvienne déferla.

Après un épisode de chaleur étouffante, la pièce se refroidit brutalement. Prévenante, Vero enroula Jean dans son « lamba ». Ils se blottirent l'un contre l'autre. Entre les bras de cette fille bien vivante, au contact de sa présence tiède, le jeune homme n'éprouvait nulle appréhension. Une sensation de bonheur, de complet relâchement, l'envahit. Un lien très fort existait en lui-même et Vero, un sentiment d'une intensité qu'il ne soupçonnait pas. Quelque chose qui le dépassait. Il ressentait une plénitude qu'il n'eût pas imaginée avant ce cataclysme. Frêle esquif au coeur de la tempête, il se laissa doucement submerger par la houle de ses reins. Le monde pouvait bien s'écrouler, puisqu'ils étaient là tous deux. L'union de leurs deux corps défiait le destin.

Hélas, rien ne pouvait enrayer ce terrible processus de destruction qui venait de se mettre en route.
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Le lendemain matin, Jeannnot se réveilla fort tard. Le vent avait faibli. La pluie avait cessé de battre les fenêtres, un soleil éclatant filtrait même à travers leurs persiennes closes.

 Le cyclone était passé, mais dehors (il n'avait encore rien vu...) ce devait être un joli désastre! Son barrage? N'en parlons pas, on n'aurait plus qu'à le refaire. Et il y aurait plus urgent que ça: les cases, les pistes et tout le reste. Les gens qui n'ont rien sont résignés au pire....

 Ouvrant les yeux, c'est seulement alors que le jeune homme s'aperçut qu'il était seul. Vero avait disparu. Le jeune homme se demanda même s'il n'avait pas rêvé sa présence durant la tempête.  Elle était partie sans laisser trace de son passage.

Et pourtant si. Sur le bureau du coopérant, parmi les dossiers en pagaille, à l'endroit même où la jeune fille avait mis au tout début de leur rencontre un bouquet de fleurs des champs, un mouchoir était posé. Le sien. Un petit carré de coton, brodé d'une fleur de poinsettia: l'étoile de Noël.

 Près du mouchoir, il y avait un message plié. L'écriture était gauche. Jean lut avec émotion ces quelques mots, griffonnés à la hâte:

« Mon Vazaha chéri,
Ici, n
os chemins se séparent. Je pars sans laisser d'adresse, ne cherche pas à me revoir. Tu as la vie devant toi. Ne m'en veux pas; ne me chasse pas de ton souvenir. Ce n'est pas parce que je suis éloignée de tes yeux que je dois être absente de ton coeur. »  (8) - Vero.
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ORLY, début de l'année 1970.

 « Ce n'est qu'un au revoir mes frères... »

 Quelques mois après le passage à Madagascar du cyclone Dany, le coopérants de la province de Fianarantsoa, se retrouvèrent pour un pot d'adieu au bar de l'aéroport, heureux de revoir leur famille la terre natale, mais le coeur serré du fait des évènements qu'ils avaient traversés. Même s'ils l'évoquaient en plaisantant, le cataclysme n'avait laissé indemne aucun d'entre eux....
   
A présent, le dépaysement jouait en sens inverse. Absents de chez eux depuis quinze mois (en fait, un peu moins longtemps que prévu - ils avait bloqué la totalité de leurs permissions sur la fin du séjour), ils avaient perdu leurs repères, au point d'avoir l'impression de fouler un sol étranger. Tant de choses s'étaient passées entre temps!
  - Ce n'est pas tout ça, on ne va pas se laisser abattre! commença Marie-Bernard.

    - Et si on s'en mettait un derrière la cravate? suggéra François.
  - Un quoi? Un double Scotch?
- A ce que je vois, il va te falloir une sérieuse cure de désintoxication! Eh bien, rien que pour te faire enrager, je commande une limonade. Elle nous montera moins à la tête que le "juis de fruits marcheur" de Jacques.
- Moi, je commande sans complexe un  "typhon des îles": il arrache tout sur son passage!
- Excusez-moi, les copains, ça ne me fait pas rire! intervint Trouvetout. J'étais aux premières loges pour "Dany". Pensez à ceux qui ont tout perdu!
  - Tout ça, c'est du passé, mon vieux! Nous sommes revenus en France. Vis enfin au présent.
- Peut-être que tu regrettes ta "ramatoa" hasarda Glouff en toussotant.
- Je te défends de parler de ça. Ce sont mes affaires. Tu n'as pas le droit de t'en mêler!
- Bon ça va. On se calme. En plus, le patron allume la télé. Bouclez-là, nous allons savoir enfin ce qui se passe ici!

    C'est drôle, ces étranges lucarnes! Ils avaient fini jusqu'à oublier l'existence de la télé. En brousse, il n'y en a pas, on n'en éprouve pas le besoin; au fond, c'est aussi bien pour les conversations. Mais maintenant qu'ils étaientt attablés face au petit écran, la tévision leur semblait un accessoire indispensable. Un lien avec le reste du monde. Tous étaient captivéss par l'émission en cours, une médiocre rétrospective de 1969.
  - Nous allons faire en quelque sorte le "film de l'année", susurrait la voix du présentateur à l'écran (un petit nouveau qu'aucun de ces exilés ne reconnaissait). Le jeu consiste à demander à des hommes politiques, des artistes, des vedettes, de nous raconter ce qu'ils ont vécu, ce qu'ils retiennent de l'année 1969.

   Les images défilèrent. Elles évoquaient fâcjheusement la "remise" en ordre du pays après les "évènements" de l'année précédente, le triomphe de la droite aux élections législatives, Georges Pompidou "mis en réserve de la République", suivi de Couve de Murville (qu'est-ce qu'il couve, celui-là ?), du référendum perdu, de la démission du Général suivie de l'élection d'un nouveau président pas si nouveau que ça....etc...etc... et puis tiens! on avait failli l'oublier: Noëlle Noblecourt licenciée de l'O.R.T.F. pour avoir montré ses genoux dans une émission télévisée.
    - Décidément, la mode taille moins court, cette année! commenta Marie-Bernard. A l'image d'une vie politique qui n'a rien de très excitant. On a l'impression qu'une chape de plomb s'est abattue sur le pays. Je me souviens qu'on s'amusait plus en 68.
- Vise plutôt le premier homme sur la Lune! Hallucinant!
Le petit écran montrait maintenant Neill Armstrong engoncé dans sa combinaison spatiale.
- Il ressemble au "bibendum" de la pube Michelin.
- Je lui trouve l'air c... comme la Lune. Oui, c'est long comme lacune!
" Après la politique et la Science, voyons un peu ce qui s'est passé dans le monde du spectacle!" poursuivait imperturbable le présentateur de la télé. Il se touna vers son invitée du jour: "Par exemple, vous, Jane Birkin, comment avez vous vécu l'année écoulée?"
- Celle-là, on pourrait l'acheter au mètre quand les hommes politiques se vendent au poids! rigola François.
Il faisait une fine allusion à la silhouette longiligne de la chanteuse. Celle-ci s'exécuta avec un sourire qui découvrait son éclatante dentition. Elle n'avait pas non plus laissé au vestiaire son fort accent anglais:
- "Soixante neuf, l'année érrrrrotique..." commença-t-elle.                                                                                  

 Elle roulait et mouillait les « r » tout à la fois comme roucoule un pigeon.

 

Notes et commentaires:

RANOMAFANA

  •  Les évènements décrits dans cette nouvelle sont authentiques, à commencer par le cyclone Dany, dont la désignation n'a rien à voir avec le héros de mai 68 dit: « Dany le Rouge ». Les lieux et les personnages sont réels, bien que certains noms aient été volontairement changés. Pour ce qui concerne la Grande Île, présentée ici dix ans après son indépendance, il est fait référence à un contexte politique précis: celui de la fin de la présidence Tsiranana, auquel devait succéder par la suite un régime communiste dur. Le vieux président, d'origine côtière, s'affrontait avec les « Merina », gens du plateau, et l'aristocratie des « andrainy ». dont faisait partie la famille de Vero.
    1.     Outre de nombreux coopérants, d'anciens colons ou Créoles (Français nés Outre-mer) étaient encore présents à Madagascar à cette époque.
    2. Ces deux localités existent bien, mais n'occupent pas exactement la situation indiquée.
    3. Jean Trouvetout est un proche parent du « Robidou » de la « trilogie du Pont du Diable ». Voir ces nouvelles sur le « blog ».
    4. Les Jésuites, à l'époque très considérés dans l'ïle, racontent de bonnes histoires sur eux-mêmes (mais n'apprécient pas que d'autres s'en chargent).
    5. Il s'agit bien sûr de « Cosi fan tutte ».
    6. L'archevêque de Tananarive venait d'être fait cardinal par Paul VI.
    7. Ces chutes sont accessibles par la route de Mananjary.
    8. P. Viansson-Ponté.
    9. Prière de saint Augustin. 

    Lexique:

        Les termes malgaches employés dans le texte étaient compris et pratiqués par la communauté européenne présente à l'époque dans la Grande Île. L'auteur ne les a pas mis là par souci d'exotisme, mais pour retrouver la magie et la fluidité d'une langue très riche, à condition d'être correctement prononcée. Les dernières syllabes des mots sont généralement éludées. Par exemple Andriavahiny se prononce « Andrivaïnn ». Le lecteur trouvera ci-après un glossaire des noms propres et communs figurant par ordre alphabétique avec la restitution des sons.

    Ampamaherana (Ampamaherne):  station pilote de reboisement et de pisciculture.

    andraina (anndrinn'

    andraina (andrinn'): membre de la caste dirigeante

    angady (anngad'): bêche à long manche.

    fanafody (fanafoud'): médicament.

    Fianarantsoa (Fianarantsou, en abrégé Fianar'): chef lieu de la province.

    joma (zouma): vendredi, par extension le marché (qui a lieu le vendredi).

    kabary (kabar'): discours.

    lamba (lammbe): vêtement enveloppant, sorte de toge.

    manafo (m'nafou): jeune homme, garçon.

    miloloha (miloulouh'): action de porter un fardeau sur la tête.

    Namorona (Namourne): fleuve côtier se jetant dans l'Océan indien.

    ramatoa (ramatou): jeune fille, servante.

    Rano Mafana (Rann' Mafann'): « eau chaude ». Station thermale.

    rano mahasina (rann ' machinn '): « eau salée » = la mer.

    ray aman dreny (raï amann' drenn'): litt. les « pères et mères » = conseil des Anciens.

    romazava (roumazaf'): sorte de ragoût accompagné d eriz.

    vao-vao (vôvô): nouveau.

    vazaha (vaza): le Blanc, l'Européen.

    zaza kely (zaza kel'): littéralement, enfants petits.

    ZAFIMANIRY

     











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