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30 mai 2010

Germanor 5 : "La Cicade..." par jean-Claude boyrie

15_03

La « Cicade » est de retour.

 

 La fée Informatique est passée là, la citrouille est devenue carrosse. En cinq ans, la modeste bibliothèque municipale de Laroque s'est changée en une Médiathèque ultramoderne.

 « En matière de lecture publique, comme pour tout, il faut vivre avec son temps. Pour autant, me confie Magali, il ne faut pas perdre de vue l'essentiel : le contact humain. Le passage du support papier au numérique est, j'en conviens, un progrès spectaculaire, mais ce serait cher payer que d'ôter la relation du personnel au public.
Chacun doit se sentir à l'aise ici, trouver ce qu'il cherche comme s'il était chez lui.
  - Tu veux dire que la Médiathèque doit  participer à la vie et l'animation du village ?
  - Certes. Nous y parvenons au moyens d'expositions, de petits spectacles et de soirées contes....
  - Donc, si j'ai bien compris, ce concours de dessins d'enfants...
  - ... Pour lequel tu es mise à contribution, fait partie de programme. Nous t'avons désignée d'office en tant que membre du jury. Jette un coup d'oeil sur les oeuvres exposées au mur. Cela va du simple barbouillage à des compositions plus recherchées. Surtout quand on pense que certains de ces artistes en herbe ont à peine l'âge de ton fils....
  - On dirait que le thème des Schtroumps les a bien inspirés.
  - Les Schtroumpfs s'appellent ici les
Barroufets, occitanisme oblige. Ces minuscules bonshommes que tu vois ici représentés sortent de l'univers de la bande dessinée, revisité par l'imaginaire collectif de nos enfants. Nos garrigues sont surpeuplées de telles créatures.
  - Il y a ce qu'il faut  pour les nourrir : la salsepareille abonde en sous-bois.

BAROUFFETS

  - Oui, mais ce n'est pas toute l'explication. Le mois dernier, notre village a fait l'objet d'un arrivage massif d'extra-terrestres.
  -
Tu veux parler des soucoupes volantes qu'on aurait aperçues dans le ciel des Corbières ?

  •  

  - Oui. Tu es au courant ?
  -
Forcément. Le « Réveil » en a parlé dans sa rubrique locale. Une hallucination collective, je suppose... Ou bien, sait-on jamais, une pluie de météorites.
  - Ces O.V.N.I. - appelons-les comme ça faute d'un meilleur terme - ont répandu dans les jardins de nos concitoyens une fine couche de poussière. Des écoliers ont eu l'idée de la récolter, ils ont mis à germer sur ces graines du coton humide. Ô surprise ! Une génération de Barroufets en est issue. Voilà pourquoi tu trouves représentés sur ces dessins tant de petits lutins à la mine réjouie et aux bonnets pointus. Turlututu !
  - C'est une bien belle histoire !
  - L
es Barouffets n'intéressent pas que les enfants ! Figure-toi que ces créatures de l'extrême ailleurs se sont donné pour mission de tirer le village de la crise. Ce qu'il en est dans la réalité, je te laisse le soin de le découvrir sur le terrain, nous aurons le temps d'en reparler.
  - Ce sera volontiers. Vu l'heure - il est déjà midi - je te propose de poursuivre la conversation au mas de l'ostréiculteur.
........................................................................................................................................................................................

 « Tu penses à lui, n'est-ce pas ? »

 Difficile de soutenir le contraire. Lui, c'est Pierre. Qui d'autre ? Ce que Magali ne sait pas, c'est que nous sommes attablées à la place où nous prîmes notre premier repas ensemble, il y a cinq ans presque. Nous parlions alors de tout et de rien, de la sexualité des mollusques et de la fin'amor. 

 À la saison présente, les huîtres sont moins salées qu'en été, plus grasses, plus laiteuses aussi. Servies avec une tranche de pain bis et du beurre frais, leur goût de noisettes n'en ressort que mieux.

 Nous sommes aujourd'hui les seules clientes du « mas », rien de plus normal pour un lundi. Mais il y a cet avantage : le patron nous choie. « C'est ma tournée ! » fait-il, en nous servant un verre de « Clos des Barroufets » (encore eux !). C'est un blanc sec du village, au bouquet très aromatique. Un peu traître, lorsqu'on le boit à jeun, mais qui accompagne admirablement les fruits de mer. Là, je ne parle pas seulement des huîtres.  Magali qui veut s'offrir un extra a commandé en douce une douzaine de d'oursins de l'étang, friandise rare et coûteuse s'il en est. La pêche ces bestioles est archi-réglementés. On touche à la fin de la saison des oursins, on l'a peut-être même dépassée, heureusement il y a des arrangements avec le bon Dieu.

 Armé de gants épais, le patron découpe sous nos yeux les coques violacées hérissées de piquants. Un exercice épineux que je déconseille aux non-initiés. Sous la rude écorce de l'oursin se cache un coeur d'or. Nous détachons à la pointe du couteau ces petites étoiles de corail au goût d'iode si fort.

 C'était à prévoir. Dès les premières gorgées, le « Clos des Barroufets » me monte à la tête.

 Petite précision : la terrasse de notre paillotte ouvre à l'est. Je laisse mon regard errer sur la grève aujourd'hui déserte, qui s'incurve doucement en direction de Cap Tramontane.

 On parle souvent de « la mémoire des lieux ». On ne dit pas assez combien les lieux, certains du moins,  peuvent garder la mémoire d'un être cher. S'il est un endroit où Pierre est présent, c'est bien ce coin de plage qu'il arpentait inlassablement. Je le connais par coeur moi aussi, jusqu'au moindre galet. Depuis que je suis partie, le bruit du ressac n'a pas changé. Il murmure quelque chose à mon oreille, qui ressemble à un reproche. Une simple question, mais lancinante : « Pourquoi m'as-tu quitté ? »

 Magali devine mes pensées :

 « Il ne faut pas te culpabiliser Rose. Tu n'as aucun remords à avoir. Tu n'as pas délibérément laissé tomber ton ami, ça je me refuse à le croire. Tu avais ton travail de journaliste qui t'attendait, une mission qui t'appelait à l'étranger. Il devait l'accepter. Tôt ou tard tu serais revenue.
  - Il n'y a pas cru. Il ne m'a pas crue.

 Elle soupire :
  - Pierre t'aimait, tu sais. Je crois plutôt qu'il a péché par  manque de confiance.
  - Tu penses qu'il n'avait pas confiance en moi ?
  - Il n'avait surtout pas confiance en lui-même, et c'est bien là son drame. Pierre était quelqu'un qui n'acceptait pas sa propre image, il refusait de vieillir.
  - Tu crois au geste volontaire ?
  - Le rapport de gendarmerie conclut à l'accident. J'en reste là. Point barre.
  - Je ne te demande pas de reprendre la thèse officielle, mais de me dire ce que toi tu en penses.
  - Que veux-tu que j'en pense ? Pierre ne me faisait aucune confidence particulière. Il n'a pas non plus laissé d'écrit. Juste quelques poèmes, de style néo-troubadouresque.
  - Il m'en a lu quelques-uns.... Malheureusement, je n'y comprends pas grand chose. On y trouve des expressions du genre :
« l'abîme éternel où jouissance me jette » et « l'abrupte joie que la chute éternise », voilà qui peut se lire au premier comme aux second ou troisième niveaux. (*)
  - Pierre était un fondu du
« trobar clus », la poésie hermétique, qui ne l'est d'ailleurs pas tant que ça.. Qui s'en donne la peine peut en trouver les clés. Du moins deviner certaines d'entre elles. Ici, le poète ne fait aucune différence entre le présent et l'au-delà. La falaise éblouissante évoque à ses yeux un idéal inaccessible. C'est une lumière qui l'aveugle, elle lui renvoie son propre reflet en même temps que l'image de celle qu'il aime : la dame qui rayonne et irradie. Le blanc est la couleur de la vieillesse, du deuil. Celle du passage de la vie à la mort. Et quand la mort arrive enfin, elle prend pour le poète le visage de sa « dona ». Tu me suis toujours ?
  - Plus ou moins...
  - Prends le temps d'observer. Certaines évidences se révèlent parfois à nous d'elle-mêmes.

  [ J'étais venue à Laroque pour un simple reportage sur la vie des gens et l'opinion qu'ils se font de la crise, et voilà que je dérive à nouveau sur mes problèmes personnels. L'ardente préoccupation que j'ai de comprendre le drame de Pierre m'entraîne sur une tout autre piste. Avec l'aide efficace et discrète de mon amie, je rassemble un à un les morceaux d'une sorte de puzzle. Comme Magali, j'ai  tendance à fonctionner au « feeling ». On ne se change pas. Une certaine intuition me fait entrevoir le résultat de mes recherches avant même de m'être rendue sur les lieux du drame. ]

(*) Cf. René Nelli, « L'érotique des troubadours ».

( À suivre....)

 

  1. Dimanche 21 mars : Retour sur images.

  2. Vendredi 12 mars : « Les friches, je m'en fiche... »

  3. Samedi 13 mars : « Péreille à l'appareil ».

  4. Dimanche 14 mars : « Pourquoi ils se sont abstenus. »

  5. Lundi 15 mars : La « Cicade » est de retour.

  6. Mardi 16 mars : La guerre des boutons.

  7. Mercredi 17 mars : Le coup de boule de Manoel.

  8. Jeudi 18 mars : Du barouf chez les Barroufets.

  9. vendredi 19 mars : Le nez de la sorcière.

  10.  Samedi 20 mars : « Amics d'avui, amics de sempre ».

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