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29 octobre 2011

Je reviendrai, par Evelyne Grenet

Cette nouvelle est née de deux consignes : partir de l'une des phrases que j'avais distribuées, et qui est indiquée ici en gras - et user du leitmotive (ici la répétition d'un mot) pour rendre l'expression plus intense. Pari superbement réussi, Evelyne. Carole.


Je reviendrai

 evelynecoquelicot

                        Il est heureux de voir apparaître la maison de Mira, le toit bas environné d'arbres et de terres cultivées. Il est déjà venu ; c'était il y a quelques temps, au début de la belle saison. La ferme adossée à la colline est toutefois encore loin. Il doit poursuivre sa marche. La lumière chaude d'automne illumine le paysage. Des corbeaux croassent, se disputant sur les chaumes les derniers grains qu'ils sont venus glaner. Les blés ont été moissonnés durant l'été. Un vent chaleureux caresse le visage du jeune homme.

                        Avec ce souffle chaud des images ravivent sa mémoire et l'assaillent. Des flashes, des bribes de souvenirs s'imposent à lui. Flash !

 

Lui, le gamin arrivait au détour d'un chemin, la fronde à la main.

Rose, sa mère poussait des gémissements, sur le bord du fossé... Les ramilles de blé ondulaient doucement dans le champ juste à côté... Les coquelicots ébouriffés oscillaient... Un homme scandait ses mouvements adultères d'une voix forte, là tout contre sa mère... L'enfant qu'il était, saisit alors sa fronde... Un cri de douleur... Sa mère ajusta pudiquement sa robe retroussée... L'amant se jeta sur lui, le secoua... Rose s'interposa : « Laisse-le, c'est un enfant ! »...Une bagarre s'ensuivit !... Se poussant, se tirant, s'arrachant l'un à l'emprise de l'autre !... Rose bascula, sa tête heurta la roche sur le talus... Plus de cris ! Silence !...

                        L'homme se ressaisit. Éclat de soleil sur la boucle de son ceinturon qu'il ferma prestement. Flash ! Il regarda le corps allongé, et s'enfuit, soudain, à grandes enjambées...

Arrêt sur image ! Rose, les yeux ouverts sur l'éternité, souriait. Doucement, les mèches blondes de ses cheveux, agitées par le vent chaud d'été, caressaient son visage. L'enfant cueillit des coquelicots et déposa le bouquet fragile dans le creux de la main maternelle. « C'est pour toi maman... »

Flash ! Flash ! Enfance brisée.

 

                        A l'évocation de ces souvenirs, Jean, oppressé, suffoque. Il a chaud. Il a soif. Il presse le pas. Il remonte péniblement le chemin vers la ferme de Mira. Il veut la revoir, lui parler. Il l'aime, il veut l'épouser. Il est pressé de la retrouver, il court, il est essoufflé.

 

                        Jean se souvient qu'adolescent, tout aussi haletant, il aimait courir derrière la moissonneuse. Ruisselant de sueur, il bondissait dans le sillage poussiéreux de la machine. Les adultes s'alarmaient et lui intimaient l'ordre de partir vagabonder ailleurs. « C'est dangereux, tu vas être broyé par la machine », lui criait son père. Jean adorait braver l'interdit et, la sensation d'un danger immédiat lui procurait une jouissance intérieure toujours plus croissante. La lumière éblouissante d'été miroitait sur la roue du rabatteur. Chaque griffe lançait des éclats fulgurants vers les épis aussitôt coupés. Flash ! Les blés moissonnés... Plus de blé !...Flash ! Flash ! Adolescence perturbée.

 

                        La dernière fois qu'il est venu ici, c'était le printemps. C'est là juste au bout du champ qu'il avait rencontré Marina. Ah Marina quelle fille extraordinaire !... Ils avaient parlé un long moment tous les deux. Mira !... Il aime beaucoup la nommer ainsi... Ce diminutif n'est que pour lui ! Il est le seul à l'appeler Mira... « Tu es vraiment belle Mira » avait-il dit dans un sourire admiratif.   « Tu sais Jean, je vais me marier dans l'été... J'attends mon fiancé qui vient me chercher... Nous allons choisir ma robe... » Pendu à une chaîne en or, un petit cœur scintille de mille éclats sur la gorge de Mira. Flash ! La jeune fille ce jour-là était vêtue d'une robe de mousseline avec de gros coquelicots imprimés sur le tissu. Elle portait un cardigan rouge assorti aux fleurs de sa tenue. Une fine écharpe de soie volait dans le vent, légère.

                        Le champ était vert. Les jeunes plants de céréales poussaient en fines tiges bien drues.

Il se pencha vers elle, et pressant fougueusement ses lèvres sur les siennes, lui vola un baiser.  Marina le repoussa violemment. L'écharpe tomba... Il la ramassa !

                        La jeune fille courut, courut à perdre haleine dans le champ de blé. Sa robe, aérienne, se soulevait dévoilant ses longues jambes nues. Il la poursuivit... « Mira attend-moi, ne pars pas... » Il la rattrapa, lui redonna l'écharpe. « Je t'aime Mira ». Elle le bouscula... « Je ne veux pas de toi, Jean... Laisse-moi... » Elle cria « je ne t'aime pas, je ne veux pas de toi ».  Il la poussa... Elle tomba... Hurlements...  « Va-t’en ! Je ne t'aime pas ! » Cris, protestations ... « Tais-toi ! » Écharpe autour du cou... Il serra...Marina criait toujours. « Mais tais-toi !... » Il serra, serra... Marina se tut, bouche bée, le regard tourné vers l'éternité. Le pendentif en or lui lança une étincelle qui le glaça. Flash ! Il réajusta les vêtements de la jeune fille, se redressa.

Le cardigan et les coquelicots de la robe rougeoyaient sur la peau blanche immaculée. Au loin un bruit de moteur... « A bientôt Mira je redeviendrai, tu es dans mon cœur. » Aux abois, il s'enfuit par les bois. Flash ! Flash ! Je reviendrai.

 

                        Aujourd'hui, il est soulagé. Il va revoir Mira. Il arrive enfin devant la ferme qu'il avait fuie au printemps dernier. Le portail est entr'ouvert sur l'allée. Un chien vient vers lui en aboyant, l'air inquiétant. Un homme s'approche menaçant. « Ça fait plusieurs jours qu'on vous surveille... » Une main s'abat sur son épaule... Des menottes sont fixées à ses poignets...

« C'est fini ! Suivez nous !... »

Un meurtrier revient toujours sur les lieux de... Flash ! Flash ! Vie désagrégée.

 

***

Evelyne Grenet, octobre 2011

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